Tu seras choumac - Richard Maroli

Le livre de l'outil
André Velter, Marie-José Lamothe
Éditions PHÉBUS

Chaudronnier

Rayons X, batteurs et boucliers d'archal

Il est difficile, aujourd'hui, d'établir une distinction précise entre les activités dites « de chaudronnerie » et celles de tôlerie, constructions métalliques, tuyauterie industrielle, ou encore constructions mécaniques et navales. On peut cependant définir essentiellement comme chaudronnerie la fabrication d'appareils ou de canalisations soumis à une pression interne ou externe. Compte tenu des risques d'accidents que ces installations peuvent faire courir, leur conception et leur calcul sont soumis à des règles extrêmement strictes, et aux contrôles les plus divers effectués tout au long du travail lui-même (contrôles dimensionnels, contrôles des déformations sous charge, contrôles par rayons X de la pénétration des soudures, etc.). Cette ambivalence de la chaudronnerie semble sans fin, inhérente à la nature de son activité, puisque dès les origines il apparaît clairement que le « chaudronnier » produit des objets dissemblables dans leurs formes et leurs fonctions, et que le chaudronnier n'existe pas. Le Livre des Métiers fait état, pour l'an 1292, d'un recensement de 22 métiers des métaux, qui, réuanis, donneront naissance à la chaudronnerie. 3 700 ans avant Jésus-Christ, l'Égypte et la Chaldée travaillaient le cuivre pur ; si l'on ne peut affirmer avec certitude que des communautés d'artisans aient existé dès le règne de Salomon chez le peuple juif (vers 950 avant J.C.), il est sûr en revanche que les Grecs, vers le VII° siècle précédant notre ère, connaissaient des associations professionnelles.

Ainsi, tous les métaux ont été justiciables de l'action des marteaux, y compris l'or et l'argent ; à défaut de chaudronniers stricto sensu dénommés, on trouvait des batteurs d'étain et d'archal, des potiers en étain, des épingliers, des déiciers (fabricants de dés à coudre), fermailliers de laiton (anneaux, fermoirs), des batteurs de boucliers (en fer, cuivre, archal), et autres greffiers (armures pour jambes), heaumiers (casques) et ouvriers de toutes œuvres, martelant jusqu'à la vaisselle dans l'étain et le plomb.

Un emblème

Lorsqu'aux XII° et XIII° siècles le battage (déformation du métal par martelage à force de bras) prend de plus en plus d'importance au point de donner naissance à une nouvelle profession, celle des batteurs qui façonnent des pièces de vaisselle et des articles de décoration en cuivre, on voit ceux-ci adopter pour emblème un chaudron et deux marteaux en croix.

C'est de cet emblème qu'est née la chaudronnerie en tant que vocable générique couvrant de multiples activités. Vers la même époque, à Dinant, en Belgique, les dinandiers fabriquent des objets en laiton fondu ; leur industrie se lie en fait à celle des batteurs, et, de la vallée de la Meuse, elle descendra dans celle du Rhin, puis en France (Paris-Lyon-Normandie-Auvergne). Toutes ces professions s'interpénètrent assez rapidement ensuite, de sorte qu'en 1327, est édicté un premier statut des chaudronniers dinandiers, qui sera précisé et augmenté ultérieurement sous les règnes de Charles VIII, Louis XII et Charles IX. Henri IV, en février 1595, en confirmera définitivement l'utilité sociale.

Le marteau, la vapeur, la tôle

En 1707, l'invention de Denis Papin étend le champ d'action de la chaudronnerie : celle-ci, mise à l'ouvrage pour les chaudières des machines à vapeur, va commencer à voir et à fabriquer grand.

En 1885, la découverte de l'anglais Bessemer permet d'obtenir des tôles d'acier doux en grande quantité ; l'expansion considérable qui en résulte pour la chaudronnerie en fer sonne le début de la chaudronnerie moderne, qui fera massivement appel à de fortes et complexes machines-outils. Dans l'optique qui est ici la nôtre, celle de l'outil à main, remarquons qu'outre la fabrication de gigantesques réacteurs nucléaires, l'humanité reste capable de confectionner des bracelets de cuivre aussi bien que des... chaudrons. Même mécanique, conformément à la symbolique de l'emblème des batteurs d'autrefois. Celui qui nous intéresse, c'est une masse en acier fondu, fixée sur un manche de bois ; une ou deux touches en constituent les parties actives, qui frappent et forment le métal. En raison de la diversité des travaux à effectuer, les touches peuvent être rondes, carrées, fer à cheval, ovales, ,tc. Mais rendons-nous chez le chaudronnier en cuivre.

Étendre et planer

Les enclumes, ici, sont semblables à celles du forgeron. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'étendre de grandes plaques ou planer de hauts vases, il faut pouvoir transporter l'enclume là où l'ouvrier doit l'employer, auquel cas le billot en est mobile. En fait, le chaudronnier joue également de plusieurs bigorneaux, petites enclumes de formes et dimensions variables selon les besoins, et complète cette gamme de surfaces à battre grâce à une dizaine de chevalets. Chaque chevalet se pose et se cale sur un bloc de bois de chêne ; il se présente comme une barre de fer d'un mètre de longueur sur cinq centimètres d'épaisseur dont une extrémité fait fonction de mini-enclume. Selon le travail à exécuter, l'ouvrier peut être conduit à fabriquer un nouveau chevalet, spécifiquement adapté à l'ouvrage.

Si l'on met à part diverses machines, qui, sortant de notre sujet, n'en sont pas moins indispensables pour épargner au chaudronnier un surcroît de labeur lorsqu'il s'agit de grosses pièces à découper, raboter, percer, ou encore lorsqu'il s'agit de fabriquer des rivets et des chevilles, on s'aperçoit vite que le reste de son lieu de travail - y compris, on vient de le voir, certaines enclumes - se compose d'outils mobiles.

Compas, forge volante

Outre une dizaine de tasseaux de différents types, qui prolongent la fonction des chevalets, il faut remarquer qu'avec son chalumeau, son soufflet portatif, ses tenailles et son banc à tirer, l'artisan du cuivre s'est confectionné une sorte de forge volante, dont la caractéristique est d'être adaptable et renouvelable, selon les moments et les travaux : c'est aussi souvent l'outil qui va à la pièce que la pièce à l'outil.

Dans cette panoplie, l'outil proprement dit, les tenailles, est là encore multiforme. On peut en dénombrer une dizaine de modèles, dont les différences de silhouette sont assez spectaculaires. Les unes, aux mâchoires unies et planes, saisissent le cuivre pendant le martelage et la chauffe ; d'autres, leurs mâchoires sont en pointe ; les béguettes plient les incisions pratiquées pour les bordures ; certaines ont une mâchoire droite et l'autre courbe ; quelques-unes l'ont en bec d'oiseau de proie afin de pouvoir saisir le métal tandis qu'on soude le fond aux bordures ; il y a même des tenailles qui font simplement office de manche d'un moment, ne servant qu'à saisir et tenir le creuset où le chaudronnier prépare la soudure forte.

Les marteaux, auxquels le chaudronnier revient sans trêve, sont de trois espèces : le marteau de forgeron, le marteau à étendre ou à planer, et le maillet en bois. Les formes de ces maillets et autres battoirs sont souvent inattendues et dépendent de l'autre forme, celle, précisément, qu'il s'agira de donner au cuivre. Pour simplifier, disons que le chaudronnier utilise :

  1. le marteau à étendre
  2. le marteau à panne de travers
  3. le marteau à panne droite, dont les plats sont ordinairement polis
  4. les marteaux à piquer, pour couper les fonds
  5. les ébauchoirs, employés uniquement pour couper le fer et le cuivre.

Outre ceux-ci, précisons que l'ouvrier en manie d'autres, d'un usage moins fréquent, qu'il doit savoir approprier à ses besoins : travailleur de la forme, il commence par l'invention de celles de ses outils. Comme sculpteur spontané du cuivre, il est le seul des maîtres de la forge à faire aussi souvent appel au galbe, à la courbe, au cercle, à l'ovale... et à la détermination de leur tracé, de leur calcul : il est donc pourvu d'équerres, d'équerres pliantes, de compas d'épaisseur aux pointes curvilignes, de compas simples, petits et grands.

Aujourd'hui et hier

On ne saurait enfin passer totalement sous silence l'évocation de la chaudronnerie actuelle, dont les outils, même devenus machines, prolongent, en fait, les mêmes opérations essentielles. Quatre temps forts rythment le travail.

  1. Traçage et découpage : on délimite la surface de matière à façonner, puis, à la cisaille droite ou circulaire, par oxycoupage, grignotage, sciage, on la découpe. Usinage des bords (par meulage, ébarbage), nettoyage des surfaces (par sablage, grenaillage, traitement à la bille de verre, décapage chimique), et usinage d'ouvertures (par poinçonnage, perçage, etc.) viennent affiner et compléter ce premier temps.
  2. Le formage : ce travail continue de pouvoir être effectué manuellement pour les tôles minces, en jouant du marteau, de la bigorne et autres tasseaux et chevalets. Les grosses tuyauteries d'aujourd'hui sont néanmoins formées sur des machines spéciales : presses à former, emboutisseuses, presses à plier (cintrage ou cambrage des cylindres ou viroles), machines à galets (par fluotournage), etc. Le formage se fait généralement à froid ; mais on a recours à la chauffe si l'épaisseur des tôles à former est supérieure à 50 mm.Si, à l'issue du formage, la pièce doit être parfaitement plane, on parle alors de planage.
  3. L'assemblage : au rivetage, qui n'est plus guère utilisé, le développement technique a substitué tout un ensemble de soudage et de brasage. On a également recours aux boulons, vis, goujons et écrous, agrafes ou étriers.
  4. Traitements de surface : il s'agit de la finition de la pièce : décapage, passivation, galvanisation, laquage, vitrification, etc.

La guerre et l'art

Du bouclier au réacteur nucléaire, du bracelet de cuivre des gnostiques au Stabile de Calder, il semble bien que ces deux voies, celle de la guerre et celle de l'art, aient puissamment contribué, de toujours, à façonner la chaudronnerie, lui donnant sans cesse de nouvelles impulsions et de nouveaux moyens. L'emblème d'où elle a tiré son nom, on comprend assez bien qu'il représente deux marteaux croisés : pour le chaudron qui en fait le fond, nous laisserons au lecteur le soin d'apprécier sa portée symbolique.