Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siécle de Pierre Larousse

GAY-LUSSAC (Joseph-Louis)

Illustre physicien et chimiste français, né à Saint-Léonard-le-Noblat, petite ville du Limousin, aujourd'hui département de la Haute-Vienne, le 6 décembre 1778, mort le 9 mai 1850.

Le père de Gay-Lussac, Antoine Gay, était procureur du roi et juge au Pont-de-Noblat ; son grand-père avait exercé la médecine. Lussac était le nom d'une terre que possédait Antoine Gay, et qu'il joignait au sien pour se distinguer des autres membres de sa famille. Le premier maître de Joseph-Louis fut, avant la Révolution, l'abbé Bourdeix, qui, longtemps après, s'il parlait encore de la turbulence de son élève, signalait aussi l'ardeur au travail du futur académicien.

La loi des suspects vint atteindre le magistrat, qui, grâce aux actives démarches de son fils Joseph, demeura oublié dans la prison de Saint-Léonard, quoique l'ordre eût été donné de le transférer à Paris. Les événements du 9 thermidor vinrent mettre fin aux angoisses de la famille, La perte de sa place n'empêcha pas Gay-Lussac le père de pourvoir à l'instruction de ses enfants. Le plus jeune devint médecin et n'a pas cessé pendant cinquante ans de prodiguer ses soins aux habitants de Saint-Léonard. Il est mort, béni de tous, le 38 juillet 1854, âgé de soixante-quinze ans. L'aîné, J.L. Gay-Lussac, fut mis eu pension à Paris, en 179S, chez M. Savouret, et, peu après, à Nanterre, chez M. Sensier, qui, appréciant ses heureuses qualités, le garda près de lui, après avoir été obligé de fermer son établissement. À seize ans, Gay-Lussac n'avait pas encore été initié aux premiers éléments des sciences, et c'est au milieu des embarras journaliers de la famille dans laquelle il avait été admis, qu'il parvint, sans maître, à apprendre les mathématiques. En 1797, il fut reçu à l'École polytechnique. Pour diminuer les sacrifices de sa famille, il donnait des leçons particulières pendant les quelques heures que lui laissaient les leçons et les exercices de l'École, et travaillait la nuit pour se maintenir au courant de ses études. En 1800, Gay-Lussac sortait de l'Ecole polytechnique avec le titre d'élève ingénieur des ponts et chaussées ; mais il accepta de préférence la position que Berthollet lui offrit près de lui, certain de trouver, chez un tel protecteur, une intelligence d'élite pour le guider, et dans son laboratoire la plus belle collection possible d'instruments de physique et de chimie.

Il fut nommé, peu de temps après, répétiteur des cours que Fourcroy faisait alors à l'École polytechnique, et se fit bientôt connaître comme professeur dans les fréquentes occasions qu'il eut de le remplacer. Le premier travail de Gay-Lussac eut pour objet la loi de la dilatation des gaz. On sait qu'il trouva « que, toutes les fois qu'un gaz est entièrement privé d'eau, il se dilate de la 267e partie de son volume à 0° », pour chaque degré centigrade d'augmentation dans la température. » II n'a été trouvé depuis que d'insignifiantes exceptions à cette règle générale.

Les expériences faites dans deux ascensions aérostatiques, à Hambourg et à Saint-Pétersbourg, paraissaient indiquer une diminution assez rapide de la force magnétique à de grandes hauteurs au-dessus du sol. Le fait s'accordait, d'ailleurs, avec des observations antérieures de de Saussure.L'Institut jugea utile de provoquer une expérience décisive, et en chargea Biot et Gay-Lussac. Le 2 août, les deux jeunes voyageurs s'élevèrent de la cour du Conservatoire des arts et métiers, munis de tous les instruments nécessaires.

Voici quelques mots sur ce voyage, empruntés à la relation de Biot :

« Nous l'avouerons, le premier moment où nous nous élevâmes ne fut pas donné à nos expériences. Nous ne pûmes qu'admirer la beauté du spectacle qui nous environnait : notre ascension, lente et calculée, produisait sur nous cette impression de sécurité que l'on éprouve toujours quand on est abandonné à soi-même avec des moyens sûrs. Nous entendions encore les encouragements qu'on nous donnait, mais dont nous n'avions pas besoin. Nous étions calmes et sans la plus légère inquiétude. ». Les deux jeunes savants s'élevèrent à la hauteur de 4000 mètres, et crurent pouvoir affirmer que l'aiguille aimantée se comportait à cette hauteur comme au niveau du sol.

Vingt-trois jours après, le 16 septembre 1804, Gay-Lussac entreprit seul un nouveau voyage. Il s'éleva cette fois à 7016 mètres de hauteur, et la température, qui était à terre de 27,75°, descendit à - 9,5°. « Parvenu, dit-il, au point le plue haut de mon ascension, à 7016 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer, ma respiration était sensiblement gênée ; mais j'étais encore bien loin d'éprouver un malaise assez désagréable pour m'engager à descendre. Mon pouls et ma respiration étaient très-accélérés : respirant très-fréquemment dans un air d'une extrême sécheresse, je ne dois pas être surpris d'avoir eu le gosier tellement sec, qu'il m'était pénible d avaler du pain.. »

Nul, avant lui, n'avait atteint cette hauteur. À 3012 mètres, il commença ses observations sur l'aiguille horizontale ; à cette hauteur, la durée de dix oscillations fut de 41 secondes 1/2 ; à 6977 mètres, elles durèrent 41 secondes 7/8 ; on trouvait à terre 42 secondes 2/10. À 6107 mètres, une clef approchée de l'aiguille la déviait comme sur terre. L'hygromètre accusa une diminution rapide de la quantité de vapeur d'eau. L'air recueilli à 6636 mètres et analysé ensuite fut trouvé composé comme celui qu'on recueille-à la surface de la terre. Après avoir terminé toutes ses expériences avec le plus grand sang-froid, Gay-Lussac prit terre entre Rouen et Dieppe.

De Humboldt venait de publier un travail sur les analyses eudiométriques. Gay-Lussac y découvrit quelques erreurs, et les releva avec une certaine vivacité. De Humboldt voulut voir son contradicteur, et ils se lièrent dès lors d'une amitié qui dura jusqu'à la mort. Les deux amis lurent bientôt après à l'Académie (1er pluviôse an XIII) le célèbre mémoire où se trouve énoncée pour la première fois, mais par rapport à l'oxygène et à l'hydrogène seulement, la loi à laquelle obéissent les gaz dans leurs combinaisons. Cette loi des volumes avait été aperçue par Gay-Lussac seul. « J'ai coopéré à cette partie des expériences, a écrit plus tard de Humboldt, mais Gay-Lussac seul a entrevu l'importance. »

Le 12 mars 1805, Gay-Lussac et de Humboldt partirent ensemble pour un voyage scientifique en Italie et en Allemagne ; ils traversèrent les Alpes au mont Cenis, visitèrent Gênes, Rome, où Gay-Lussac reconnut la présence de l'acide fluorique dans les arêtes de poisson ; Naples et le Vésuve, où les deux amis furent témoins de l'un des plus grands tremblements de terre qu'on y ait ressentis ; Florence et Bologne ; Milan, ou ils rencontrèrent Volta ; le Saint-Gothard, Goettingue et Berlin. Gay-Lussac revint en France en 1806 pour y soutenir sa candidature à l'Académie des sciences en remplacement de Brisson. L'année suivante, il était choisi par Berthollet pour faire partie des fondateurs de la Société d'Arcueil. C'est dans le recueil de cette Société que de Humboldt et lui publièrent le résumé des observations sur le magnétisme, qui avait été le principal'objet de leur voyage. Le même recueil contient aussi le Mémoire sur la combinaison des substances gazeuses entre elles, où Gay-Lussac étendait à tous les gaz sa loi des combinaisons par volumes en rapports simples.

Sur la prière de Laplace, Gay-Lussac se chargea, en 1807, de soumettre à des vérifications expérimentales les principaux résultats de la théorie analytique de la capillarité. Humphry-Davy venait de décomposer la potasse et la soude à l'aide de la pile. Napoléon s'empressa de mettre à la disposition de l'École polytechnique les fonds nécessaires pour en construire une de dimensions colossales. Gay-Lussac et Thenard furent chargés de diriger le travail ; mais, sans en attendre les résultats, ils cherchèrent à obtenir plus directement les deux nouveaux métaux, et parvinrent effectivement à en produire de grandes masses, tandis que les Anglais, n'en avaient obtenu que des parcelles. Leur découverte fut publiée le 7 mars 1808. C'est dans le cours de ces recherches qu'une terrible explosion vint blesser Gay-Lussac assez grièvement pour que Dupuytren eût toutes les peines du monde à lui conserver la vue. Le 27 février 1809, les deux illustres associés, après avoir tenté l'analyse du gaz qu'on appelait alors acide muriatique oxygéné, terminaient leur Mémoire par cette phrase : « D'après ces faits, on pourrait supposer que ce gaz est un corps simple. » C'est, en effet, le chlore. La même année 1809, Gay-Lussac fut nommé professeur de physique à la Faculté des sciences et professeur de chimie à l'École polytechnique ; il venait d'épouser une jeune et intéressante personne, attachée à un magasin de lingerie, entre les mains de laquelle il avait vu un ouvrage de chimie. Cette union a été exceptionnellement heureuse. Trois jours avant sa mort, Gay-Lussac disait à sa compagne : « Aimons-nous jusqu'au dernier moment, la sincérité des attachements est le seul bonheur. »

C'est encore en 1809, que Gay-Lussac et Thenard découvrirent le bore et l'acide fluoborique.

La pile qui avait été construite pour l'École polytechnique était la plus volumineuse qu'on eût encore établie. Gay-Lussac et Thenard publièrent en 1811, sous le titre Recherches physico-chimiques sur la pile, sur les alcools, sur les acides, sur l'analyse végétale et animale, etc., les résultats des expériences auxquelles ils employèrent ce grand appareil.

M. Courtois, salpêtrier à Paris, venait de découvrir dans les cendres des varechs un produit nouveau. Des échantillons en avaient été donnés à Humphry-Dayy ; Gay-Lussac l'apprend, et, pour ne pas laisser perdre à la France une priorité à laquelle elle avait des droits, il achève en quelques jours un travail complet sur l'iode, que Courtois avait rencontré, par hasard. Ce travail a été lu le 1er août 1814 à l'Académie des sciences.

Le bleu de Prusse avait été déjà l'objet des recherches d'un grand nombre de savants. Gay-Lussac en reprit l'étude et découvrit bientôt (1815) le cyanogène et l'acide prussique. En 1816, il construisait son baromètre à siphon, dont la disposition est destinée à éviter les erreurs qui peuvent provenir des effets de capillarité. À partir de cette époque, chargé encore d'un nouveau cours au Muséum du Jardin des plantes, puis bientôt après nommé membre du Comité des arts et manufactures et essayeur à la Monnaie, il ne s'occupa plus guère que des travaux nombreux que lui confiait le gouvernement pour s'éclairer relativement a la fabrication des poudres, à l'affinage des métaux précieux, aux prescriptions à donner à l'administration des octrois, etc.

Gay-Lussac reçut de son département le mandat de député en 1831 et le conserva jusqu'en 1839. A cette époque, il échoua dans une nouvelle candidature, et Louis-Philippe l'appela à la pairie, pour laquelle Berthollet l'avait désigné en mourant, en lui léguant son épée de pair de France, en 1822. M. Régnault lui succéda alors à l'École polytechnique

Parmi ceux de ses travaux dont nous n'avons pas encore eu l'occasion de parler, nous citerons : Recherches et déterminations numériques relatives à l'hygromètre ; Observations sur la formation des vapeurs dans le vide et sur leur mélange avec les gaz ; Indications relatives à la construction et à la graduation des thermomètres ; Note sur la densité des vapeurs d'eau, d'alcool et d'éther.

D'une simplicité remarquable dans ses goûts et d'un désintéressement absolu dans toutes les occasions où un autre eût trouvé du profit, Gay-Lussac ne brigua point les honneurs, et si quelques-uns vinrent à lui, il n'y eut de sa part aucune démarche, à plus forte raison aucune intrigue. Cette simplicité, qui n'était ni recherchée ni affectée, se remarqua dans toutes les circonstances, de la glorieuse carrière poursuivie par l'illustre physicien. Dans ses cours, au Muséum, à la Faculté des sciences et à l'École,polytechnique, c'était à une conversation naturelle et cordiale, avec ses embarras et ses licences, mais aussi avec ses effusions et ses franchises, que les auditeurs assistaient. Nulle préparation, nulle éloquence d'apparat, nul artifice oratoire. Il était le même à son laboratoire, où il travaillait en sabots, sans pompe ni mystère, dans la familiarité de ses préparateurs, leur communiquant ses impressions, leur faisant part de ses idées, et laissant voir toute la joie qu'il éprouvait du succès d'une expérience, de l'heureuse réalisation d'une prévision théorique. À la fin de sa vie, il était devenu une des lumières de l'Académie des sciences, où sa parole avait acquis une autorité prééminente et un crédit considérable. Il y passait pour l'homme clairvoyant et judicieux par excellence, du meilleur conseil et de la plus inflexible critique.

Esprit par-dessus tout philosophique, Gay-Lussac a scellé par des travaux mémorables l'union de la physique et de la chimie, en marquant nettement par où ces deux sciences se rejoignent, et comment la plus simple, qui est la physique, éclaire la plus complexe qui est la chimie. Ses lois sur la combinaison volumétrique des gaz, sur le mélange des gaz et des vapeurs, sur les valeurs spécifiques, comptent parmi les plus importantes qu'on ait établies. Ses travaux sur les composés de l'iode et sur ceux du cyanogène portent l'empreinte d'un esprit méthodique et élevé, qui surmonte les difficultés par la supériorité de la raison et la fécondité ingénieuse de ses ressources.

Gay-Lussac a peu écrit. Les Annales de chimie et de physique renferment ses Mémoires, et les Comptes rendus, ses rapports. On a publié ses leçons du Muséum en deux volumes, qui parurent en 1828. Son cours de physique de la Faculté des sciences fut imprimé en 1827 par les soins de M. Grosselin. Ce n'était pas seulement un théoricien profond ; ce fut aussi un praticien habile, et, sous ce rapport, il à rendu à la science les services les plus signalés. Comme vérificateur des monnaies, il a introduit dans l'essai des matières d'or et d'argent les améliorations les plus précieuses. Son alcoomètre est l'instrument le plus sûr pour doser les quantités d'alcool contenues dans les liquides qui en renferment, surtout si l'on y joint l'emploi des tables qu'il a construites à cet effet. Celles qu'il a données pour corriger les indications de l'hygromètre de Saussure ne sont pas d'un moindre intérêt. Gay-Lussac mourut en 1850, à l'âge de soixante-douze ans. Il a été remplacé, à l'Académie des sciences par le baron Cogniard de Latom.

L'éloge qui lui fait le plus d'honneur est celui que fait de lui M. de Humboldt, dans une lettre adressée à Mme Gay-Lussac : « L'amitié dont m'a honoré ce grand et beau caractère a rempli une belle portion de ma vie : personne n'a réagi plus fortement, je ne dis pas sur mes études, qui avaient besoin d'être fortifiées, mais sur l'amélioration de mon sentiment, de mon intérieur. Quel souvenir que la première rencontre chez M. Berthollet à Arcueil ! Mon travail journalier, à l'ancienne École polytechnique ; mon admiration toujours croissante, nos prédictions sur sa future illustration dont mes ouvrages d'alors portent l'empreinte (1806), mon espoir que mon nom resterait attaché au sien, que de sa gloire quelque chose rejaillirait sur moi..., toutes ces phases de la vie se présentent à ma mémoire avec un charme indicible ! Je n'ai besoin de raisonner ni mon admiration ni mon éternelle reconnaissance. II n'y a pas un homme auquel je doive plus pour la rectitude de mes études, de mon intelligence, de mon caractère moral, qu'à celui dont vous avez, fait le bonheur par vos nobles qualités du cœur et de l'esprit... » Berlin, 13 mai 1850.