Le véritable rôle d'Howard HUGHES

Le Constellation est certainement l'avion le plus mythique des avions de transport. D'une élégance inégalée, il était impossible de ne pas le reconnaître, tant en vol qu'au sol. Mais [avant de vous présenter l'avion du musée], je voudrais revenir sur la genèse du Constellation car tout, et souvent n'importe quoi, a été écrit sur le rôle d'Howard Hugues.

LES ORIGINES

Dans les années dix-neuf cent trente, le transport aérien est en plein essor aux États-unis, mais ce développement est totalement anarchique. Pour sortir l'industrie du transport aérien du chaos et de la confusion, le 23 juin 1938, le président Franklin D. Roosevelt signe la loi « Civil Aéronautics Act » qui va réglementer toute l'activité aérienne civile aux États-unis. Connue aussi comme la loi Mac Carran-Lea (des noms du sénateur Patrick C. Mac-Carran et du représentant Lea) elle émet des règlements concernant les normes techniques et de sécurité des aéronefs, le contrôle aérien, la création des voies aériennes, la création et la gestion des aéroports, etc...

Boeing 307

Collection Hazebrouck


Boeing 307 « Stratoliner »

Cette loi se révèle rapidement bénéfique puisqu'en deux ans les compagnies aériennes obtiennent un taux de sécurité jamais atteint et le nombre de passagers quadruple. Elle profite aussi aux trois grands constructeurs d'avions commerciaux, Boeing, Douglas, Lockheed. Ainsi, voit-on apparaître les premiers avions quadrimoteurs, le Boeing 307 « Stratoliner » et le Douglas DC4E. Mais que fait la société Lockheed pendant ce temps ?

Douglas DC-4E

Collection Hazebrouck


Douglas DC-4E

En fait, les ateliers de Lockheed sont en pleine activité. Ils viennent de terminer les « Lodestar » civils et produisent une importante commande britannique d'« Hudson » et les premiers P38 « Lightning » pour l'USAAC. Mais Bob Gross, Président de Lockheed, avait demandé à son bureau d'études de concevoir, à temps perdu, un avion de ligne quadrimoteur, si bien que dès l'été 1937 un projet est finalisé, les essais en soufflerie sont terminés, et des maquettes d'aménagement en grandeur réelle sont en cours de fabrication.


Ce projet, baptisé « Excalibur », présente un avion entièrement métallique à aile basse avec un empennage tri dérive et un train tricycle. Il est capable d'emmener 32 passagers sur 3200 kilomètres, avec les réserves de carburant d'usage, à la vitesse de 425 kilomètres par heure. Ainsi, Lockheed dispose d'un projet performant et bien avancé, et Bob Gross attend qu'une opportunité se présente. Or c'est Howard Hugues qui vient contacter Bob Gross.

Pourquoi Howard Hugues, pétrolier multimillionnaire, producteur de cinéma, concepteur et pilote d'avions de courses, recordman du tour du monde sur un Lockheed 14, s'intéresse-t-il au transport aérien ? Ce que le « Civil Aéronautics Act » n'a pas réussi ni à empêcher ni à contrôler, c'est la féroce concurrence entre les compagnies aériennes qui se battent pour disposer d'équipements toujours supérieurs.

Des trois grands transporteurs transcontinentaux, United, Américan et Trans World, ce dernier est dramatiquement pénalisé. En effet, pour une traversée de côte à côte en plusieurs étapes, la TWA ne peut pas rentabiliser ses vols car la partie centrale des USA qui lui est attribuée est beaucoup moins peuplée que les zones nord et sud respectivement dévolues à United et Américan. Il devient urgent pour la survie de TWA de disposer d'un avion long courrier capable d'effectuer le vol transcontinental direct.

Or Hughes, avec l'aide de Jack Frye vice-président des opérations de TWA, a secrètement racheté la plupart des actions de la compagnie, et possède donc, depuis peu, la majorité de contrôle de la TWA. Rapidement nommé président de la TWA, Frye partage les mêmes inquiétudes que Hughes au sujet de l'avenir de leur société, et ensemble, ils discutent d'un futur airliner. Voici ce qu'en disait Jack Frye : « Je me rappelle qu'un jour il m'appela en longue distance de Los-Angeles à New York. Il voulait m'entretenir de ses idées pour ce super airliner. Certaines étaient irréalisables comme celle de disposer à l'arrière de l'avion d'un salon bleu réservé à son usage personnel, d'autres étaient beaucoup plus intéressantes. Après plus de huit heures, nous avions établi toute une liste de spécifications, et je commençais à avoir la crampe de l'écrivain. Pour conclure, je lui dis que la TWA allait se ruiner à payer de telles communications. Il me rétorqua : Diable ! Elle est déjà ruinée. Mais trouvez-moi quelqu'un pour construire ce foutu avion. »

Douglas n'est pas intéressé à cause de son DC4, tout comme Boeing avec le projet du 307. Frye contacta Reuben Fleet de la Consolidated Aircraft qui déclina la proposition. Il ne restait que Lockheed !

Ainsi, Bob Gross accompagné des responsables de son bureau d'études, les frères Courtland, Kelly Johnson et Hall Hibard, d'une part et Howard Hughes, Jack Frye et des techniciens de la TWA d'autre part, se rencontrent secrètement à plusieurs reprises dans une villa de la rue romaine à Hollywood. Très rapidement, en partant de l'Excalibur, les spécifications du Model 049 Constellation sont définies.

Jack Frye se rappelle la dernière réunion : « Howard Hughes est arrivé en retard. Nous lui faisons un résumé des points discutés. Il prend alors la parole, il veut ceci, il veut cela, je crois qu'il demande 10 ou 20 modifications et ajoute quelques nouvelles propositions. Après cela, il s'assoie et reste pensif pendant quelques minutes. Puis il fixe Bob Gross et lui demande le coût pour 40 avions. Gross répond du tac au tac : 425 000 dollars pièce. Je n'oublierai jamais la réaction d'Howard. Il est assis par terre, comme un Indien à un « pow-wow », et se balance d'avant en arrière pendant deux ou trois minutes. Puis il dit « Diable » ! TWA ne peut pas les payer, cette sacrée compagnie fermerait. Nous ne pouvons pas la laisser aux banques, elles pensent que nous sommes des idiots parlant d'un avion volant à près de 500 km/h. Diable ! Je pense que je n'ai plus qu'à les payer moi-même. »

Il regarde fixement Gross et ajoute : « Allez-y. Construisez-les. Envoyez les factures à la Hughes Tool Company » Il se lève alors et sort de la pièce.

Le Constellation est lancé; c'est un Excalibur légèrement agrandi, propulsé par quatre moteurs Wright Cyclone de 2200 ch, capable de transporter 48 passagers sur de longues distances ou 64 sur de courtes distances, à une vitesse de croisière supérieure à 480 km/h.

Des réunions, secrètes alors, souvent tard dans la nuit, continuent de se tenir entre Hughes, Frye et Gross. Howard Hughes passe de longues heures dans la maquette d'aménagement ou dans le cockpit du prototype y faisant de l'ergonomie, avant l'heure.

La grande sagesse de Bob Gross a été de faire confiance à Howard Hughes et d'avoir su l'écouter tout en ne retenant que les demandes qui amélioraient son projet. Il est certain que Hughes n'est pas le père du Constellation, mais c'est lui qui a tout payé, de la première réunion au premier vol du prototype.

LES PREMIERS AVIONS

Premier vol XC69

Lockheed


Premier vol du XC69

Le premier vol du prototype du Constellation se déroule le 9 janvier 1943, avec Eddie Allen, loué à Boeing pour l'occasion, car c'est le pilote le plus qualifié sur quadrimoteurs. Il est assisté de Milo Burcham chef pilote d'essais de Lockheed, Kelly Johnson chef des projets, Rudy Thoren spécialiste des moteurs, et Dick Stanton chef mécanicien. Le vol est une réussite et six autres vols sont effectués le même jour.


L'enthousiasme de Hughes et Frye, qui assistent au premier vol, est quelque peu refroidi car ils voient un avion qui ne leur appartient plus, c'est le XC 69 peint en vert olive et portant les étoiles américaines. En effet, après l'agression japonaise sur Pearl Harbor l'administration Roosevelt a interdit toute fabrication d'avions civils.

Premier vol TWA

Collection Michael Stroud


Premier vol TWA, mais avec immatriculation USAAF 310310

Mais Hughes, à force de persuasion, réussit à se faire prêter un avion, débarrassé de toute peinture militaire et mis aux couleurs de la TWA. Le lundi 17 avril 1944, faisant équipe avec Frye, il relie Burbank à Washington DC en six heures et 58 minutes. La vitesse moyenne est légèrement supérieure à 550 km/h. C'est un formidable coup de publicité qui préfigure l'aviation commerciale américaine d'après-guerre.


L'Army Air Corps commande jusqu'à 260 Constellation, mais la commande est réduite à 73 unités, en 1945 quand la victoire est en vue, puis le contrat est arrêté à la fin des hostilités. Seuls vingt C69 sont livrés à l'USAAC, dont les cinq derniers en 1946. Ces avions sont rapidement déclarés surplus et vendus à diverses compagnies, dont la TWA.

En septembre 1945, la chaîne de production du Constellation est fermée. Les dirigeants de Lockheed sont face à un dilemme : soit développer une version plus moderne, mais cela implique de licencier plusieurs milliers d'employés et d'être absent du marché des avions de ligne pendant au moins deux ans, soit racheter au gouvernement le stock d'outillages, de fournitures, de pièces et les cinq C69 en cours de montage.

C'est la seconde solution qui est retenue et la fabrication reprend après seulement cinq jours d'arrêt. Cela permet de terminer les C69 et le surplus de pièces sert à la fabrication des L.049.

Philippe HAZEBROUCK - Secrétaire Général de l'AAMA
Revue PEGASE N°140 - Mars 2011