L'empire d'Annam

Ce n'est qu'en 1948 que Vietnam s'est réellement substitué à Annam. À l'origine, les Chinois donnèrent, en 679, le nom d'Annam au royaume vietnamien du Nam Viêt (Ann Nan, « le Sud pacifié ») que les Français utilisèrent pour désigner à la fois le Centre Viêt Nam et l'Empire précolonial annamite, qui comprenait la majorité du Viêt Nam actuel.

Constituée officiellement sous la souveraineté française en 1905, l'Indochine regroupait la colonie de Cochinchine autour du delta du Mékong et quatre protectorats : l'Annam au centre, le Tonkin au nord, le Cambodge et le Laos.

Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siècle de Pierre Larousse

ANNAM (Empire D'), État situé dans la presqu'île de l'IndoChine et appelé Cochinchine dans beaucoup de géographies et dans les annales des missionnaires, qui ont surtout contribué à faire connaître ces contrées lointaines. Nous renvoyons le lecteur au mot Cochinchine pour les détails géographiques sur l'empire d'Annam, bien que cette dernière désignation ait prévalu dans les rapports commerciaux et politiques que la France a eus dans ces dernières années avec ce pays.

Indochine en 1905

Indochine en 1905
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COCHINCHINE ou EMPIRE D'ANNAM, État de l'Asie, occupant la partie orientale de la presqu'île de l'IndoChine, ou péninsule tians gangétique. Borné au N. par la Chine, à l'O. par le royaume de Siam, à l'E. et au S. par la mer de Chine, il s'étend entre les 0 et 22e degrés de latitude N., et les 100 et 107e de longitude E. Capitale Hué ; superficie évaluée à environ 530,000 kilomètres carrés ; le chiffre de la population est incertain ; quelques auteurs l'ont porté à 5 millions, d'autres à 15, et enfin quelques-uns à 20 millions. Le second chiffre semble le plus probable.

Cet Etat comprend trois grandes divisions politiques : le Tonkin au N., le Cambodge au centre et la Cochinchine proprement dite au S. Entre le Tonkin et le Cambodge s'étend une vaste région désignée sous le nom de royaume de Laos, tributaire à la fois de la Cochinchine et du royaume de Siam. La vaste péninsule que nos géographes européens ont désignée sous le nom d'IndoChine a été peu visitée par les voyageurs ; mais, depuis deux siècles et plus, c'est une terre familière à nos missionnaires, et, jusqu'à ces derniers temps, le peu que nous savions du Tonkin, de la Cochinchine, du royaume de Siam et des contrées intérieures, c'était à eux que nous le devions bien plus qu'aux relations politiques. Cependant notre dernière expédition de Cochinchine a été suivie de quelques études géographiques sérieuses sur cette contrée, et, bien que nous ne possédions encore que des notes insuffisantes sur l'intérieur des terres et les tribus incivilisées des montagnes, nous résumons dans ce court article les indications fournies par les missionnaires et les dernières publications sur la Cochinchine.

Aspect général. Productions.

Une chaîne de montagnes, se détachant des hauteurs du Tibet, court du nord au sud parallèlement à la mer de Chine. Plusieurs fleuves arrosent les différentes régions du pays. Le plus vaste est le MéKong , qui, prenant sa source dans la province chinoise de Yun-Nan, traverse le Cambodge et la basse Cochinchine et se jette dans la mer par plusieurs embouchures ; viennent ensuite le Sang-Koi, qui arrose le Tonkin et se jette dans le golfe de même nom ; le Takniao, qui baigne la basse Cochinchine; enfin plusieurs cours d'eau qui, descendant de la chaîne centrale, versent leur tribut dans le golfe de Tonkin. C'est devant une des embouchures du MéKong que, vers 1561, Camoëns, revenant de Macao à Goa, fit naufrage et sauva le manuscrit de son poème des Lusiades, en le soutenant d'une main au-dessus des eaux pendant que de l'autre il nageait vers la rive du MéKong.

Le pays est fertile, surtout dans les provinces de la basse Cochinchine ; le riz, le mûrier, la canne à sucre y croissent en abondance ; on y trouve en outre de vastes forêts, dont les principales essences fournissent des bois de construction et des bois précieux, tels qu'ébène, aloès, etc. Ces forêts, à la végétation gigantesque, sont habitées par un monde d'animaux de tout genre, tigres, singes, insectes bourdonnants, serpents, oiseaux, aux ailes étincelantes, etc. Il est difficile à un Européen de se faire une idée de ces forêts géantes qui dépassent peut-être en exubérance les jungles de l'Inde. Aussi les indigènes eux-mêmes sont-ils frappés par l'étrangeté de ce spectacle qu'ils ont cependant perpétuellement sous les yeux et avec lequel ils devraient être familiarisés. Les poésies populaires de la Cochinchine, en effet, sont toujours empreintes d'un profond sentiment d'observation en face de cette nature féconde et implacable. Les quelques passages suivants, empruntés à un célèbre poème annamite intitulé Que-Van-Tien, et récemment traduit par M. Aubaret dans le Journal asiatique, le feront aisément voir :

« Le bruit de l'abeille l'ennuie, le chant de la cigale le fatigue... Traversons ces traces de lièvres, ces sentiers de chiens ; l'oiseau chante, le singe crie, de tous côtés coulent les sources... En gravissant la forêt, il n'est pas bon de mépriser les arbres (il faut veiller sur soi, faire attention au tigre aux aguets), etc. ».

Pour donner à nos lecteurs une idée plus nette de ce qu'éprouvé un Européen à la vue des forêts de la Cochinchine, nous citerons cet extrait d'une lettre écrite dans la dernière expédition par un de nos officiers, envoyé du côté du poste de Tay-Ninh :

« Le pays où je me trouve est superbe. Les arbres y atteignent une hauteur dont nos Européens ne pourraient se faire une idée qu'en les voyant. Les grands chênes de nos forêts, les larges platanes de nos promenades sont des arbustes auprès des végétations magnifiques que j'ai devant moi... Nous avons suivi pendant deux jours une route ouverte à travers une forêt si épaisse que nous ne voyions le ciel qu'à travers quelques trouées. Nous passions sous une voûte entre deux murailles de feuillage. L'herbe qui pousse dans cette avenue, ne voyant jamais le soleil, est d'un vert extraordinaire. Les lianes et les herbes parasites empêchent de pénétrer dans la forêt. L'humidité y est extrême. D'un repos à l'autre, les fusils des soldats se rouillaient. Il s'exhale une odeur de feuilles mortes intolérable, combinée avec une forte senteur de musc produite par l'immense quantité de reptiles qui fourmillent sur le sol humide. Des Européens ne vivraient pas huit jours dans cette atmosphère. Les indigènes eux-mêmes y sont atteints de la fièvre. ».

Malgré la fertilité du sol et d'abondantes récoltes de soie qui font la principale richesse du pays, la population est généralement pauvre et misérable. Le commerce avec l'étranger est presque nul, et l'industrie très peu avancée. On y fabrique quelques étoffes de soie, de coton, et des objets de laque. La population a une grande affinité avec la race chinoise : ce sont à peu près les mêmes traits, les mêmes mœurs, les mêmes coutumes, la même langue écrite, avec une prononciation différente. La majorité professe le bouddhisme ; mais le dogme de Confucius est répandu dans les classes élevées. Le christianisme, prêché en Cochinchine par les jésuites au XVIIe siècle, y compte environ 500,000 adeptes dirigés par des prêtres européens, dont la plupart sont Français.

Gouvernement. Aperçu historique.

Annamites

Le gouvernement est monarchique et absolu ; la population est divisée en deux classes : la noblesse, ou corps des mandarins, et le peuple. Au début de chaque règne, le nouvel empereur envoie une ambassade à Pékin ; c'est un hommage traditionnel qu'il rend plutôt qu'une investiture officielle qu'il sollicite. Bien que, dans le prétentieux langage de la cour de Pékin, l'empire d'Annam continue à figurer parmi les États tributaires du Céleste Empire, le lien de vasselage s'est peu à peu détendu, et aujourd'hui les destinées de la Cochinchine sont indépendantes de celles de la Chine. Toutefois, la similitude de leurs institutions, de leurs croyances religieuses et de leurs mœurs a maintenu entre les deux pays une sorte de solidarité politique. Là comme en Chine le gouvernement, fondé sur le despotisme, a vu s'user peu à peu ses principaux ressorts, et il semble marcher à grands pas vers sa dissolution. Si l'on en juge par les récits que nous ont laissés les missionnaires qui ont pénétré en Cochinchine au XVIIe siècle, ce pays présentait alors les apparences de la prospérité et un certain air de grandeur. Toutes ces régions orientales ont eu leurs jours de splendeur et la civilisation les a visitées ; mais toute civilisation basée sur le despotisme et le privilège est précaire et périssable ; le progrès seul, fondé sur l'idée de justice d'où découle l'égalité sociale, peut soutenir les peuples dans la voie de la civilisation et du bien-être. C'est pourquoi, en jugeant ces Orientaux tels qu'ils nous apparaissent aujourd'hui, dépouillés du prestige de l'éloignement et maîtrisés si facilement par la conquête européenne, on ne découvre plus chez eux que des symptômes de décrépitude.

D'après les annales cochinchinoises, qui remontent à une époque antérieure à l'ère chrétienne, tantôt la Cochinchine a été directement soumise à l'empire chinois, tantôt elle s'en est séparée ; elle a été fréquemment en guerre avec les royaumes de Siam, de Cambodge et de Tonkin ; elle a eu ses périodes de révolution et d'insurrection. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, Marco Polo visita quelques provinces de la Cochinchine ; mais sa relation, fort incomplète, ne projette qu'une lueur très incertaine sur l'état politique de l'empire d'Annam. C'est seulement à partir de l'époque où les Portugais ont pénétré en Cochinchine que l'on commence à recueillir quelques notions moins inexactes sur cette contrée, qui doit son nom à la ressemblance que lui trouvaient les Portugais avec le pays de Cochin, sur la côte de Malabar, et à sa proximité ou mieux à sa dépendance apparente ou réelle de la Chine. Les missionnaires français complétèrent les premières communications des Portugais, qui remontent à la fin du XVIe siècle. Néanmoins, l'Europe n'a eu de rapports directs avec l'empire d Annam que dans la seconde partie du XVIIIe siècle, grâce à l'influence que l'évêque d'Adran avait acquise à la cour de l'empereur Gya-long, influence qu'il essaya d'employer au profit de la politique française. Gya-long avait eu à lutter, dès le début de son règne, contre une insurrection formidable qui l'avait un moment dépossédé de sa couronne. D'après les conseils de l'évêque d'Adran (Mgr Pigneaux), il résolut de faire appel à l'appui et à la protection de la France, et il envoya à cet effet, une ambassade à Louis XVI. Cette ambassade, qu'accompagnait l'évêque d'Adran, fut accueillie favorablement à la cour de Versailles. Il y avait en effet, pour la France, indépendamment de l'intérêt catholique, un grand intérêt politique à nouer des relations avec les contrées de l'extrême Orient, où elle se voyait devancée par l'Angleterre, l'Espagne et les Pays-Bas. Un traité fut, en conséquence, signé, le 18 novembre 1787 , à Versailles, entre M. de Montmorin, alors ministre des affaires étrangères, et l'évêque d'Adran, représentant Gya-long, traité en vertu duquel l'empereur de Cochinchine cédait à la France, en toute propriété , le port de Tourane et l'île de Poulo-Condor, sous la condition que le roi de France enverrait sans retard une escadre et un corps de troupes pour aider Gya-long à reconquérir ses États. Les ordres furent immédiatement donnés au gouverneur des établissements français de l'Inde pour l'exécution de cette convention ; mais les événements révolutionnaires qui ne tardèrent pas à surgir en France et en Europe vinrent interrompre les préparatifs de l'expédition projetée. Cependant, quelques officiers et un petit nombre de volontaires recrutés par l'évêque d'Adran se rendirent en Cochinchine, où ils disciplinèrent à l'européenne la petite armée de Gya-long, qui parvint, avec leur aide, à soumettre les rebelles. L'empereur demeura reconnaissant du service qui lui avait été rendu ; l'évêque d'Adran, et les officiers français, élevés à la dignité de mandarins cochinchinois, jouirent à sa cour de la plus haute faveur.

Jusqu'à la fin de son règne, arrivée en 1820, Gya-long protégea les Européens et favorisa la propagande catholique. Il n'en fut pas de même sous ses successeurs Ming-mang (1820-1841), Thien-tri (1841-1847) et Tu-duc , l'empereur actuel. Les Européens furent chassés, et les chrétiens se virent en butte aux plus cruelles persécutions, inspirées non point par le fanatisme religieux, mais, comme en Chine, par un sentiment purement politique. Ming-mang craignait que le catholicisme n'amenât à sa suite la conquête européenne, et il entendait fermer absolument aux étrangers l'accès de son empire.

À plusieurs reprises, de 1820 à 1855, la France et l'Angleterre envoyèrent des navires de guerre dans la baie de Tourane, soit pour ouvrir à l'amiable des négociations commerciales, soit pour réclamer contre les mauvais traitements infligés aux missionnaires et aux chrétiens.

Toutes les tentatives demeurèrent impuissantes. Enfermé dans Hué, sa capitale, l'empereur se sentait hors de la portée des vengeances européennes, et ne s'inquiétait point des boulets qui pouvaient détruire la bourgade de Tourane. Cependant une pareille situation ne pouvait se prolonger. Les martyrs se multipliaient ; plusieurs prêtres français et un évêque espagnol, Mgr Diaz, ayant été mis à mort, les gouvernements de France et d'Espagne se concertèrent pour l'envoi d'un corps d'armée en Cochinchine. En 1858, notre pavillon parut devant Tourane, a une quinzaine de lieues de Hué. La ville fut prise et ses défenses détruites ; mais les forces dont le chef de notre escadre disposait (c'était l'amiral Rigault de Genouilly) ne suffisaient pas pour avancer plus loin dans cette direction par l'intérieur des terres. Un autre parti, qui parut à là fois plus sûr et plus efficace, fut adopté. Notre escadre se porta au sud en longeant la côte, et vint prendre position devant les bouches du Me-Kong. Saigon, capitale de la basse Cochinchine, est assise sur un des bras du fleuve, à quelques lieues de la mer. Des défenses formidables en couvraient les approches ; elles furent emportées d'un seul élan, quoique bravement défendues, et, le 17 février 1859, les couleurs françaises, flottant sur la ville, annonçaient que la seconde cité de l'empire annamite avait changé de maître. Cet échec, cependant, ne suffit pas pour amener l'empereur Tu-duc à composition ; fortement retranché dans sa capitale, protégé par des troupes nombreuses échelonnées dans le pays, et, d'ailleurs, excité à la résistance par l'empereur de la Chine, il attendait que les 600 ou 700 hommes que nous avions a Saigon, décimés par les chaleurs extrêmes d un climat nouveau pour nous, se vissent contraints d'abandonner leur conquête, comme ils nous avaient vus abandonner Tourane. Ce calcul fut déçu. Deux années d'occupation n'avaient pas lassé nos braves soldats, lorsque le traité de Tien-tsin (15 octobre 1860), en réglant nos griefs du côté de la Chine, vint nous rendre la pleine disposition de nos forces dans les mers orientales. Un renfort important fut immédiatement dirigé sur la Cochinchine. Nous pûmes alors reprendre une vigoureuse offensive. L'effet ne s'en fit pas longtemps attendre ; en 1861, la prise de Mytho et de Bien-Hoa, sur le continent, l'occupation des îles Poulo-Condor ; en 1862, la prise de Vinh-long, déterminèrent l'ennemi à demander la paix, laquelle fut conclue, le 5 juin 1862, à Saigon, entre les plénipotentiaires annamites et l'amiral Bonard, aux conditions suivantes : L'empereur Tu-duc payera 24 millions de francs, dont 21 à la France et 3 à l'Espagne. Cette indemnité devra être acquittée dans l'espace de dix ans. L'empereur d'Annam ouvrira à notre commerce trois ports dans le Tonkin. Les missionnaires français et espagnols et les catholiques habitant l'empire seront traités et respectés à l'égal des autres sujets de l'empereur. Tu-duc s'engage à ne céder aucune partie de son territoire sans y être autorisé par la France. La France conservera trois provinces sur les quatre qu'elle a conquises. La province de Viuh-long sera rendue au roi Tu-duc dès que les autres provinces seront complètement pacifiées et organisées. Les trois provinces de l'ouest de la basse Cochinchine seront gouvernées par un vice-roi, qui ne pourra y recevoir aucune troupe sans l'assentiment du gouvernement français. Les trois provinces que garde la France sont celles de Saigon, Bien-Hoa et Mytho. Ce traité a fait passer sous notre souveraineté un territoire qui peut équivaloir en étendue à cinq ou six de nos départements, et nous a donné un million de sujets asiatiques. Depuis cette époque, notre colonie a pris de nouvelles extensions et semble marcher vers un grand avenir de prospérité.

Les détails suivants, qui font connaître exactement la situation de notre colonie cochinchinoise, sont empruntés au Livre bleu de 1867. Pour couper court aux insurrections qui troublaient nos frontières et les États de notre allié, le roi de Cambodge, les trois provinces de Vinh-long, Choudoc et Hatien ont été annexées à notre colonie, et cette annexion, appelée par le vœu des populations laborieuses opprimées par les mandarins et troublées par la piraterie, a eu lieu sans effusion de sang. Outre les avantages résultant pour nous d'une occupation qui nous procure 477 000 sujets nouveaux, une augmentation de 123 000 hectares de terres cultivées, la possession exclusive des grands fleuves et des canaux importants qui forment les principales artères commerciales de la basse Cochinchine, enfin un supplément de revenus de 3 millions, cet agrandissement nous donne de sérieuses garanties de sécurité. Il sera, de plus, possible de faire verser par la colonie au Trésor de l'État un contingent de 1 million de francs en 1868. La récolte du riz en 1866-1867 a été très abondante. Les exportations de cette denrée à la Réunion, en Europe, au Japon et en Amérique, se sont élevées a 113 725 tonnes. On signale un développement intéressant des autres cultures, telles que la canne à sucre, le tabac, le bétel et les arachides. L'étendue des terres cultivées est évaluée à 157 397 hectares. Il a été vendu à Saigon 9831 mètres de terrain urbain, et 2199 hectares de terrains ruraux ; 48 hectares ont été concédés gratuitement. Ou sait que le port de Saigon jouit de la liberté commerciale la plus large ; les navires n'ont qu'à y payer un droit d'ancrage, commun à tous les pavillons. Aussi le mouvement d'entrée et de sortie prend-il un développement croissant. On évalue à 887 le nombre des navires qui y ont participé du 1er juillet 1866 au 30 juin 1867, et à 55 millions la valeur de la cargaison, à l'importation et à l'exportation. D'autre part, le cabotage a employé, pendant le même laps de temps, plus de 9000 barques annamites jaugeant ensemble 150 000 tonnes.

Les grands travaux, entrepris tant à Saigon que dans les principaux centres de population, améliorent chaque jour les conditions de notre occupation. Le réseau télégraphique qui occupe déjà un développement de 407 kilomètres, va s'augmenter d'un nouveau parcours de 87 kilomètres. Les progrès moraux suivent le même mouvement ascensionnel ; on compte aujourd'hui dans la colonie institutions ou écoles recevant 1240 élèves ; on s'occupe d'en créer de nouvelles et de recruter un supplément de personnel enseignant. Un service typographique a été également organisé le 1er février 1862, et a pris le titre d'imprimerie impériale de Saigon. Il comprenait à cette époque 5 ouvriers (1 compositeur, imprimeur, 1 écrivain autographe, 1 imprimeur lithographe et enfin 1 relieur) ; le matériel comprenait 2 presses typographiques à bras et 1 presse lithographique. Huit jours après, c'est-à-dire le 8 février 1862, l'imprimerie était en pleine activité, et la première impression sortie des presses fut une proclamation adressée à l'armée de terre et à la marine par le commandant en chef du corps expéditionnaire, M. le contre-amiral Bonard, qui venait de terminer une courte, mais brillante campagne contre les Cochinchinois opposés à notre domination. D'un autre côté, M. Aubaret, lieutenant de vaisseau et directeur des affaires indigènes, fit venir de Canton trois artistes chinois chargés de graver et d'imprimer en langue du pays un journal officiel destiné à faire comprendre à ces peuples les bienfaits de notre occupation ; ce journal était rédigé en entier par M. Aubaret, aujourd'hui capitaine de frégate et consul de France à Bangkok (Siam), qui connaît on ne peut mieux les signes idéographiques usités dans ces contrées lointaines. Aujourd'hui l'imprimerie de la Cochinchine est en pleine prospérité ; le matériel a été augmenté considérablement ainsi que le personnel. Dans l'origine, le journal qui se publiait avait pour titre : Bulletin officiel de l'expédition de la Cochinchine, et paraissait sous format in-8°, c'est-à-dire qu'il faisait volume ; le nouveau gouverneur, M. de La Grandière, a transformé ce journal, et aujourd'hui il est intitulé Journal officiel de Saigon, et contient des annonces commerciales, les entrées et sorties du port de Saigon, etc., enfin des articles divers sur le pays et les actes officiels.

Linguistique.

La langue cochinchinoise appartient à la famille indo-chinoise du groupe des idiomes de la région transgangétique, système des langues monosyllabiques ultra indiennes de Logan. Elle est parlée par les Cochinchinois, nation la plus nombreuse de l'empire d'Annam, et son vocabulaire diffère peu de celui du Tonkin et du cambodgien. La prononciation cochinchinoise est d'une difficulté insurmontable pour beaucoup d'Européens ; elle consiste principalement dans l'accent, qui distingue par des nuances délicates d'intonation des syllabes identiques sous les autres rapports. D'après Taberd, le système phonétique du cochinchinois comprend douze voyelles simples, trente et une diphtongues, vingt et une triphtongues, vingt-six consonnes initiales et huit consonnes finales. On se sert, pour les écrire, des caractères chinois de la classe des phonétiques. Comme en chinois, les mots de cette langue sont dépourvus de flexions, et la grammaire renferme beaucoup de formes analogues à celles de la grammaire chinoise. On ne saurait être surpris d'une telle affinité, qui doit être attribuée a l'introduction de là langue chinoise dans l'empire d'Annam par une colonie de 500 000 Chinois qui allèrent s'y établir vers l'an 215 av. J.C., refoulant les aborigènes dans les montagnes, entre la Cochinchine et le Cambodge. Depuis plus de vingt siècles, cette langue s'est modifiée considérablement, sans cesser pour cela d'être, au fond monosyllabique. Un assez grand nombre de termes étrangers à la langue mère, et exprimant des idées relatives à l'état de civilisation, aux arts et au commerce, ont été empruntés par les Cochinchinois à tous les peuples avec lesquels ils ont eu des rapports. Il est même probable que, de nos jours, la langue française exercera quelque influence sur le langage des habitants des contrées qui sont tombées en notre pouvoir. Le cochinchinois n'a pas de mots qui correspondent exactement au verbe être. Il omet entièrement ce verbe dans certaines circonstances, et, dans d'autres, il le remplace par le mot men, qui signifie convenir. On peut consulter sur cet idiome la Grammaire de la langue annamite, par Aubaret (Paris, 1804, in-8°), et le Dictionnaire annamitico-latin de Pigneaux, publié par Thaberd (Serampore, 1838, 2 vol. in-4°).

Et, pour terminer sur une note humoristique,

Peut-on parler d'Annam et d'Annamites sans évoquer la célèbre chanson...

Ma petite Tonkinoise

De Pierre-Paul Marsalés, dit Polin, né à Paris le 13 août 1863, mort à La Ferté-sur-Seine (Seine-et-Oise) le 8 juin 1927, une des gloires du music-hall et du café-concert avec Mayol, Dranem et Fragson.

« Bonhomme, finaud et pudique, sachant esquiver le mot scabreux sans perdre une intention, n'insistant jamais plus qu'il ne faut sur un effet, avec un art tout en nuances, servi par une voix ni trop forte, ni trop étendue, mais d'une extrême souplesse, Polin ne lassa jamais son public qui lui réclama chaque soir une dizaine de chansons qui, lancées par lui, ne tardaient pas à devenir populaires. » (Henri Lyonnet)

Cette chanson qui, par la suite, sera reprise avec un immense succès par Joséphine Baker a une curieuse histoire :

De passage à l'Alcazar de Marseille, Polin se fait remettre par un nouveau compositeur (Vincent Scotto) une chanson qui s'intitule « El Navigatore » :

Je ne suis pas un grand actore
Je suis navi, navi, navi, navigatore
Je connais bien l'Amérique
Aussi bien que l'Afrique
J'en connais bien d'autres encore
Mais de ces pays joyeux
C'est la France que j'aime le mieux.

Polin aime bien l'air mais pas les paroles. Il la confie à Christiné et lui demande d'écrire d'autres paroles.

Extrait du site Du Temps des Cerises aux Feuilles Mortes


Et ainsi naquit La petite Tonquinoise.

Pour qu'j'finisse, mon service, au Tonkin je suis parti
Ah quel beau pays mesdames, c'est l'paradis des p'tites femmes
Ell's sont belles, et fidèles, et je suis dev'nu l'chéri
D'une petit' femm' du pays, qui s'appell' Melaoli.

Je suis gobé d'une petite,
C'est une anna, c'est une anna, une annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un oiseau qui chan-an-te
Je l'appell' ma p'tite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Y'en a d'autres qui m'font les doux yeux
Mais c'est elle que j'aim' le mieux.

L'soir on cause de tas d'choses, avant de se mettre au pieu
J'apprends la géographie, d'la Chine et d'la Mandchourie
Les frontières, les rivières, le fleuv' jaun' et le fleuv' bleu
Y'a mêm' l'amour c'est curieux, qu'arros' l'empir' du milieu.

Je suis gobé d'une petite,
C'est une anna, c'est une anna, une annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un oiseau qui chan-an-te
Je l'appell' ma p'tite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Y'en a d'autres qui m'font les doux yeux
Mais c'est elle que j'aim' le mieux.

Trés gentille, c'est la fille, d'un mandarin très fameux
C'est pour ça qu'sur sa poitrine, ell' a deux p'tit's mandarines
Peu gourmande, ell' me d'mande, quand nous mangeons tous les deux
Qu'un' bannane c'est peu couteux, moi j'y donn' autant qu'ell' veut.

Je suis gobé d'une petite,
C'est une anna, c'est une anna, une annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un oiseau qui chan-an-te
Je l'appell' ma p'tite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Y'en a d'autres qui m'font les doux yeux
Mais c'est elle que j'aim' le mieux.

Mais tout passe, et tout casse, en France je dus rentrer
J'avais l'cœur plein de tristesse, d'quitter ma chère maîtresse
L'ame en peine, ma p'tite reine, était v'nue m'accompagner
Mais avant d'nous séparer, je lui dis dans un baiser

Ne pleur' pas si je te quitte
Petit' Anna, petit' Anna, p'tite Annamite
Tu m'as donne ta jeuness' ton amour et tes caress-es-ses
T'etais ma petite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Dans mon cœur j'gard'rai toujours
Le souv'nir de nos amours
Dans mon cœur j'gard'rai toujours
Le souv'nir de nos amours.

Ma Petite Tonkinoise

Joséphine Baker

Extrait de la chanson interprétée par Joséphine Baker en 1930