Charles Lindbergh et le compas Pioneer

Dans les explications qui suivent, il faut se situer dans le contexte et les connaissances de 1927

La boussole magnétique ordinaire présente de graves inconvénients

Boussole magnétique de Linfbergh

Boussole magnétique de Lindbergh

1° On sait que le champ magnétique terrestre agit dans deux directions sur une aiguille aimantée. Dans le sens horizontal, il oriente cette aiguille vers le nord magnétique (déclinaison). Mais il agit aussi dans le sens vertical, et l'inclinaison magnétique terrestre peut fausser complètement les indications de l'aiguille, dès que la « rose » n'est plus horizontale, lorsque l'avion est en virage par exemple (malgré sa suspension, la force centrifuge fait incliner cette rose). Pour certains caps, si l'angle d'inclinaison atteint seulement 30° pendant quelques minutes, l'aiguille finit par marquer le sud au lieu du nord,

2° La rose peut être entraînée par les mouvements du liquide amortisseur et par le frottement du pivot sur sa cuvette. Les vibrations de l'avion peuvent même arriver, dans certains modèles, à faire tourner la rose indéfiniment, comme un chapeau de clown au bout d'une canne,

3° L'inertie de la rose est grande et la position d'équilibre est lente à être obtenue,

4° Enfin, le voisinage des pièces magnétiques de l'avion (moteur, magnéto, leviers, etc.) oblige à faire une compensation importante, compensation qui, dans les grands voyages, peut être exacte au départ et fausse à l'arrivée.


Ce qu'est le compas magnétique a induction terrestre

C'est à peu près le seul instrument dont Lindbergh se soit servi constamment, durant sa grande traversée, pour son orientation.

Le compas magnétique à induction terrestre, inventé par M. Titterington, de la « Pioneer Instrument C° », se compose essentiellement d'une petite dynamo à courant continu, d'un contrôleur et d'un voltmètre sensible.

On sait qu'une dynamo ordinaire comprend un induit tournant et d'un inducteur fixe qui crée le champ magnétique dans lequel se meut l'induit. On sait également que, lorsqu'un conducteur électrique se déplace dans un champ magnétique, il est le siège d'une force électromotrice, et que, si l'on réunit les deux extrémités de ce conducteur par un fil de cuivre, celui-ci est parcouru par un courant. Si on branche un voltmètre sensible aux bornes de ce conducteur, on peut déceler la force électromotrice engendrée.

Or, l'induit d'une dynamo n'est autre chose qu'un ensemble de tels conducteurs reliés entre eux de façon à ce que les forces électromotrices engendrées dans chacun d'eux s'ajoutent. Donc le mouvement de l'induit entre les pôles de l'inducteur donnera naissance à une force électromotrice. Pour la déceler, il faut pouvoir connecter un voltmètre sur cet induit. On ne peut le faire qu'au moyen d'un artifice. C'est pourquoi on utilise des balais (diamétralement opposés si l'inducteur n'a que deux pôles), frottant sur les lames d'un collecteur reliées électriquement aux bobines de l'induit.

On peut alors constater que, si l'on fait tourner, par un moyen quelconque, la ligne idéale qui joint les balais autour du centre de l'induit, la force électromotrice passe par un maximum lorsque cette ligne de balais est perpendiculaire à la direction du champ magnétique, et qu'elle s'annule lorsqu'elle est dirigée dans le sens du champ magnétique de l'inducteur.

Dynamo du compas Pioneer

Compas Pioneer - Induit et commande des balais

La dynamo du compas Pioneer comporte un induit avec ses balais, mais l'inducteur est remplacé par le champ magnétique terrestre lui-même. L'induit est mis en mouvement par un moulinet ou une petite hélice que le vent, créé par la vitesse de l'avion, fait tourner entre 2000 et 2500 tours par minute.

On voit immédiatement que, si la ligne des balais est dirigée dans le sens du champ magnétique terrestre (nord-sud), la force électromotrice indiquée par le voltmètre sera nulle ; elle sera maximum pour un direction perpendiculaire (est-ouest).

L'orientation de la ligne des balais est commandée par le pilote au moyen d'un contrôleur d'angle muni d'une manette, dont le mouvement est transmis par un arbre flexible au boîtier portant les balais. Grâce à cette transmission, on peut donc placer la dynamo en un point quelconque de l'avion et, par conséquent, l'éloigner le plus possible des masses magnétiques qui modifieraient le champ terrestre.


Contrôleur du compas Pioneer

Compas Pioneer - Contrôleur d'angle du compas

Sur ce contrôleur, une rose des points cardinaux permet de lire l'angle que fait l'axe de l'avion avec la ligne des balais, tandis qu'un petit voltmètre voisin mesure la force électromotrice de la dynamo. Ainsi, quand la tension au voltmètre est nulle, la ligne des balais a la direction nord-sud, et l'avion fait évidemment, avec cette direction, l'angle inscrit sur le contrôleur.


Comment l'appareil était utilisé par Lindbergh dans son vol.

Des calculs minutieux faits avant son départ, tenant compte de la vitesse et de la direction moyennes du vent qu'il devait rencontrer, et, par suite, de la dérive probable, avaient permis de déterminer à l'avance le cap que le Spirit of Saint-Louis devait avoir, à chaque instant, pour suivre le trajet prévu sur la carte. Ce tracé se rapproche d'un grand cercle terrestre, distance la plus courte entre deux points de notre planète. Toutes les heures, Lindbergh devait changer son cap.

Voltmètre du compas Pioneer

Compas Pioneer - Voltmètre

Supposons qu'au départ le cap doive être de 45°. Le pilote place, au moyen du contrôleur, la ligne des balais à 45° de la direction de son fuselage et il manœuvre ensuite l'avion tout entier jusqu'à ce que l'aiguille du voltmètre marque zéro. À ce moment-là, d'après les remarques faites plus haut, il aura placé la ligne des balais dans la direction nord-sud et, par conséquent, l'avion sera dirigé à 45° de ladite direction. En ayant simplement l'œil fixé sur le voltmètre, il devra donc piloter de sorte que son aiguille reste au zéro. Toute déviation de celle-ci lui indiquerait que son orientation change et doit être rectifiée. Au bout du temps fixé pour le changement de cap, l'aviateur met la manette du contrôleur sur le nouvel angle et ramène l'aiguille du voltmètre au zéro par une manœuvre convenable de l'avion.


Il faut remarquer que cet appareil, très précis et très sûr, n'est sujet à aucune des causes d'erreurs que nous avons signalées pour la boussole ordinaire. L'induit, suspendu à la cardan, joue le rôle d'un gyroscope et garde sa position horizontale dans les virages courants ; les variations électriques sont instantanées et donnent des indications immédiates au voltmètre ; la compensation est très faible, car l'induit est situé loin des pièces magnétiques de l'avion (sur l'avion de Lindbergh, on n'eut à compenser que la présence d'un seul tendeur). Les variations d'une compensation très faible deviennent donc négligeables, même pour un grand voyage.

Dans un orage magnétique, les perturbations occasionnées au compas par suite des variations du champ magnétique terrestre sont instantanées et la moindre accalmie permet de lire une indication exacte au voltmètre, tandis qu'avec une boussole ordinaire, les mouvements sont lents et aucune précision n'est plus possible.

On s'explique ainsi que Lindbergh n'ait fait qu'une erreur de quatre kilomètres à son arrivée en Irlande. Il ne faut pas oublier cependant que tout cela est dû à un calcul scientifique des différents caps à suivre, en tenant compte de la dérive probable et que ces calculs auraient pu être déjoués par des conditions atmosphériques défavorables.

Source : Science & Vie N°123 de septembre 1927