Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siécle de Pierre Larousse

CAVENDISH (Henri)

Illustre physicien et chimiste anglais, né à Nice le 10 octobre 1731, mort à Londres le 24 février 1810.

Il était le second fils de lord Charles Cavendish, duc de Devonshire. Comme tous les cadets de famille en Angleterre, il n'eut d'abord à sa disposition qu'un fort modeste patrimoine. Au lieu de briguer quelque sinécure ou de chercher dans la carrière des fonctions publiques un supplément à ses ressources, le jeune homme se livra à l'étude des sciences avec ardeur, avec passion , et ne tarda pas à faire des découvertes qui ont largement contribué aux progrès de la chimie moderne. Les écrits où il les expose sont autant de chefs-d'œuvre de sagacité et de méthode. Ses expériences sur l'air atmosphérique, dont il a donné la première analyse exacte, et dans lequel il a montré la présence du gaz acide carbonique ; la découverte de la composition de l'eau et de l'acide nitrique ; celle des propriétés du gaz hydrogène ; la détermination de la densité moyenne du globe, etc., constituent des titres à une gloire scientifique des plus légitimes et des plus brillantes.

Ce qu'on admire surtout dans Cavendish , c'est une précision exacte, rigoureuse, inflexible, dans toutes ses expériences, précision qui a eu pour avantage de le conduire à des découvertes qui avaient échappé à des savants de premier ordre, tels que Scheele et Priestley. En 1773, un oncle de Cavendish, qui avait réalisé une immense fortune aux Indes, revint en Angleterre. Mécontent que la famille eût négligé son neveu, dont il avait reconnu le mérite, il en fit à sa mort son unique héritier. Cavendish, pourvu tout à coup de trois cent mille livres de rente, se trouva-ainsi le plus riche de tous les savants. Mais il ne changea rien pour cela à la simplicité de ses habitudes. C'était un homme singulier, et savamment singulier.

Parmi les nombreux problèmes qu'il avait résolus, il mettait au premier rang celui de ne perdre ni une minute ni une parole ; et il en avait trouvé en effet une solution si complète, qu'elle doit étonner les hommes les plus économes de temps et de mots. Ses gens connaissaient à ses signes tout ce qu'il lui fallait et comme il ne leur demandait presque rien, ce genre de dictionnaire n'était pas très-étendu. Il n'avait jamais qu'un habit, que l'on renouvelait à des époques fixes, toujours avec du drap de même qualité et de même couleur. Enfin, l'on va jusqu'à dire que quand il montait à cheval il devait trouver ses bottes toujours au même endroit et le fouet dans l'une des deux, toujours la même.

Une occasion d'assister à quelques expériences nouvelles, ou de converser avec quelqu'un qui pût l'instruire ou qui eût besoin de ses instructions, était seule capable d'interrompre l'ordre établi ; ou plutôt ce genre d'interruption, étant prévu, faisait lui-même partie de cet ordre. Alors Cavendish s'abandonnait tout entier au plaisir de causer, et sa conversation ne s'arrêtait point, que tout ne fût éclairci. Dans tout le reste, son train de vie avait la régularité et la précision de ses expériences. Quand il fut devenu plusieurs fois millionnaire, on ne s'en aperçut qu'à quelques signes de plus, imaginés pour indiquer l'emploi que l'on devait laire de l'excédant de son revenu. Encore, pour obtenir ces nouveaux signes, fallait-il que son banquier le pressât à plusieurs reprises. Ce banquier l'avertit un jour qu'il avait laissé accumuler jusqu'à dix-huit cent mille francs, et que l'on ne pouvait plus sans honte garder une si forte somme en simple dépôt ; ce qui prouve assurément autant de délicatesse d'un côté que d'insouciance de l'autre. Il arriva ainsi que de signes en signes et de placements en placements, Cavendish finit par laisser trente millions. Cependant il s'était constamment montré généreux et bienfaisant. Il avait soutenu et avancé plusieurs jeunes gens qui annonçaient du talent; il avait créé une grande bibliothèque et un cabinet de physique très-riche, et il les avait consacrés si complètement au public, qu'il ne s'était réservé aucun privilège, empruntant ses propres livres avec les mêmes formalités que les étrangers, et s'inscrivant comme eux sur le registre du bibliothécaire. Un jour, le gardien de ses instruments de physique vint lui dire avec humeur qu'un jeune homme avait cassé une machine très-précieuse et qui avait coûté très-cher. « Il faut, répondit-il, que les jeunes gens cassen des machines pour apprendre à s'en servir ; faites-en faire une autre. »

La vie réglée de Cavendish lui a donné des jours longs et exempts d'infirmités. Jusqu'à la fin de sa vie, il a conservé l'agilité de son corps et la force de son génie ; il dut probablement à la réserve de ses manières, au ton modeste et simple de ses écrits, cet autre ayantage non moins grand, celui dont les hommes de génie jouissent le plus rarement, que jamais la jalousie ni la critique ne troublèrent son repos. Comme Newton, son grand compatriote, il est mort plein de jours et de gloire, chéri de ses émules, respecté de la génération qu'il avait instruite, célébré dans l'Europe savante, offrant à la fois au monde le modèle accompli de ce que tous les savants devraient être, et l'exemple touchant du bonheur qu'ils devraient avoir en partage. Il mourut à Clapham-Common, près de Londres, à l'âge de soixante-dix-neuf ans.

Cavendish était membre de la Société royale de Londres depuis1 1760 et de l'Académie des sciences de Paris depuis 1802. Tous ses écrits ont été insérés dans les Transactions Philosophiques.

La plus célèbre des expériences de Cavendish est celle par laquelle il détermina la densité du globe terrestre. L'idée ne lui en appartenait pas, elle est due à Mitchell, aussi bien que l'appareil même dont Cavendish fit usage. Cet appareil se composait essentiellement d'un levier horizontal à bras égaux, suspendu par son milieu à l'extrémité d'un fil métallique sans torsion, et terminé à ses deux bouts par de petites balles en plomb, de même masse, qui pouvaient être écartées de leur position naturelle d'équilibre par l'attraction combinée de deux sphères massives, pesant chacune 158 kg, qui, portées par une règle tournant autour de son milieu, situé dans le prolongement du fil, à une très-petite distance de son extrémité, étaient amenées près des deux petites sphères mobiles ; l'appareil était enfermé dans une chambre où l'on n'entrait pas pendant l'expérience, les déviations du levier s'observant du dehors au moyen de lunettes fixes munies de réticules dont les lignes de visée, lors de l'équilibre naturel du levier, aboutissaient aux divisions 0 d'arcs en ivoire fixés aux deux petites balles, tandis qu'elles pouvaient tomber sur les autres divisions lorsque le levier était dérangé de sa position primitive. Lorsque les grosses sphères étaient approchées des petites, l'équilibre s'établissait entre la force attractive exercée par elles et la réaction du fil. Cette réaction, proportionnelle à l'angle d'écart, se réduisait en définitive à un couple de forces appliquées aux deux petites balles et qui devaient être égales et directement opposées aux attractions exercées sur elles par les deux grosses sphères, placées sur le cercle qu'elles pouvaient décrire. Chacune des forces du couple représentant la réaction du fil avait été préalablement déterminée, conformément à la théorie de la balance de torsion, au moyen de la durée d'une oscillation du levier, non influencé par les grosses boules, que l'on plaçait momentanément aux extrémités du diamètre perpendiculaire à celui dans la direction duquel s'établissait l'équilibre naturel. Cavendish a successivement employé deux fils oscillant en des temps très-différents, et il a trouvé dans les deux cas 5,48 pour la densité moyenne de la terre comparée à l'eau. Depuis Cavendish, les mêmes expériences ont été reprises d'abord par M. Reich, qui a retrouvé à peu près le même résultat, ensuite par M. Baily, qui obtint pour moyenne d'un grand nombre d'expériences D = 5,67.