Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siécle de Pierre Larousse

MÉCANICIEN, IENNE s. (mô-ka-ni-siain, iè-ne - rad. mécanique)

Personne qui possède la science de la mécanique ; personne qui invente ou construit des machines : Cet automate est l'ouvrage d'un très habile MÉCANICIEN.

Il était naturel aux hommes de suppléer à la faiblesse de leurs bras par les moyens que la nature avait mis à leur portée, et ils ont été MÉCANICIENS avant de chercher à l'être.

Un mécanicien est un ouvrier ; mais par les connaissances qu'exigent ses fonctions, par la responsabilité qui lui incombe, il est placé sur la limite des professions libérales et des professions manuelles. Aussi sa paye est généralement élevée ; mais il faut bien dire qu'elle n'est encore qu'une faible rémunération des services qu'il rend, des souffrances qu'il endure, des dangers qu'il court. Le sort des mécaniciens de chemins de fer est particulièrement rude. Exposés sans abri, ou à peu près, à la chaleur suffocante du foyer et en même temps aux intempéries des saisons, au vent, à la pluie, à la neige, à la tempête ; sans cesse attentifs, au milieu da la nuit, à surveiller, en même temps que leur machine, la voie devant et derrière, sentant qu'ils entraînent, après eux, des centaines de vies qui sont comme suspendues à leur poignet ; préoccupés d'un signal lointain, d'un bruit suspect, d'un frottement insolite ; astreints à régler mathématiquement leur marche, payant d'une amende toute avance ou tout retard, ils savent de plus qu'ils seront les premières et les plus sûres victimes de tout accident causé par leur négligence ou par des causes qu'ils n'ont pu prévoir ni prévenir. S'ils échappent comme par miracle à la catastrophe, la justice criminelle les attend pour leur demander compte des homicides qu'ils peuvent avoir commis par imprudence.

Enfin, pour achever cette peinture déjà si sombre, ajoutons que tout mécanicien qui compte un certain nombre d'années de service est infailliblement atteint de certaines affections propres à son état et que les spécialistes attribuent, les uns aux trépidations de la machine, les autres à l'action du courant d'air.

De quel prix pourrait-on payer tant de risques et de souffrances ? Traités par certaines compagnies avec une légèreté impardonnable, congédiés pour un léger motif ou sans sujet, les mécaniciens s'étaient crus en droit, dans ces derniers temps, de réclamer en cas de renvoi une indemnité. Les mécaniciens ont été condamnés, et les sentences des tribunaux leur ont rappelé qu'ils ne sont que des ouvriers, soumis comme tels au bon plaisir de ceux qui les emploient. Mais le procès jugé par la justice ne pourrait-il être repris par l'humanité ? Malheureusement, les sentences de celle-ci ne sont nullement obligatoires. Aussi les mécaniciens, hommes actifs et intelligents, profitant de la sympathie que leur ont value leurs procès perdus devant la justice, mais gagnés devant l'opinion, en ont appelé par une pétition à l'Assemblée souveraine, et déjà (1873) l'on parle d'un projet de loi qui réglerait les rapports des compagnies et de leurs mécaniciens. Le succès de cette démarche est encore douteux ; mais les mécaniciens se sont avisés d'un autre moyen plus certain ; ils ont fondé l'Union commerciale et industrielle des mécaniciens et chauffeurs, qui a réuni dès son début un capital de 70 000 fr. Grâce à cette fondation, grâce aux ateliers que les associés comptent établir et qui leur permettront de ne plus redouter les chômages, ils acquerront enfin cette indépendance, malheureusement si rare, et qui peut seule affranchir le travail de la tyrannie du capital.

Les mécaniciens de la flotte ont une situation non moins pénible, mais beaucoup moins précaire. On distingue parmi eux le mécanicien principal, qui a le titre d'oflicier, et qui est profondément instruit de tout ce qui "touche à la théorie et à la pratique de sa profession. Il est embarqué sur les bâtiments montés par un amiral ou un chef de station navale ; ses appointements s'élèvent à 3,500fr., et à la mer,il reçoit un supplément de 2,625 fr. Après lui viennent les premiers maîtres, qui ont la direction de la machine sur la plupart des grands navires ; les seconds maîtres, sortis pour la plupart des écoles des arts et métiers. Quand leur habileté a été prouvée, on leur confie les fonctions de chef sur les avisos et autres bâtiments de force inférieure. Ils ont sous leurs ordres les quartiers-maîtres mécaniciens Les mécaniciens sont l'âme de la machine. « D'eux dépendent la durée des appareils, dit l'amiral Paris, la sécurité du navire et l'honneur du pavillon. »

Les mécaniciens proviennent de trois origines différentes : l'engagement volontaire, le recrutement, l'inscription maritime. Ceux qui se présentent à l'engagement volontaire doivent prouver qu'ils sont ouvriers chaudronniers, forgerons, ajusteurs, etc. ; être âgés de 18 ans au moins et de 35 ans au plus ; avoir la taille de 1,625 m au moins. Le conseil de santé du port est appelé à reconnaître s'ils sont valides et aptes au service de la mer. Sa réponse affirmative détermine l'admission provisoire ; mais, avant de faire définitivement partie des équipages de la flotte, l'engagé volontaire doit subir une épreuve de trente jours de navigation sous vapeur, pour être accepté comme ouvrier chauffeur.

Le recrutement donne à la marine des ouvriers en métaux, des forgerons, des fondeurs, dont elle fait des ouvriers chauffeurs après qu'ils ont passé par les mêmes épreuves que les engagés volontaires. Enfin, un décret de 1857 (28 janvier) a soumis à l'inscription maritime « tous les individus employés, sous une dénomination quelconque, au service des machines à vapeur des bâtiments affectés à la navigation maritime. » Le service des mécaniciens est peu fatigant tant que le navire est au repos ; le nettoyage de la machine, la bonne tenue et l'entretien des divers organes, les réparations, le pesage, l'embarquement et la réception du charbon sont confiés à leurs soins et à ceux, des chauffeurs ; mais l'ordre du départ est à peine donné que commence pour eux la vie sérieusement active, le travail devant les feux.

Le travail du mécanicien de service est incessant ; il faut assurer un rivet, réparer une avarie, faire couler sur les articulations qui menacent de s'échauffer l'huile ou le suif fondu. À ces travaux, se joint la pensée d'un danger continu ; il suffit d'un faux pas, d'un coup de roulis inattendu pour que le mécanicien vienne rouler au milieu de ces organes aveugles et dont la force est irrésistible. Le chef mécanicien se promène dans un étroit sentier de fer et avise à tout.

Il n'y a pas de prescription réglementaire qui détermine d'une manière bien précise la distribution du service pour les chauffeurs et les mécaniciens. Le plus souvent, le chef mécanicien divise son monde en trois séries, pour arriver à ce que chaque homme ne fasse en heures pas plus de deux quarts, c'est-à-dire 8 heures de service, moitié de jour, moitié de nuit. Peu de professions impriment mieux leur cachet aux hommes qui l'exercent que celle des mécaniciens maritimes. « Ils sont maigres, dit M. le chirurgien de marine Rey, élancés, bruns le plus souvent, avec des cheveux noirs ; ils ont la physionomie expressive, le regard intelligent, la démarche facile et assurée ; peu chargés de graisse, la peau traduit nettement chez eux les saillies musculaires ; décolorée, pâlie par le rayonnement des feux, macérée par de longues sueurs, elle a des reflets onctueux qui rappellent les houilles grasses. »