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Pas d'envol sans visa du dentiste !

LA SÉCURITÉ AÉRIENNE

La peur du dentiste a été et reste encore le plus grand obstacle aux indispensables examens périodiques (biannuels, par exemple) préventifs. Aussi s'efforce-t-on, dans les collèges américains, de familiariser les adolescents avec les soins bucco-dentaires. Plusieurs fois par an, à l'occasion de fêtes, les élèves composent et jouent des saynètes où les principaux accessoires sont constitués par les brosses à dents, des dents elles-mêmes, ainsi que des produits d'hygiène.

Nous avons commencé, dans notre dernier numéro, la publication des plus intéressantes communications faites au récent Congrès international de la sécurité aérienne. Nous continuerons cette nécessaire vulgarisation par une très curieuse étude, tirée pour nos lecteurs d'un important rapport par son auteur lui-même, M. Robert Charlet, duquel on a pu lire déjà, il y a deux ans, dans nos colonnes, un chaleureux appel en faveur de l'aviation sanitaire, dont il est l'un des plus actifs animateurs.

Au cours du 1er Congrès international de la Sécurité aérienne, qui s'est tenu à Paris en décembre dernier, j'ai eu l'honneur de présenter une communication concernant « l'Hygiène dentaire, facteur de la sécurité des Pilotes ».

Le sujet pouvait paraître, au premier abord, assez inattendu ; mais la connaissance de plus en plus répandue (tout au moins dans le monde médical) des répercussions des états pathologiques de la bouche et des dents sur l'équilibre biologique des organes voisins : sinus et fosses nasales, systèmes oculaire et auriculaire, ainsi que sur la bonne santé générale de l'individu, en fournissait à la vérité une complète justification.

Sans qu'il soit indispensable pour les pilotes aviateurs d'être tous des athlètes complets, il importe essentiellement que leur organisme soit « équilibré » et garanti contre toute intoxication localisée ou diffuse susceptible d'engendrer des désordres parfois difficiles à combattre. C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'on institua les visites médicales régulières, codifiées par la Commission internationale de la Navigation aérienne et qui sont préalablement imposées à l'octroi ou au renouvellement de toute licence de pilote, d'observateur ou de mécanicien navigant de l'aéronautique civile.

En dehors des maladies acquises accidentellement ou par contagion, les causes principales d'un affaiblissement de l'organisme ressortissent soit à des troubles de nutrition (nourriture malsaine ou insuffisante, mastication défectueuse), soit à des phénomènes d'intoxication, parmi lesquels la pyophagie, les abcès dentaires, les kystes radiculo-dentaires, les accidents infectieux d'évolution des dents de sagesse sont les plus fréquents.

Avoir de bonnes dents et en nombre suffisant, conserver une bouche saine sont pour les aviateurs deux préceptes importants ; et je m'explique : Le labeur accompli par les pilotes aviateurs (je parle de ceux qui volent fréquemment, sinon journellement : pilotes militaires, pilotes des compagnies de navigation aérienne, réceptionneurs d'avions nouveaux, instructeurs, pilotes de raids ou coloniaux, etc.), tout en s'effectuant dans les meilleures conditions d'hygiène physique : grand air, altitude, n'en consomme pas moins une énergie vitale considérable. Pour entretenir celle-ci, en accumuler une réserve suffisante, il faut, non seulement se bien nourrir, mais surtout assimiler correctement cette nourriture par la mastication. Cette nécessité apparaît avec évidence pour les pilotes appelés à conduire les avions des lignes extérieures ou à participer à des expéditions lointaines, dans tes contrées aux installations rudimentaires, où la nourriture peut être à la fois insuffisante et de qualité inférieure.

D'autre part, les obligations d'un travail accompli dans l'espace, avec des escales distantes de plusieurs centaines de kilomètres (escales éloignées elles-mêmes des centres urbains), ne permettent pas des traitements suivis ou prolongés, si bien qu'en cas d'accident pathologique (sauf incapacité de voler), le pilote néglige de se faire soigner, ou se contente d'une thérapeutique rudimentaire.

Si, fort heureusement, cet état de choses n'engendre, la plupart du temps, que des conséquences bénignes, il arrive parfois, au contraire, qu'une banale carie dentaire, une dent de sagesse en éruption, un abcès borgne fixé aux racines d'une molaire coiffée d'or occasionnent des troubles graves, infectieux ou nerveux.

L'avion révèle les caries dentaires

Si l'usage, devenu fréquent, de la radiographie permet de déceler des anomalies pathologiques insoupçonnées, le vol en avion, par les phénomènes de dépression et de recompression atmosphériques engendrés par les variations d'altitude, peut être occasionnellement révélateur. C'est ainsi que le Dr Garsaux, l'éminent chef du centre médical de la navigation aérienne au Bourget, relate le fait suivant :

« À deux reprises, des pilotes nous ont signalé des douleurs au niveau de grosses molaires, survenues au cours de la montée. Celles-ci étaient provoquées par des caries dentaires avec petits abcès gazeux qui se distendaient. »

À terre, rien ne permettait d'incriminer des organes d'apparence normale et dont les obturations ne présentaient aucune fissure.. Cependant, à l'extrémité des racines, de petites poches contenant des gaz de fermentation, des granulomes, s'étaient insidieusement développées. N'ayant aucune communication avec l'extérieur, lorsque les aviateurs prenaient leurs essors et gagnaient une altitude où la pression de l'air se manifestait plus faible, les gaz contenus dans le granulome augmentaient de volume, et la dilatation de la poche occasionnait alors des névralgies par compression de filets nerveux.

Chez un homme sain, le vertige, qui peut se manifester en ballon captif, au sommet d'un monument ou sur les pentes abruptes d'une montagne, est totalement ignoré en avion, attendu que ce trouble psycho-physiologique est en général déterminé (selon le Dr Beyne), par « une discordance entre les notions recueillies par l'œil et les impressions d'ordre sensitif ou labyrinthique ». Si une irritation nerveuse occasionnée par une dent malade est transmise par le nerf maxillaire inférieur à la corde du tympan, ou bien si les toxines sécrétées au niveau d'une infection dentaire, cheminant à travers la trompe d'Eustache, viennent contaminer les organes de l'oreille interne, le sens de l'équilibre peut se trouver atteint et le vertige, alors, apparaître, avec toutes ses fâcheuses conséquences.

Méfiez-vous des dents de sagesse !

Décrivez votre denture

Décrivez les particularités de votre denture ! Gageons que bien peu de personnes, à cette question, pourraient répondre avec précision. Et cependant, de quelle utilité serait cette injonction : « Connais ta bouche !» Aussi oblige-t-on les petits écoliers américains à de fréquentes séances d'auto-inspection, avec abaisse-langue et glace à main.

Les accidents les plus redoutables sont ceux qui, si fréquemment, accompagnent l'évolution des troisièmes molaires inférieures ou dents de sagesse. Sous la gencive qui se soulève, prolifèrent des colonies microbiennes dont les toxines s'infiltrent à travers les tissus voisins, gagnant les ganglions du cou ou l'appareil auditif, siège du sens de l'équilibre. On voit tout le danger pour les pilotes et pour les passagers. D'autre part, les infections radiculaires des dents supérieures peuvent se propager à travers le sinus maxillaire, contaminant les fosses nasales pour, de là, atteindre la fosse orbitaire et les organes visuels.

Je n'entrerai pas dans le détail des affections de l'ouïe ou de la vue ayant une origine dentaire, mais il me suffit d'insister sur les périls courus par l'aviateur soumis au vertige, comme nous venons de le voir, en raison de troubles auriculaires, ou encore dont l'acuité visuelle est diminuée, la notion des distances obnubilée, pour faire comprendre tout l'intérêt qu'il y a, à s'efforcer d'en éliminer les causes.

Certes, les pilotes aviateurs bénéficient de cet immense avantage : la jeunesse (rares, en effet, sont ceux qui volent passé la quarantaine), qui donne à leur organisme cet « excédent de puissance » et cette faculté de récupération permettant les plus grands efforts. Mais c'est précisément à l'époque, de cet apogée physique que les accidents bucco-dentaires sont les plus fréquents et les plus redoutables ; aussi ces jeunes gens doivent-ils redoubler de vigilance à l'égard de leur denture.

Bon pied, bon œil bonnes dents !

Un des plus grands parmi les « As » de l'aviation mondiale : l'amiral Byrd, nous donne, sur ce sujet, une leçon magistrale : Avant de partir, en août 1928, pour son expédition au Pôle Sud, qui devait être si glorieuse, l'amiral aviateur tint à faire examiner et soigner tous ses collaborateurs. Aucun ne put s'embarquer sans le double visa du médecin et du dentiste ; le chef voulait les emmener, « non seulement en excellent état physique, mais aussi en excellent état bucco-dentaire », relate, dans le Milford News de juillet 1930, le Dr Clyde Nelson, dentiste de l'expédition, dont le matériel fut embarqué sur le City of New-York et dont les dévoués assistants n'étaient autres que les pilotes Bernt Balchen, Harold et June, et Gould, le charpentier du bord.

Et l'auteur, pour terminer, fait cette constatation, caractéristique : « Chaque homme, au retour, pesait plus qu'au départ ; nul n'avait eu le moindre rhume, et tous revinrent fervents et convaincus adeptes des bienfaits de la dentisterie préventive. »

Robert CHARLET, Chirurgien-dentiste, Ex-commissaire général du Premier Congrès international de l'Aviation sanitaire.



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