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Nous ne sommes, certes pas, de ceux qui considèrent l'automobile comme un moyen de transport dangereux en lui-même. Mais il est bien évident qu'avec « une auto pour cinq habitants » les routes seront quelque peu encombrées et les risques d'accidents plus nombreux. On devra en venir tôt ou tard aux routes de l'air, celles-ci « à trois dimensions », donc en nombre pratiquement infini. On y viendra d'autant plus vite que les avions sont appelés à devenir beaucoup plus faciles à conduire qu'une auto.
On cherche actuellement, - les résultats sont déjà très appréciables, - à rendre les appareils auto stables, c'est-à-dire capables de voler parfaitement sans l'intervention continuelle du pilote. Dès lors, ce dernier, débarrassé de toute préoccupation de conduite, peut participer aux joies du tourisme, ainsi que les autres passagers. L'avion vole tout seul et, en cas d'avarie du moteur, atterrit comme un parachute. Invention française, nous allons le voir.
Un avion en vol ne peut garder l'équilibre que s'il maintient son allure au delà d'une certaine valeur. En deçà, c'est la chute... Que de catastrophes imputables à la funeste perte de vitesse ! Que de glissades et de vrilles mortelles ! En sorte qu'actuellement même la science aéronautique, pour si perfectionnée qu'elle s'avère dans de très nombreux domaines, n'en demeure pas moins encore rudimentaire en ce qui concerne les possibilités de faible vitesse.
Accidents mis à part, ces défauts sont très sensibles normalement au décollage et à l'atterrissage. Il faut, pour s'envoler, atteindre l'allure minimum, par conséquent rouler longtemps, d'où nécessité de vastes terrains. Même difficulté, mais inverse, pour le retour au sol. Sous peine de tomber verticalement, l'avion doit maintenir une certaine vitesse ; il prend ainsi contact avec la terre à 75 kilomètres à l'heure, souvent même à 100, et parfois 150, ce qui ne laisse pas d'être dangereux, surtout s'il s'agit d'un atterrissage forcé en un point non préparé.
Encore ces deux impedimenta peuvent-ils recevoir certaines corrections : catapulte pour le départ et, pour l'arrivée, ralentissement par l'hélice et les freins. Quant au problème de l'équilibrage de l'avion dans l'air, quelle que soit sa vitesse, il faut bien avouer que les rares solutions proposées n'ont guère fourni de résultats efficaces.
Un dispositif cependant fait exception. Expérimenté depuis plus de vingt ans, il a été constamment amélioré, jusqu'à l'aboutissement à une formule pratique quasi idéale. Il s'agit du triavion, inventé par un technicien français, Albessard.
L'idée mère était la multiplication des points d'appui de l'engin dans l'air. D'après le promoteur, sécurité et confort devaient en être considérablement accrus. De 1910 à 1912 furent essayés de multiples modèles munis de moteurs en fil de caoutchouc. Tous ces prototypes sont caractérisés par une division de la surface portante, c'est-à-dire que l'aile de l'avion, au lieu d'être d'un seul tenant, comporte plusieurs segments répartis autour d'un fuselage central.
C'est en 1913 qu'après d'ultimes essais sur maquettes le premier appareil en vraie grandeur fut établi, et, piloté par Védrines, décolla. De cet engin initial, vraiment très nouveau, naquit en 1914 un second type, dont un de ses conducteurs a pu dire : « Une fois en ligne de vol, toute la manoeuvre consiste à lâcher les commandes, aussi longtemps qu'on désire marcher droit. »
Le début de la guerre interrompit les recherches, qui ne purent être reprises qu'en 1916. C'est au cours de cette seconde période, qui s'étend jusqu'en 1924, que fut définitivement mise en évidence la valeur de la formule des deux ailes séparées (la première à sa place normale, la seconde à mi-chemin entre le moteur et la queue). Et ce dispositif est encore amélioré par la création, au centre même de l'aile avant, d'une surface neutre qui permettra au plan médian de fournir un rendement optimum.
C'est de ce fractionnement en trois parties de la surface portante qui l'appareil tire son nom de triavion.
Dès cette époque, les résultats se révèlent remarquables, mais certains points restent encore à perfectionner, entre autres charge utile et rayon d'action. Faute de moyens pécuniaire les recherches sont suspendues, abandonnées durant six années.
Ce n'est qu'en 1924 que la maquette d'un nouveau modèle fut confiée pour essais aux laboratoires Eiffel. Cette fois, toutes les caractéristiques si ardemment désirées sont pleinement obtenues. À ses qualités de stabilité propre, le triavion joint des propriés aérodynamiques presque égales à celles des avions ordinaires. Et la construction d'un biplace de tourisme est entreprise. Ainsi commence la troisième période de cette histoire d'une laborieuse invention.
Achevé en août 1926, l'appareil décollait quelques jours après. Autant de démonstrations, autant de succès. Les qualités de stabilité et de sécurité apparurent si nettes dans les vols en perte de vitesse que le pilote Bossoutrot, - qui, récemment encore, s'illustrait par la conquête de nombreux records mondiaux, pouvait déclarer : « Cet appareil vole cabré et au ralenti, sans glisser ni sur l'aile ni sur la queue ; aucun autre de nos engins actuels n'est capable d'en faire autant. »
Étant donnés ces très beaux débuts, on pouvait croire que l'inventeur allait enfin trouver des concours financiers permettant une mise au point définitive. Hélas ! ces espoirs ne se réalisèrent pas. Mais M. Albessard, fort de sa foi, reprend quand même, sur ces entrefaites, et réduit à ses seuls moyens, le chemin ardu du succès. De nouvelles améliorations sont entreprises, et les vols recommencent en 1927. Peu après, le triavion passe des épreuves officielles avec la plus grande facilité et obtient son permis de navigabilité.
L'aérobus autostable Albessard, en vol à La Vidamée, en mars 1914. Ce modèle est directement issu de la Balancelle, reproduite ci-dessous. Ce sont les essais effectués sur ce second appareil qui révélèrent la nécessité de séparer les ailes avant du fuselage par une surface neutre, visible sur le document en bas de page. De là naquit le triavion n° 1, qui figure en tête de cette étude.
Quelques retouches encore, et voici l'appareil cette fois parfaitement au point. Confié en 1928 à Maurice Drouhin (lequel devait, quelques mois plus tard, trouver la mort dans la chute de I'Arc-en-ciel de Couzinet), il répond à tous les desiderata. Voici ce qu'en disait alors son pilote :
« Le triavion peut être conduit uniquement au moyen de la commande des gaz. Il cabre et monte lorsqu'on accélère le régime du moteur. Pour toute charge, il existe une certaine vitesse permettant de lâcher les gouvernes. Nul coup de vent n'engage dans aucun sens l'appareil, qui s'écarte simplement de sa position d'équilibre, pour y revenir lentement. Si on réduit les gaz tout en faisant cabrer l'avion, celui-ci répond, mais ne dépasse pas un certain angle, à partir duquel il s'enfonce sans présenter de tendance à amorcer une vrille. La vitesse horizontale minimum en palier est de 45 kilomètres ; l'allure maximum, 235.
En résumé, le triavion obéit bien aux commandes, mais atténue de façon très nette les conséquences de fautes de pilotage, habituellement fatales dans le voisinage de la perte de vitesse. L'atterrissage est remarquablement lent.
Présenté alors une seconde fois aux services officiels en vue de son achat par l'État, le triavion satisfait brillamment à toutes les épreuves ; en particulier, il effectue une descente de 300 mètres, livré à lui-même comme un parachute.
Malheureusement, à la suite d'un vol piqué volontaire à plein moteur, le plaquage des ailes avant crève au cours du redressement violent de l'appareil. Bien que cette manoeuvre périlleuse soit formellement interdite par les règlements et que le pilote soit sorti sain et sauf de l'atterrissage forcé consécutif, l'incident remet tout en question. Sur un avion ordinaire, cependant, la mort de l'imprudent acrobate aérien eût été certaine. Or, grâce à la multiplication des surfaces portantes, le triavion avait repris contact normalement.
Si une épreuve était de nature à démontrer les qualités de sécurité de l'engin, c'était bien celle-ci, d'autant qu'elle se produisit hors programme, de façon tout à fait fortuite... Il n'en fallut pas moins réparer les dommages matériels, remettre en chantier le prototype. Et ce n'est que plusieurs mois après qu'enfin M. Albessard le vit acquérir par les services de l'Air.
Quoi qu'il en soit, si l'on songe aux difficultés de toutes sortes auxquelles est en butte M. Albessard, depuis tantôt un quart de siècle, on conçoit qu'aucun effort nouveau ne saurait plus être de sa part tenté sans l'aide de capitaux privés. C'est ce concours indispensable que l'inventeur cherche encore, et c'est ce que nous lui souhaitons vivement de trouver.
Essayé par une vingtaine de pilotes de toutes classes, qui ont couvert avec lui un total de 35.000 kilomètres, le triavion apparaît comme l'engin le plus sûr, comparable sur ce point à une automobile. Il élimine en effet les deux risques les plus graves d'accidents : la perte de vitesse et le capotage au départ ou à l'arrivée.
La Balancelle, le tout premier modèle d'appareil à quatre ailerons construit par M. Albessard, en 1912. C'est l'ancêtre du triavion actuel.
Que le pilote, par suite d'une fausse manoeuvre, ait freiné son avion, celui-ci descendra absolument comme un parachute et atterrira sans heurt dangereux. Cette propriété seule suffirait déjà à justifier la faveur future dont doit jouir ce curieux modèle. Dès lors, on conçoit que la conduite d'un tel engin soit à la portée de quiconque. La manoeuvre de décollage, -d'ailleurs très simple, - accomplie, on fixe le régime du moteur à la valeur désirée, suivant que le temps presse ou non, puis on peut lâcher les commandes, ou tout au moins les surveiller avec beaucoup moins d'attention que celles d'une voiture automobile, car le triavion est auto stable. Si le paysage vous plaît, vous ne volez pas à plus de 50 à l'heure. Si vous êtes en retard, vous pouvez faire du 135. Il vous est loisible de virer à plat et sur place, mieux qu'une auto encore, qui, à une certaine vitesse, exige pour tourner court une chaussée relevée. Aucune vrille ni glissade à craindre. Par mauvais temps, roulis et tangage sont réduits au minimum et, en tout cas, beaucoup moins sensibles qu'avec les autres appareils. Il faudrait vraiment être en mauvais état de santé pour ressentir les atteintes du mal de mer... ou plutôt de l'air. Sous la rafale, la triple voilure s'oppose aux oscillations et aux déplacements brusques, tandis que l'appareil, le cas échéant, se redresse de lui-même sans le secours du conducteur. Enfin, lorsqu'on désire atterrir, il suffit, toujours comme pour arrêter l'auto, de ralentir le moteur. La voiture aérienne glisse en descendant, ainsi qu'un ascenseur oblique, et peut parfaitement se passer de toute « réaction humaine » avant le stopage, qui se produit en douceur au bout de quelques dizaines de mètres de roulement.
Triavion aménagé en torpédo aérienne de luxe, conduite intérieure, cinq places. Moteur avant : 95 CV. Chacun des moteurs centraux : 65 CV. Soit en tout 225 CV. Vitesse de croisière : 150 kilomètres à l'heure. Rayon d'action : 700 kilomètres. On remarque bien, sur le schéma du haut, le déflecteur placé entre les ailes avant. Il a pour but de diriger rationnellement les filets d'air vers les ailes arrière. En vol horizontal, sa surface n'est pas portante ; elle le devient en vol cabré, facilitant grandement l'atterrissage au ralenti. Ainsi « alimentées » par des courants toujours réguliers, les ailes arrière restent à l'abri des rafales et des remous : tangage et roulis en sont d'autant diminués, pour le meilleur confort des voyageurs aériens.
Ne peut-on dire qu'il s'agit vraiment là d'un appareil qui non seulement vole tout seul, mais encore corrige de lui-même les fautes de son conducteur ?
Mais si sa maniabilité est pleine de souplesse, par contre il est absolument rebelle à toute acrobatie. Même entre les mains d'un casse-cou, il ne laisse pas accomplir de dangereuses prouesses et garde obstinément automatiquement son suréquilibre.
Certifions qu'il n'est rien de ce que nous avançons que nous n'ayons puisé dans les rapports de pilotes, comptes rendus d'essais et de voyages, attestations de passagers...
C'est ainsi qu'Armand Sauzet, le très actif secrétaire général de l'Aéro-club d'Auvergne, a pu noter au cours d'une randonnée en triavion :
« Le temps est épouvantable au point de vue aéronautique. Il y a quelques instants, on voyait les appareils encaisser de furieux coups de tabac. Sur le triavion, on perçoit seulement quelques secousses. À l'atterrissage, je goûte l'impression nouvelle de la descente parachutale.
« Le triavion m'est apparu infiniment plus doux qu'aucun autre appareil. Il est stable d'une manière absolue et qui n'appartient qu'à lui. »
Nous nous devons, d'ailleurs, de compléter ces importantes références par le rappel des passages les plus significatifs d'une communication de l'ingénieur Ch. Senemaud au 1er Congrès international de la sécurité aérienne :
« Avec le triavion, on se trouve en présence d'un phénomène aérodynamique absolument nouveau. Grâce à la disposition des deux ailes et au déflecteur qui sépare les deux portions de voilure avant, on obtient une stabilité parfaite, et l'on supprime la perte de vitesse et ses fatales conséquences : le piqué et la vrille.
Étonnons-nous que de tels efforts si méritoires en eux-mêmes, et les beaux résultats sont reconnus formellement par tant de personnalités qualifiées et de bonne foi, n'aient pas trouvé encore une aide effective !
Certes, nous n'ignorons pas que bien d'autres découvertes, essentielles encore, demeurèrent longtemps, plus longtemps même connues ; mais cela se passait avant notre ère de rationalisation, qui, exception, voit adopter rapidement tous les progrès réels. Cette carence est d'autant plus regrettable dans ce cas qu'il s'agit d'éviter la plupart des catastrophes de l'air et aussi de vulgariser pratiquement enfin le tourisme aérien, dont la masse des usagers possibles demeure à l'écart pour une question de difficulté de pilotage, donc d'insécurité.
Il semble cependant, après plus vingt ans de recherches et d'expériences, après les témoignages formels des pilotes réputés qui ont essayé le triavion, que le doute et la crainte ne soient plus de saison.
Au reste, le chef du service central de la Sécurité aérienne, M. Brunat, par nous consulté au sujet de l'opportunité d'une campagne en faveur du triavion, nous a fait un vif éloge de cet engin, dont il prévoit même les possibilités d'application aux futurs paquebots aériens pour le transport de nombreux passages dans les meilleures conditions de sécurité et de confort.
D'ailleurs, ce sont cette fois les pouvoirs publics qu'il s'agit de remercier, car ce sont eux qui ont apporté à M. Albessard les premiers encouragements. C'est, en effet, le ministre de l'Air qui a acquis, en 1929, le triavion n° I. Et c'est la commission des Avions nouveaux, du même Département, qui, ces jours derniers, vient de passer commande du triavion n°2 à double exemplaire. C'est la politique des prototypes qui continue, l'impulsion de l'éminent ingénieur en chef Albert Caquot, politique grâce à laquelle la France, en quelques semaines, a pu battre plus de dix records mondiaux...
Souhaitons qu'à tant de belles performances vienne s'ajouter pour la France, grâce au triavion, le record de la sécurité.
André SUQUET, Ingénieur des Arts et Métiers
Dans le même ciel, deux triavions ; en bas, le premier de la série, qui, après plus de 75.000 kilomètres de vols éminemment démonstratifs de ses si spéciales qualités, vient d'être mis à la réforme; en haut, la maquette du second prototype, celui-ci destiné au grand tourisme, puisqu'il permettra à deux personnes d'effectuer 1.400 kilomètres à une vitesse de croisière de 140 à l'heure, ou à trois passagers, 700 kilomètres à même allure. Ce modèle perfectionné sera propulsé par 9.5 C V.
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MÀJ : 4 juillet 2024
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