Nous suivrons, pour compléter l'article AÉROSTAT du Grand Dictionnaire, la division qui y a été adoptée.
Les ascensions aérostatiques les plus importantes de ces dernières années sont celles de MM. Glaisher et Coxwell en 1862 ; de MM. Crocé-Spinelli et Sivel, sur l'Étoile polaire, en 1874, el les deux ascensions de MM. Crocé-Spinelli, Sivel et Gaston Tissandier, en mars et avril sur le Zénith, la dernière marquée par la mort de deux des aéronautes. L'ascension de MM. Glaisher et Coxwell eut lieu à Wolverhampton ; les deux savants météorologistes avaient pour but de s'aventurer le plus haut possible dans les régions supérieures de l'atmosphère et de déterminer jusqu'où on pouvait aller impunément pour la vie humaine. Ils étaient parvenus à 7000 mètres lorsque l'un d'eux, M. Glaisher, s'aperçut qu'il ne pouvait déjà plus remuer son bras droit. « J'essayai, dit-il, de me servir de mon bras gauche et je vis qu'il était également paralysé ; alors je cherchai à remuer le corps, je ne le sentais plus, ma tête tomba sur mon épaule, je pensai que j'étais asphyxié et que la mort allait me saisir si nous ne descendions rapidement. Tout porte à croire que je m'endormis d'un sommeil qui pouvait être éternel. Il me sembla bientôt entendre M. Coxwell ; il essayait de me secouer et de me réveiller. Je vis vaguement les instruments et je regardai autour de moi comme un homme qui reprend connaissance. Je me suis évanoui, dis-je à M. Coxwell. Certainement, me répondit-il, et il s'en est fallu de peu que je ne m'évanouisse aussi. M. Coxwell avait perdu l'usage âe ses mains, qui étaient devenues noires et sur lesquelles je versai de l'eau-de-vie ; il était monté sur le cercle et le froid l'avait saisi. Autour de l'orifice du ballon des glaçons dessinaient une gigantesque girandole. En essayant de descendre dans la nacelle, il s'aperçut que ses mains refusaient de le servir ; il se laissa glisser sur les genoux. L'insensibilité le gagnait aussi ; il ne serait pas parvenu à modérer notre course s'il n'avait eu l'idée de saisir la corde de la soupape avec les dents. » M. Glaisher resta évanoui dix minutes ; pendant ce temps, l'aérostat continua de s'élever et monta environ jusqu'à 11 000 mètres, soit une hauteur égale à celle du plus haut pic des Pyrénées, ajoutée à celle du plus haut pic de l'Himalaya. Si la soupape avait réfusé de jouer, il est probable que les deux aéronautes auraient payé de leur vie leur amour pour la science.
Quoique l'exemple des deux savants anglais fût peu tentant, MM. Crocé-Spinelli et Sivel renouvelèrent l'expérience; mais ils avaient un moyen de lutter contre la raréfaction de l'air. Quelle est, en effet, la cause des troubles qui se produisent dans l'organisme à de grandes hauteurs ? Il faut, comme on sait, pour le bon fonctionnement de la machine humaine, que la quantité d'oxygène et d'hydrogène qui pénètre dans les poumons et dans le sang soit invariablement constante. Quand la pression de l'air varie, la proportion d'oxygène qui tend a passer dans le sang varie elle-même ; pression plus forte, excès d'oxygène ; pression moins forte, pénurie d'oxygène. Dans le premier cas, l'oxygène eu trop grande quantité produit, d'après les recherches de M. Paul Bert, une véritable intoxication; dans le second cas, le manque d'oxygène conduit à l'asphyxie. Le mal des montagnes et le mal des aérostats n'ont pas d'autre cause que le manque d'oxygène par diminution de pression. La cause connue, le remède se devine. Pour maintenir l'économie dans son état normal, il faut respirer un air dont la richesse en oxygène varie avec la pression barométrique et croisse à mesure que la pression diminue. M. Paul Bert, qui le premier formula aussi nettement la solution du problème, le premier aussi l'a soumise au contrôle de l'expérience. Il s'est enfermé, à la Sorbonne, dans une grande chambre métallique parfaitement étanche ; des pompes enlevaient l'air progressivement, et il est ainsi arrivé à éprouver, à mesure que l'air se raréfiait, tous les symptômes éprouvés par les aéronautes. Quand la pression correspondit à celle que marque le baromètre à des hauteurs de 4100 à métres, il commença à ressentir des vertiges; peu de temps après, la pression diminuant encore, le malaise augmenta, ses jambes furent prises de tremblement, le pouls monta de 62 pulsations à 84. Il eut alors recours à un ballonnet d'oxygène dont il s'était muni, et tout malaise disparut. Avec un mélange d'oxygène à 45 pour 100 (l'oxygène pur étant trop énergique et amenant des étourdissements), il put supporter, dans des expériences successives, des pressions de 0,388 m ce qui correspond à 5600 mètres, hauteur du Chimborazo, et avec un mélange à 63 pour 100, il descendit jusqu'à 0,250 m. « Si les aéronautes, dit-il comme conclusion de ces intéressantes expériences, arrêtés dans leur course verticale par l'impossibilité de_ vivre, veulent monter plus haut qu'ils n'ont fait jusqu'ici, ils le pourront à la condition d'emporter avec eux un ballonnet plein d'oxygène, auquel ils auront recours lorsqu'ils souffriront trop de la raréfaction de lair. ». MM. Crocé-Spinelli et Sivel, après s'être préalablement enfermés dans la chambre métallique de M. Paul Bert et avoir subi une expérience concluante, résolurent de tenter l'aventure en ballon, munis de deux ballonnets d'oxygène, l'un à 40 pour 100, l'autre à 75 pour 100. Le départ de l'Etoile polaire eut lieu à La Villette le 22 mars Le ballon monta régulièrement jusqu'à 4800 mètres ; au delà, le rayonnement solaire donna à l'ascension une grande irrégularité. Les voyageurs restèrent 1 heure 45 minutes au-dessus de 5000 mètres, 20 minutes au-dessus de 7000 mètres, et finirent par atteindre 7400 mètres. La descente s'opéra sans accident, à peu de distance de Bar-sur-Seine, à 180 km du point de départ ; le voyage avait duré 2 heures 15 minutes. Le malaise ordinaire, qui s'était montré dès que l'aérostat avait franchi 4000 mètres de hauteur, se dissipa à volonté pour les expérimentateurs par l'inhalation de l'air suroxygéné.
Les deux aéronautes, accompagnés de M. G. Tissaudier, renouvelèrent avec le même succès l'expérience sur le Zénith, parti de Paris le 23 mars 1875, à la tombée de la nuit, et qui atterrit le 24 à Arcachon, après une traversée de 22 heures 40 minutes. Cette fois, MM. Crocé-Spinelli et Sivel avaient surtout pour but d'expérimenter les conditions d'un voyage de nuit et de faire diverses observations météorologiques et astronomiques. La seconde expédition du Zénith (avril 1875) fut marquée par une terrible catastrophe. MM. Crocé-Spinelli, Sivel et G. Tissandier résolurent de monter encore plus haut que les deux premiers ne l'avaient fait sur l'Étoile polaire, en recourant comme précédemment aux ballonnets d'oxygène de M. Paul Bert. Le départ s'effectua dans les meilleures conditions, à l'usine à gaz de La Villette. Dès le départ, la vitesse en hauteur fut considérable. Favorisés par le temps, les hardis explorateurs voulurent accomplir immédiatement leurs expériences dans les couches les plus élevées de l'atmosphère. Parti à 11 heures du matin, le Zénith se trouvait à 2 heures à une altitude de 8 000 mètres, et en ce moment, malgré les inhalations d'oxygène auxquelles ils avaient recours, les trois aéronautes se trouvaient dans un état complet d'anéantissement. Il est probable que la vitesse d'ascension avait été trop grande pour permettre à l'organisme humain de s'adapter à la pression des couches supérieures. M. Crocé-Suinelli eut cependant la force de faire jouer la soupape, et le ballon descendit alors avec une effrayante rapidité ; la chute pouvait être mortelle ; il jeta alors tout le lest et un énorme instrument pesant 40 kg, emporté par M. G. Tissandier ; ce dernier et M. Sivel étaient toujours évanouis. Le ballon, remontant alors avec une vitesse prodigieuse, dépassa l'altitude précédemment atteinte et dans des conditions déplorables, puisque aucun des aéronautes n'avait la force de recourir au ballonnet d'oxygène. C'est en ce moment que l'asphyxie dut être complète pour deux d'entre eux, MM. Crocé-Spinelli et Sivel ; M. G. Tissandier, revenu d'un long évanouissement, vit ses deux amis étendus sans mouvement au fond de la nacelle et le ballon, la soupape ouverte, flottant depuis plusieurs heures sans doute dans les couches moyennes. Il était 3 heures 15 minutes et les dernières observations avaient été faites à une heure par M. Crocé-Spiuelli. M. G. Tissandier, recouvrant peu à peu ses forces, ne s'occupa plus que d'atterrir et parvint à jeter l'ancre dans un pré, près du village du Blanc (Indre), avec l'aide des gens du pays ; il en fut quitte pour quelques contusions. Quant à MM. Crocé-Spinelli et Sivel, l'un était déjà contracté par la rigidité cadavérique, l'autre ne donnait plus aucun signe de vie. « De cette catastrophe, qui jeta le deuil dans le monde savant, il ne faudrait pas conclure, dit judicieusement M. H. de Parville, qu'il est absolument impossible de dépasser, sous peine de mort, l'altitude de 8000 mètres. On peut monter plus haut, mais à la condition expresse de respirer de l'oxygène en proportion voulue. Ces conditions n'ont pas été réalisées cette fois ; il faudrait que l'expérimentateur fût lié en quelque sorte à son ballonnet d'oxygène et ne pût puiser que là son air vital ; autrement, à la plus petite défaillance, il abandonne le tuyau d'aspiration et avec lui tout moyen de revenir à la vie. » L'expérience peut donc encore être tentée avec des chances de succès ; mais la catastrophe du Zénith, a montré combien elle est périlleuse.
Une application des aérostats à l'art militaire a été tentée durant le siège de Paris. Du 23 septembre au 13 janvier 1871, cinquante-deux ballons furent lancés de Paris, franchirent les postes occupés par les Allemands et parvinrent pour la plupart à destination. Quelques-uns furent capturés par l'ennemi, d'autres se perdirent en mer, il y en eut un qui fut poussé jusqu'en Norvège. Les résultats, quoique la plupart heureux, n'ont été dus qu'au hasard, aucun moyen de direction des ballons n'ayant encore été trouvé, et depuis cette époque les états-majors des diverses puissances, surtout en France, en Allemagne et en Russie, ont fait ou favorisé des expériences propres à donner à l'aéronautique militaire une plus grande certitude.
Le conseil municipal de Paris, sur la proposition de M. de Heredia, a voté, en novembre 1874, la création d'une médaille commémorative destinée à être distribuée aux aéronautes qui ont risqué leur vie lors du siège de Paris. Le Bulletin de la Réunion des officiers a donné, en avril 1874, l'analyse d'un travail publié dans une revue militaire allemande par un professeur à l'École de guerre de Hanovre. Les divers problèmes relatifs a la navigation aérienne sont loin d'y être résolus, et le progrès le plus remarquable jusqu'à présent semble avoir été accompli par l'expérience de M. Dupuy de Lôme, dont nous nous occupons ci-après.
Nous avons dit un mot, à l'article AÉROSTAT, dans le tome 1er, de l'expérience de navigation aérienne tentée en par M. Giffard. M. Dupuy de Lôme l'a reprise en 1873, aux frais du gouvernement, en ajoutant aux données de son prédécesseur ce que lui suggérait sa propre expérience de constructeur naval et divers procédés dont l'excellence avait été démontrée par les aéronautes. M. Giffard avait fait construire un ballon allongé ou ovoïde de 44 mètres de longueur sur 12 mètres de diamètre, muni d'une hélice propulsive, mise en mouvement par une petite machine à vapeur de la force de 3 chevaux, et d'une voile triangulaire faisant office de gouvernail. L'essai réussit à merveille. L'expérimentateur, qui s'était aventuré seul dans ce hardi voyage, parvint à opérer facilement toutes les manœuvres de mouvement circulaire et de déviation latérale. Le gouvernail fonctionnait très-bien, et l'hélice permettait de suivre la direction voulue. Cette ascension démontra expérimentalement que l'on pouvait progresser dans l'air et s'y diriger, dans des limites dépendant de la violence du vent et de la force motrice dont disposait l'aérostat. En reprenant cette expérience à la demande du gouvernement de la Défense nationale, qui lui alloua 40 000 francs, M. Dupuy de Lôme songea moins a innover qu'à profiter de tous les résultats déjà acquis et à leur donner une sanction pratique. « Pressé par le désir d'arriver dans les circonstances présentes, disait-il alors, à une application aussi prochaine que possible en évitant trop d'expériences préliminaires, je me suis attaché à n'adopter pour tous les détails que des solutions reposant sur l'application de procédés déjà connus, de façon que l'ensemble de l'appareil ne soit que la résultante de combinaisons déjà pratiquées avec succès par les aéronautes. » II ne put cependant être prêt avant la levée du siège, et son aérostat n'accomplit son ascension que le 2 février 1872. M. Dupuy de Lôme en emprunta la forme générale, la voile-gouvernail et l'hélice à celui de M. Giffard, tout en modifiant quelques détails. Son aérostat mesurait 36,l2 m d'une pointe à l'autre, au lieu de 44 mètres ; son diamètre à la maîtresse section était de 14,84 m au lieu de 12 mètres, et son volume de 3454 mètres cubes; l'hélice était mue, non par une machine à vapeur, mais par huit hommes se relayant, quatre par quatre, de demi-heure en demi-heure. La principale modification consistait dans l'adjonction d'un ventilateur placé dans la nacelle et mis en communication avec un ballonnet disposé à la partie inférieure du ballon ; l'aéronaute parvenait ainsi à obtenir la permanence du gonflement, malgré la dépression barométrique. En outre, au lieu de donner comme support à la nacelle une barre rigide, ainsi que l'avait fait M. Giffard, M. Dupuy de Lôme obtint une plus grande stabilité en imaginant une disposition nouvelle du filet. Les résultats de l'ascension réalisèrent les espérances du constructeur. L'aérostat, parti de la cour du Fort-Neuf à Vincennes, par un vent assez violent, se comporta admirablement au milieu de l'air. L'influence du gouvernail se faisait sentir au commandement, et la vitesse obtenue dépassa un peu celie qui avait été annoncée, 8 kilom. à l'heure. « M. Zédé, ingénieur de la marine, mon collaborateur, dit M. Dupuy de Lôme, traça sur la carte d'état-major notre point de départ ; je lui dictai successivement les vitesses et les directions que je relevais. Au moment d'atterrir, je lui demandai quel était le village au-dessus duquel nous allions passer. Il me répondit : « Ce doit être Mondécourt, sur les confins des départements de l'Oise et de l'Aisne. » Un instant après, des paysans auxquels nous adressions la même question en passant sur leur tête : « Où sommes-nous ? » nous répondirent : « A Mondécourt. » Pour la première fois, des aéronautes avaient pu suivre un itinéraire à peu près fixé à l'avance et préciser leur route. Il est clair cependant que cette ascension n'est en définitive qu'une tentative rationnelle et méthodiquement comprise de navigation aérienne. Il reste encore bien des problèmes à résoudre.
Il nous a semblé intéressant de grouper sous ce titre les principaux accidents survenus aux aéronautes ; la liste est loin d'être complète, et cependant elle est déjà bien nombreuse :