Conventionnel montagnard, né à Sainte-Menehould en 1763, mort à Maçon en 1824
Il servit pendant sept ans comme simple soldat dans le régiment des dragons de Condé, puis vint suppléer son père, maître de poste à Sainte-Menehould. Dès le début de la Révolution, il s'était rangé dans le parti patriote, qui comprenait alors à peu près toute la nation. Le 21 juin 1791, Louis XVI fugitif traversait Sainte-Menehould, où il changeait de chevaux, lorsque Drouet le reconnut. Celui-ci soupçonnant une fuite vers la frontière, monte aussitôt à cheval, prend un chemin de traverse à lui connu, brûle le pavé et arrive à Varennes en quatre heures. Il réveille les autorités (il était onze heures du soir), fait mettre les habitants sous les armes, envoie partout des estafettes et soulève toutes les campagnes environnantes au bruit du tocsin. En même temps, il rassemble quelques patriotes énergiques, l'épicier Sauce, procureur de la commune ; Régnier, homme de loi ; le chirurgien Mangin, les frères Leblanc et plusieurs autres ; il barre le passage du pont au moyen d'une voiture chargée de pierres. Bientôt le convoi royal se présente ; Drouet et ses compagnons croisent la baïonnette ; le procureur de la commune se présente et demande leurs passe-ports aux voyageurs ; le roi est arrêté avec sa famille. Sur ces entrefaites, la garde nationale s'était rassemblée, et les paysans accouraient de minute en minute ; les troupes envoyées par Bouillé n'osèrent tenter un coup de main : la France était sauvée d'un grand péril ; car il est incontestable que Louis XVI allait se jeter dans les bras des étrangers ; la guerre éclatait avant que nous fussions prêts à la soutenir, et il n'est pas possible de calculer les conséquences funestes qu'auraient eus de tels événements.
Le brave et vigilant Drouet a donc rendu dans cette circonstance un inappréciable service, dont il fut récompensé d ailleurs par la reconnaissance nationale.
Reçu à la barre de l'Assemblée, il fit lui-même, en termes simples et chaleureux, le récit de la fameuse arrestation et fut accueilli par des applaudissements unanimes. Une récompense de 30 000 fr. lui fut accordée par décret ; mais il refusa de l'accepter.
En 1792, il fut nommé député de la Marne à la Convention nationale. Il siégea à la Montagne, vota la mort du roi sans appel ni sursis, contribua à la chute des girondins et partagea tous les entraînements de ces temps de lutte et de passion. Au 5 septembre 1793, au milieu des plus grands périls publics, quand la Commune et les sections vinrent demander que la terreur fût mise à l'ordre du jour et qu'une armée révolutionnaire fût créée, le véhément Drouet appuya les demandes des pétitionnaires, et, dans un accès de délire que les circonstances expliquaient sans le justifier, il prononça ces paroles :
« A quoi vous a servi jusqu'ici votre modération?... De tous côtés ne vous appelle-t-on pas des scélérats, des brigands, des assassins ? Eh bien ! puisque notre vertu, puisque nos idées philosophiques ne nous ont servi de rien, soyons brigands pour le bonheur du peuple ! »
Il voulait dire évidemment : soyons énergiques, soyons implacables pour sauver la patrie. Cette malencontreuse boutade de fureur souleva l'indignation jusque sur les bancs les plus élevés de la Montagne. « Non, dit Thuriot, soyons justes ! ». Et l'Assemblée entière applaudit.
Drouet cependant n'était pas un homme cruel, et la seule ardeur de son patriotisme, avivée encore par les dangers du pays et par l'effroyable guerre faite à la République et à la Révolution, l'entraînait à ces excès de langage.
Peu de temps après, il fut envoyé en mission à l'armée du Nord. Assiégé dans Maubeuge_par le prince de Cobourg, il voulu se faire jour à travers l'armée ennemie à la tête de 100 dragons, pour aller chercher les secours dont la place avait un impérieux besoin. Cette audacieuse sortie lui fut fatale. Il tomba entre les mains des Autrichiens, qui lui firent lâchement subir les traitements les plus affreux, l'accablèrent d'outrages, et allèrent jusqu'à l'enchaîner dans une cage de fer à Bruxelles ; il y serait mort de faim, s'il n'avait été secouru par un meunier nommé Gérard. Ces vengeances royales exercées contre les révolutionnaires indiquent assez à quels sanglants excès une invasion victorieuse eût livré la France. Drouet fut ensuite transféré en Moravie, dans la forteresse du Spielberg, cette bastille autrichienne dont Silvio Pellico devait plus tard révéler les horreurs au monde entier. L'énergique montagnard tenta, en 1794, de s'évader par un moyen extraordinaire : il sauta du haut de la fenêtre en tenant ouvert une sorte de parachute ; mais il se fracassa un pied, fut repris et ramené dans son cachot, d'où il ne sortit qu'en novembre 1795, par suite d'un échange contre la fille de Louis XVI, échange dans lequel furent compris les représentants livrés à l'ennemi par Dumouriez.
À son-retour, et d'après un décret qui avait été rendu en faveur des représentants prisonniers, il devint de droit membre du conseil des Cinq-Cents. Tout lui parut changé autour de lui, et tout l'était en effet : la réaction était partout triomphante ; on entrait dans le régime du Directoire, et les temps héroïques de 1792 et de 1793 semblaient déjà une antiquité. Drouet s'unit naturellement aux débris du parti montagnard, qui achevait d'user ce qui lui restait d'énergie en des entreprises désespérées. Il entra dans la conspiration de Babeuf (1796), dont la découverte le fit décréter d'arrestation. Aux termes de la constitution, un député ne pouvait être traduit devant les tribunaux ordinaires ; cette circonstance obligeait de renvoyer tous ceux qui étaient impliqués dans cette affaire devant une haute cour nationale, qui fut, en effet, convoquée à Vendôme. Mais Drouet n'y parut point. Enfermé à l'Abbaye, il avait trouvé le moyen de s'évader en se glissant dans un conduit de cheminée. Son évasion avait été favorisée par le concierge de la prison, Thorin, qui était patriote. Peut-être aussi le Directoire avait-il fermé les yeux pour ne pas donner aux rois de l'Europe la satisfaction de voir tomber la tête de celui qui avait arrêté Louis XVI.
On a donné autrefois comme certain que Drouet, caché dans Paris, avait joué un rôle actif dans l'attaque du camp de Grenelle, tentative avortée qui n'était qu'une suite du complot de Babeuf, et qu'il fut sauvé de la mort par une laitière qui le cacha sous la paille de sa voiture (septembre 1796). Quoi qu'il en soit, il se réfugia en Suisse, puis s'embarqua pour les Indes. Ayant relâché à Ténériffe, il se trouvait dans cette île au moment où Nelson tenta de s'en emparer ; il se battit intrépidement et contribua à faire échouer l'entreprise des Anglais.
Jugé comme contumace par la haute cour de Vendôme, il fut néanmoins acquitté (1797). Il rentra en France après le 10 fructidor, et accepta l'emploi de commissaire du Directoire dans son département. À la suite du brumaire, les consuls le nommèrent sous-préfet de Sainte-Menehould. Il exerça ces fonctions jusqu'à la fin de l'Empire et il a laissé dans ce pays, qui était le sien, le souvenir d'un administrateur probe et capable. En 1814, il mérita d'être décoré de la main même de Napoléon, pour l'énergie avec laquelle il avait repoussé les alliés à la tète des gardes nationaux de son arrondissement.
Pendant les Cent-Jours il fut élu membre de la Chambre des représentants. Banni comme régicide en 1816, il passa en Suisse, puis revint secrètement habiter Maçon sous le nom de Meyer, après avoir fait répandre le bruit de sa mort. Il acheva ses jours dans celte ville, n'ayant de relations qu'avec un petit nombre de personnes. Ce ne fut qu'à sa mort qu'on apprit avec stupéfaction que ce paisible bourgeois n'était autre que le fameux Drouet.