Astronomie - René Paris - Promotion 1950-1953

ARGENTIQUE ET ÉLECTRONIQUE

Saturne

Saturne. Photos du Pic du Midi en 1949

Quand on veut photographier les objets du ciel profond, c'est à dire les nébuleuses de notre Galaxie ou les autres galaxies qui peuplent l'Univers, l'ennemi est bien sur la dégradation de la transparence de l'atmosphère mais surtout la pollution lumineuse des villes. Cette pollution est telle qu'en site urbain on ne peut guère dépasser des poses photo de plus d'une minute ou deux alors que les objets lointains nécessitent des poses de plusieurs heures. Hubble a fait des photos avec des poses de plusieurs jours ! Inutile de préciser que les longues poses photo exigent que le télescope assure un suivi parfait en compensant le mouvement diurne dû à la rotation de la Terre. L'optique doit être bonne mais la mécanique doit être excellente. Aucune vibration n'est permise ni aucune flexion et le moindre coup de vent est fatal.

L'arrivée de l'imagerie électronique a révolutionné la photographie astronomique. En effet, la pellicule argentique souffre d'un grave défaut, c'est la chute vertigineuse de sa sensibilité pour les très faibles éclairements. Ainsi, une pellicule de 400 ASA pour des éclairements nécessitants des poses inférieures à la seconde, voit sa sensibilité rapidement réduite à quelques ASA pour des éclairements réclamant quelques minutes de pose voir carrément tomber à zéro en dessous d'un certain seuil d'éclairement. C'est le défaut de réciprocité. Les capteurs électroniques ne présentent pas ce défaut. On peut considérer qu'un capteur électronique est constitué d'un grand nombre de batteries microscopiques juxtaposées, ce sont les pixels. Chaque photon arrivant sur une de ces batteries la charge un peu et la charge est proportionnelle au nombre de photons. Il suffit donc d'attendre assez longtemps pour que le cumul des photons produise une charge suffisante sur chacune des batteries ou pixels en fonction de l'éclairement reçu par chacun d'eux.

Saturne

La même Saturne sur mon télescope de 300 mm avec une web-cam


Mars

Mars par le Pic du Midi lors de l'opposition de 1941

Mars

Mars sur mon télescope avec une web-cam

Jupiter

Jupiter à l'observatoire Lowell, Flagstaff

Jupiter

Jupiter sur mon télescope avec une web-cam

C'est de l'image optique la traduction électronique qui sera traitée par les circuits amplificateurs de l'appareil-photo. Mais rien n'est parfait en ce monde. En effet, les capteurs électroniques génèrent un courant même dans l'obscurité totale. Ce faible courant est dû à l'agitation thermique, on l'appelle bruit thermique ou courant d'obscurité. Il est fonction de la température est, il est bien sur cumulatif comme celui produit par les photons incidents, ce qui fait qu'au bout de quelques minutes chaque pixel est complètement chargé. On dit que le capteur est saturé. Il y a deux parades à cela. La première consiste à refroidir le capteur par n'importe quel moyen, azote liquide, éléments Pelletier ou tout simplement attendre une nuit d'hiver froide. La seconde consiste à arrêter la réception des photons par fermeture de l'obturateur avant que le capteur ne soit saturé par le bruit thermique et de le retrancher du signal total constitué par la somme photons incidents plus bruit thermique. La mesure du bruit thermique est facile à faire, elle consiste à faire une pose de la même durée que la précédente et à la même température dans le noir total en ferment l'obturateur photo ou en couvrant l'ouverture du télescope. De cette façon, le courant qui résulte de cette opération est uniquement fonction des photons capturés. Il suffit d'additionner le nombre nécessaire de ces poses élémentaires pour obtenir une image parfaitement exploitable. Bien sûr rien ne s'oppose à combiner les deux méthodes. Ainsi l'addition de 20 poses de 3 minutes donne le même résultat qu'une pose unique de 60 minutes. On voit tout de suite l'avantage de l'électronique sur l'argentique pour la photographie du ciel profond.

La photographie des planètes qui sont des objets assez lumineux pour être visibles à l'œil nu n'est pas gênée par la pollution lumineuse sauf à placer le télescope juste sous un lampadaire. Par contre l'ennemi est la turbulence atmosphérique (voir l'article « Le grossissement parlons en un peu... » dans la même rubrique du site).

Pour la photo des planètes l'avantage de l'électronique sur l'argentique est encore plus spectaculaire. La turbulence atmosphérique fait que la mise au point de l'image au foyer du télescope est constamment variable très rapidement. La grande sensibilité des capteurs électroniques permet de prendre des photos des planètes avec des poses nettement inférieures au dixième de seconde. L'astuce consiste à prendre plusieurs centaines de photos rapides sous forme d'un film vidéo. Dans ce film, bon nombre de photos seront mauvaises, mais d'autres statistiquement auront été prises à l'instant où la turbulence était minime et celles-là seront bonnes. Elles sont cependant entachées du "bruit" de fond électronique qui est assimilable au grain de l'argentique. La manœuvre consiste en premier à sélectionner les meilleures images du film vidéo puis dans une deuxième étape à les additionner. Le bruit de fond qui est strictement aléatoire ne sera multiplié que comme la racine carrée du nombre d'images alors que le signal utile sera multiplié directement par le nombre d'images. On voit tout de suite l'avantage énorme obtenu par l'addition de 100, 200, 300 ou plus images. Si on ajoute que ces films vidéo sont obtenus avec de vulgaires web-cameras à quelques dizaines d'euros, on voit que les amateurs astronomes touchent là au vrai bonheur.

Les exemples ci-contre comparant les photos prises sur un télescope de 300 mm de diamètre avec une web-cam à 30 euros avec celles prises en argentique par de grands observatoires tels que le Pic du Midi ou l'observatoire Lowell à Flagstaff se passent de commentaires.


Il y a seulement 30 ans, des astronomes professionnels ayant des moyens gigantesques se seraient damnés pour obtenir des photos aussi fines que celles des amateurs actuels aux moyens dérisoires en comparaison.

Mais les professionnels utilisent aussi des caméras électroniques et en plus ils sortent de l'atmosphère.. .ou d'une façon encore plus déloyale vont faire les photos directement sur place. On ne peut plus lutter !

René Paris. Promo 50-53+R.