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Les récits détaillés

Je Sais Tout - 15 août 1913

Ma minute la plus angoissante

On a beaucoup parlé de la peur en aéroplane, du sentiment d'effroi qui doit étreindre les plus braves au moment d'une chute. Le malheur, c'est qu'en général ceux qui en ont parlé ne l'ont point éprouvé. Ceux qui l'ont éprouvé, en revanche, n'en ont point parlé. Wilbur Wright, le premier grand homme de l'aviation, disait volontiers : « Les oiseaux ne saventpoint parler, à l'exception du perroquet, qui ne sait point voler. »

Aujourd'hui l'on aime les notations précises. Je ne voudrais pas être désagréable à M. Gabriel d'Annunzio. Un génie aussi incontestable que le sien est fort au-dessus de petites critiques. Qu'il me permette cependant de lui dire, avec tout le respect dû au talent, que son fameux roman Forse Che Si, Forse Che No, est, au point de vue documentaire, sur les sensations que l'on éprouve en aéroplane, ce qu'on appelle en sport, du chiqué. C'est du chiqué bien fait. C'est du chiqué splendide, c'est du chiqué tout de même.

Nous avons pensé qu'il serait plus docu¬mentaire de demander à ceux-là même qui furent les véritables héros de l'aviation, aux soldats de cette grande armée de l'air, leurs mémoires, leurs impressions réelles sur ce sentiment étrange et indéfinissable l'effroi.

Sous quel aspect la mort s'est-elle présentée aux héros de l'air, quelles sensations a-t-elle éveillées en eux, comment leur volonté a-t-elle su réagir, par quel prodige d'énergie ont-ils pu continuer? C'est ce que vont nous conter eux-mêmes huit des meilleurs d'entre eux : MM. Bielovucic, le héros de la traversée des Alpes ; Weymann, le vainqueur de la coupe Gordon-Bennett; Alfred Leblanc, le gagnant du circuit de l'Est ; Guillaux, le vainqueur de la Coupe Pommery ; Bregi, qui le premier traversa le Maroc ; Gaubert, gagnant du concours de Monaco ; Garros, le triomphateur du circuit d'Anjou ; Gilbert, le grand voyageur européen qui vola d'une seule traite de Paris en Espagne.


BIÉLOVUCIC SOURIT SUR LES ALPES
IL EST PRIS D'ANGOISSE DANS UNE PROMENADE

L'angoisse de Biélovucic sur la Marne

Biélovucic tombant vers la Marne

Pendant plus de trois cents mètres, Biélovucic descendait à pic et allait tomber sur un canot de pécheurs au milieu de la Marne. Les hommes étaient debout dans la barque et leurs gestes indiquaient nettement leur terreur en présence d'une catastrophe qu'ils croyaient imminente

Ce n'est pas au cours d'une grande excursion, dans un raid impressionnant, dans un vol au-dessus des montagnes, que j'éprouvai l'angoisse la plus pénible. Non, bien sincèrement, je me souviens de ma traversée du Simplon, je vois sous moi les pics couverts de neige, les vallées profondes comme des précipices, je revois là-bas, à l'horizon, les lacs italiens vers lesquels je tombai dans une chute effroyablement rapide, mais calculée. Fut-ce la joie de réussir, de sentir que j'allais passer, mais à aucun moment, sauf lorsque je crus que mon moteur allait s'arrêter en plein au-dessus de la montagne, je n'éprouvai de sensation de peur. Je connus au contraire l'angoisse profonde, intense, pendant un simple petit voyage d'entraînement, bien banal, bien obscur, entre Reims et Chaumont.

J'étais parti avec mon mécanicien sur mon appareil ordinaire, un grand monoplan de 100 HP dont j'avais l'habitude, qui était bien en mains. Le début du voyage s'annonça de façon merveilleuse. Il faisait beau. Je m'apprêtais à traverser la Marne. À ce moment, mon attention fut attirée par un canot de pêche, ancré au milieu de la rivière et dans lequel des pécheurs, debout, faisaient des signes frénétiques. Je pensais qu'ils manifestaient d'une façon un peu enthousiaste le plaisir de voir un aéroplane et je continuais.

J'étais arrivé au-dessus de l'autre bord, et je ne m'attendais en rien à une catastrophe lorsque soudain, avec une brutalité effroyable, sans que j'eusse pu me rendre compte de ce qui se produisait j'assistais au spectacle suivant.

J'avais naturellement dépassé le canot et les pêcheurs, et ils avaient disparu de ma vue, cachés par mes ailes, puis passant derrière moi. En une seconde, devant mon appareil, je revis le canot qui était toujours derrière moi. C'est vous dire que fort exactement mon appareil avait pris une position à peu près verticale, l'avant piquant droit vers le sol, les plans arrières dressés. Je ne sais encore ce qui était arrivé. Tout ce dont je me souviens c'est que pendant plus de 300 mètres, et ils me semblèrent longs, je descendis à pic, ne pouvant détacher mes yeux du canot des pêcheurs placé derrière moi. Les hommes étaient debout et, cette fois, il n'y avait pas à s'y tromper, leurs gestes indiquaient nettement que c'était la catastrophe. Le choc avait été si violent, le changement de position si brutal, que j'avais d'abord lâché les commandes. Je parvins à les rattraper, je tirai vigoureusement, je vis toujours le canot fatal, l'appareil ne se redressait pas.

Alors je crus bien la partie suprême perdue. Ce ne fut pas la minute, mais ce fut la seconde fatale d'angoisse avec la morsure au cœur.

Heureusement, l'appareil se redressa et je continuai ma route sans autre accident.

BIÉLOVUCIC.


C'EST EN VOYANT SE TUER DU COURNEAU
QUE WEYMANN EUT PEUR

Weymann devant le corps de Decourteau

Weymann devant le corps de Decourteau

Weymann connu la peur rétrospective, en voyant s'écraser sur le sol le lieutenant Ducourneau au milieu des débris de l'appareil qu'il avait lui-même monté quelques instants auparavant

C'était l'année dernière à Pau, à l'école d'aviation. Nous volions chaque jour et nous avions fini, sous ce beau climat, au-dessus de ces splendides terrains, par ne plus attacher à ces vols d'autre importance que celle d'un geste machinal.

Il y avait là plusieurs aviateurs très connus, civils et militaires, et parmi ceux-ci le lieutenant Ducourneau, un des meilleurs officiers aviateurs de l'armée française.

Un soir, on amena sur l'aérodrome un nouvel appareil avec une nouvelle hélice, et nous décidâmes de l'essayer.

Ce fut moi qui partis le premier.

L'appareil s'envola merveilleusement, gagna de l'altitude. Je fis quelques tours au-dessus de l'aérodrome. Je me demandai si je n'allais pas continuer et m'offrir le luxe par cette belle journée d'un petit vol un peu plus long, puis je songeai à Ducour¬neau qui m'attendait en bas sur la pelouse, qui allait être content de monter, lui aussi l'appareil ; je coupai l'allumage et très doucement, dans un calme absolu, l'ap¬pareil descendit et vint se poser sur le sol.

Pauvre garçon, je le revois encore mon¬ter avec calme, préparant minutieusement les mille petits détails ; mettant ses lunettes, me disant au revoir de la main : au revoir, c'était adieu ! Soudain l'appareil pique fortement puis s'incline, et tout d'un coup vient s'écraser sur le sol.

Alors vraiment, je sentis passer en moi l'impression de l'angoisse. De quoi ce sentiment se compose t-il exactement, je ne saurais trop le dire, mais il est certain qu'il y a le sentiment du péril encore proche, soit qu'il vienne, soit qu'il soit déjà venu, et la passivité de l'être humain qui cesse de réagir devant l'inévitable. Sensation bizarre et complexe, je ne pouvais détacher les yeux de notre pauvre ami mort et je ne pouvais m'empêcher de penser à mon vol, quelques minutes auparavant, dans ce même appareil, dans les mêmes conditions, vol interrompu au caprice d'une volonté qui ne fut pas même réfléchi !

WEYMAN N.


ALFRED LEBLANC
TREMBLE POUR LE PUBLIC QUI L'APPLAUDIT

À la fin de 1909, Georges Prade m'avait emmené en Angleterre à Blackpool pour y exécuter quelques vols. Or, à cette époque, j'étais très novice. Une fois là-bas, il fallut pourtant voler. Nos hôtes nous avaient reçus d'une façon exquise. Toutes les maisons de la ville étaient pavoisées de pavillons français, tandis que des transparents lumineux vantaient les bienfaits de l'entente cordiale. Le champ d'aviation était moins hospitalier. Il était situé au bord de la nier, en plein vent, bordé de tribunes découvertes dans lesquelles 20 000 personnes s'étaient entassées et nous acclamaient.

Tout le monde avait volé, Farman, Paulhan, Rougier, Latham. C'était mon tour. J'avais à cette époque un petit Blériot à moteur Anzani dont la principale qualité n'était certainement pas l'excès de puissance du moteur. On s'envolait comme une perdrix, en rasant le sol, et il n'y avait pas à craindre ce que les poètes ont appelé le vertige des cimes. Je pris mon essor, m'élevai à 5 mètres intrépidement et commençai mon tour de piste. Par malheur, le vent ne facilita pas beaucoup mon courage et lorsque j'eus pris mon premier virage, je me trouvais juste au-dessus du public, au-dessus des tribunes découvertes. J'entendais le moteur, timide probablement lui aussi, qui s'efforçait de ne pas tomber, et cramponné à ma cloche de direction, je faisais comme le moteur. Au-dessous de moi, à deux mètres à peine, je voyais des milliers de visages, j'entendais des milliers de hourras. Les mains s'agitaient frénétiquement, avec des mouchoirs. Là, réellement, oui, là j'eus la minute d'angoisse. Si ces braves gens que j'admire encore avaient su à quoi je pensais, et combien j'eus donné pour être un peu plus loin, hors d'état de leur raboter la tête, comme je le craignais à chaque seconde, leur enthousiasme eût certainement été moins vif. Mais ils pensaient en eux-mêmes : « Enfin en voilà un qui sait voler et qui nous donne une émotion ! ».

Pas si grande que la mienne soyez-en certains. Tout a une fin, heureusement, même cette tribune interminable. Une minute après, j'étais à terre, au milieu de mes amis et je leur disais d'un air dégagé, dégagé de toute responsabilité : ça ne va pas mal. Ça allait même mieux, car j'étais enfin au port.

ALFRED LEBLANC.


PERDU SUR LA MER
Y TOMBERAI-JE ? SE DEMANDE GUILLAUX

Lorsque je partis de Biarritz pour la Coupe Pommery, j'étais un peu décidé à tout, il me fallait battre le record de Gilbert et pour cela traverser la France, la Belgique et la Hollande. La Belgique avait été vite traversée et j'étais arrivé à Bréda dans le Sud de la Hollande après avoir volé sur Bruxelles et sur Anvers. Ma carte finissait à Bréda. Les circonstances avaient été plus heureuses que je ne l'avais moi-même pensé, et à 5 heures du soir, je fus lancé dans l'inconnu, au-dessus d'un pays que j'ignorais, mais dont une particularité m'apparaissait fort claire, c'est qu'il y a beaucoup d'eau. Or l'eau est très agréable sur un navire, elle n'est point trop désagréable peut-être pour un hydroaéroplane, elle inspire je ne sais quel sentiment voisin de la frayeur à celui qui vole au-dessus d'elle, dans un simple aéroplane muni de deux roues pour tout moyen de navigation.

À 6 heures du soir, je volais en pleine brume au-dessus du Zuyderzée, croyant avoir 50 à 60 kilomètres de mer à traverser, c'est-à-dire une demi-heure de vol.

Au bout d'une demi-heure je descendis un peu afin de voir la terre. À ma grande surprise, et avouons très franchement à ma grande frayeur, je ne vis que de l'eau.

La situation n'était pas gaie, j'étais à la chute du jour en pleine mer, je ne savais pas trop où, je ne savais pas non plus si après un aussi rude effort mon moteur n'allait pas avoir une de ces petites fantaisies excusables qui m'eût réservé le sort du malheureux Cecil Grace. Je savais simplement que la terre était à l'Est, et j'inclinai peu à peu vers cette direction, j'eus peut-être le tort de ne pas le faire avec assez de décision, car le vent continuant à me drosser, la brume me cachant l'horizon, je volai ainsi pendant plus d'une heure et demie sans revoir la terre.

Le temps me semblait long, très long, évidemment j'avais confiance, mais cette longue journée, cet interminable voyage depuis 4 heures du matin, cette tension continuelle, le mal de mer dont j'avais souffert, tout cela me fit tomber dans une mélancolie profonde. Ce fut vraiment l'angoisse, l'angoisse de l'enfant qui a peur la nuit.

Enfin un peu avant 7 heures, très bas, je vis la côte plate, et jamais pays, fût-il le plus beau du monde, ne causa pareille satisfaction à celui qui le revit après une longue absence.

GUILLAUX.


LE PÉRIL MAROCAIN
SIGNALÉ PAR BRÉGI

Brégi dans la montagne Marocaine

Brégi dans la montagne Marocaine

Après un virage brusque au dessus des précipices de la montagne pour éviter les balles marocaines, Brégi fut obligé d'atterir dans un endroit impraticable et ne dut qu'à son agilité de ne pas détruire son appareil.

Faisant un jour un vol au Maroc avec un passager, je constatai en regardant le manomètre qui se trouvait en face de moi et qui indiquait la pression nécessaire pour faire arriver l'essence que l'aiguille en était tombée de 100 à 50. Je me mettais immédiatement à pomper et faisais fonctionner avec rage la pompe à essence ; je tirais avec une violence inusitée la ficelle qui me reliait à mon passager et lui faisais signe de pomper également. Plus nous pompions, plus l'aiguille descendait ; elle tomba à zéro... l'essence n'arrivait plus ; le jeu des cylindres s'apaisa et l'hélice ne tourna plus que par la vitesse acquise entretenue par la dégringolade qui commençait...

C'était la panne... et nous nous trouvions alors à plus de 1.500 mètres de terre...

Naturellement, en fait de terrains d'atterrissage, je n'en connaissais pas. Cependant au-dessous de nous, je vois un petit terrain, un mouchoir de poche, à côté d'un précipice ; je fais incliner mon appareil et me rejette en arrière sur mon siège comme un cavalier sur sa selle à la descente d'un talus à pic.

Un virage brusque au-dessus du précipice et les roues de mon appareil touchent le sol, à l'endroit que j'avais prévu ; c'est alors qu'un mur se présente devant moi, et je roulais toujours sur le sol, mais, ne voulant rien casser, je me précipite en-dehors de mon fuselage, j'attrape la queue de mon appareil et me laisse traîner quelques mètres, ce qui produisit un freinage brusque.

Quel soupir de soulagement, car 3 mètres de plus et l'appareil se brisait contre la muraille. Mon passager, très émotionné, était resté dans la même position, les jambes en l'air.

Un autre jour, une série de légers flocons bleuâtres, rayés d'éclairs, nous fit comprendre qu'on tirait sur nous ; ceci n'était pas très gai... et rendit plus vive une alerte que nous eûmes aussitôt après. Des ratés se produisirent et pour me rendre compte de ce qui se passait, je mis le moteur au ralenti ; je crus que nous allions être forcés d'atterrir.

Mon passager ne vivait plus car il avait la vision d'une effroyable chute, et ce n'est que bien longtemps après qu'il put s'en remettre. Il m'avouait d'ailleurs plus tard son angoisse et le sort qu'il se croyait réservé : une chute mortelle en plein bled marocain. Pour ma part, j'eus ma petite minute d'angoisse.

BRÉGI.


UN CYLINDRE SE BRISE A 5.000 MÈTRES
SA PLUS BELLE ANGOISSE GARROS L'ÉPROUVA

Le vol angoissant de Garros à Houlgate

Le vol angoissant de Garros à Houlgate

À 5000 mètres d'altitude le moteur de Garros se brisa, l'aviateur eut la sensation nette et effroyable d'un arrachement, et crut que son appareil allait se cabrer ; heureusement, il put descendre en vol plané

J'étais venu à Houlgate pour tenter de battre le record du monde de l'altitude. Il s'agissait de dépasser 4.300 mètres. Tout s'annonçait très bien, il faisait beau temps, un vent assez régulier qui portait l'appareil et permettait une ascension facile. Je partis, le paysage se déroulait sous moi, la côte normande avec ses bois, ses villas, la mer, et bercé par le ronronnement du moteur, je montais toujours sans effort. Tout semblait donc se passer le mieux du monde, et j'étais à peu près à la hauteur du Mont-Blanc, à 5.000 mètres, lorsque j'entendis à l'avant de l'appareil un tintamarre effroyable.

Les moteurs n'ont pas toujours bon caractère ; ils demandent qu'on les traite avec beaucoup d'égards, et quelquefois même, comme les femmes, plus on a d'égards pour eux, moins ils en tiennent compte. J'avais eu pourtant beaucoup d'égards pour celui-ci, je l'avais soigné, dorloté, ce qui ne l'empêchait pas de me laisser en panne, au moment où j'en avais le plus besoin. Ce n'est pas qu'un arrêt eût été par trop effrayant.

Malheureusement, mon moteur avait jugé bon de ne pas s'arrêter, mais d'envoyer simplement une tête de bielle au travers du cylindre, si bien que mon moteur rotatif à 7 cylindres, parfaitement équilibré lorsque les 7 cylindres font tous leur devoir, fut nettement déséquilibré, en revanche, aussitôt que le cylindre rebelle lui manqua. J'eus la sensation nette et effroyable d'un arrachement, et un arrachement à 5.000 mètres c'est toujours délicat. J'eus des visions rétrospectives, celle de ce pauvre Latham à qui semblable accident était arrivé devant moi, à Rouen, quand il roulait encore sur le sol et dont l'appareil s'était cabré désespérément.

Allais-je me cabrer de la même façon, moi qui ne roulais pas sur le sol, et dont le baromètre accusait une hauteur de 15 000 pieds ?

La petite sueur classique me monta aux tempes, et j'eus au cœur le petit coup sec qui vous indique, mieux que toute réflexion, comme un pur instinct qu'il y a réellement du péril. J'eus heureusement aussi la bonne idée de couper le plus vite possible l'allumage, et après barrissements inquiétants et renfrognés, le moteur voulut bien s'arrêter, laissant en place l'hélice et le reste de l'appareil.

Il ne s'agissait plus que de descendre de 5.000 mètres. Heureusement, à l'inverse de l'escalier célèbre dans la chanson, il est beaucoup plus facile de descendre que de monter, surtout quand on n'a plus de moteur. La Normandie est un pays assez large pour ne pas être manqué, et je commençai à descendre le plus lentement possible jusqu'au sol, ce qui se passa le mieux du monde.

GARROS.


C'EST AVANT SON PREMIER VOL
QUE GAUBERT EUT LE PLUS PEUR

C'était en septembre 1909. Je voulais devenir aviateur. L'aviation, à ce moment-là, était très mystérieuse, je ne savais même pas de quel côté, il fallait gauchir pour rétablir l'équilibre.

Après avoir bien examiné l'aéroplane, j'essayai de me rendre compte de ce qu'il fallait faire, et, pendant plus de huit jours, en fiacre, en omnibus, en auto, dans le métro, partout, sauf sur l'appareil naturellement, je m'apprenais à voler. Je fermais les yeux, je m'imaginais être dans l'espace, je tripotais des leviers imaginaires, j'inventais des manoeuvres savantes, mais je ne montais toujours pas sur le redoutable engin. Au bout de huit jours, cependant, je pris courage, j'approchai du monstre, je m'y installai à l'arrêt, j'en descendis, et vers 4 heures, un beau soir, je lâchai le mot décisif : « Sortons l'appareil. » Le moteur tournait et les deux hélices aussi ! Qu'allait-il se passer une fois dans l'espace ? Les mécaniciens me regardaient comme une bête curieuse ou comme un condamné qu'on mène à l'échafaud. Moi, naturellement, j'affectais d'avoir l'air calme et même joyeux, et je me disais : « Ou tu vas démolir l'appareil et passer pour un imbécile, ou tu vas te démolir toi-même, ce qui retirera un peu d'intérêt à la démolition de l'appareil et ton oraison funèbre sera: qu'est-ce qu'il allait bien faire là dans cette galère ».

Je donnai l'ordre de mettre le moteur en marche et j'eus un moment l'espoir qu'il n'allait pas partir. Fatalité, il partit merveilleusement. Plus moyen de reculer. Allons-y ! le moteur tourne bien; je fais le signe fatal, lâchez tout !

Je sens que je glisse sur le rail. Arrivé au bout, je tire un peu comme j'ai lu que le faisait Wright et me voilà en l'air. Cette fois, j'ai réellement, mais très réellement peur. Je ne vois absolument que le ciel devant moi. Je veux revenir vers la terre, je pique, le sol se rapproche avec une rapidité effroyable, je cabre à nouveau l'appareil, je remonte ; je penche à droite, puis à gauche ; je retombe; j'ai la sensation d'être ivre. Décidément, l'apprentissage que j'ai fait en fiacre et dans le métro est réellement insuffisant. Pendant que je réfléchis, le paysage avance, je vois avec terreur arriver la petite rivière l'Orge qui traverse l'aérodrome de Juvisy. Je la passe en montagnes russes, et cette fois j'en aiassez, il arrivera ce qu'il arrivera, j'arrête le moteur.

C'était un rude appareil. Il le prouva ce jour-là encore en me déposant tranquille¬ment à terre sur mes patins, sans rien casser.

GAUBERT.


A 2.000 MÈTRES D'ALTITUDE
GILBERT MANQUE DE TOMBER SUR LES PYRÉNÉES

L'aviateur Gilbert

L'aviateur Gilbert

Le spécialiste des longs vols sans escale

Ma plus forte et plus violente sensa¬tion d'angoisse fut lors de cette Coupe Pommery, que je croyais bien emporter en volant de Paris à Vittoria sans escale, et en repartant pour Medina del Campo, près de Salamanque.

Je me trouvais au-dessus des Pyrénées, à 2.000 mètres d'altitude environ, lorsque soudain, sans hésitation, après deux ou trois soupirs d'agonie, mon moteur s'arrêta, sans que je pusse soupçonner d'où venait la cause de l'arrêt. Aussitôt, l'appareil commença à descendre. J'eus beau le maintenir le plus possible sur le plan le plus horizontal, je vis l'aiguille du baro¬mètre osciller lentement et marquer la des¬cente implacable.

J'avais 30 secondes encore à vivre pour trouver ma panne et y remédier. Aussi, ces secondes d'angoisse ne furent pas longues ; elles me parurent atrocement courtes.

Une odeur d'essence, forte, piquante, attira heureusement mon attention. Comme un éclair, une idée me traverse le cerveau. C'est l'essence. Mon moteur n'en manque pas ; au contraire, il en a trop. J'ai en effet deux réservoirs d'essence, dont l'un, le réservoir à pression qui contenait 120 litres, est vidé, car je vole depuis Paris sans avoir repris terre, et mon moteur doit être main¬tenant alimenté par mon second réservoir. J'ai laissé le robinet de communication ouvert entre les deux réservoirs, et les 130 litres d'air qui ont remplacé l'essence dans mon réservoir à pression obligent l'essence du second réservoir à entrer à profusion dans le moteur. Celui-ci, qui ne consomme que 20 litres à l'heure, en reçoit 40 ou 50, et le mélange gazeux explosible, dosé d'air et d'essence, ne se produit plus. C'est de l'essence pure qui envahit les cylindres. Le moteur est noyé, il s'est arrêté.

Vite je ferme le robinet de communica¬tion et j'attends ; la vitesse de l'appareil fait tourner lentement l'hélice, qui entraîne le moteur, celui-ci rejette peu à peu le sur¬croît de carburant, l'allumage est mis, il n'a même jamais été coupé. Le moteur va-t-il repartir ?

Et dans cette longue descente, l'oreille attentive, les nerfs tendus, cherchant de temps à autre à percer d'un coup d'œil l'opacité des nuages pour voir la terre, que je n'aperçois toujours pas, hélas ! Je revois toute ma vie se dérouler devant moi. Minute tragique. Victoire ! le moteur est reparti, comme hésitant, puis dans un rythme joyeux, une fanfare d'allégresse qui me monte au cœur. Je redresse le gouvernail de profondeur, je regarde le baromètre. Nous remontons.

GILBERT.


Il serait un peu imprudent et hardi de notre par d'ajouter quelque chose à ces confidences, dont quelques-unes faillirent être suprêmes.

Pour être moi-même, monté en aéroplane, à diverses reprises, et bien avant même la plupart de ceux qui depuis sont devenus des maîtres, je n'ai pas et pour cause, connu de semblables émotions.

Tout au plus resterions-nous dans la note un peu gaie chère à Leblanc, à Védrines et à Gaubert. Je prendrais cependant la liberté de vous crayonner en quelques lignes la psychologie du passager. Cette fois, on m'accordera bien quelque compétence. Passager, je le fus souvent, et combien en ai-je vu, non pas mourir de jeunes filles, ainsi que le disait Victor Hugo, mais blêmir de braves gens dont l'orgueil seul domine les nerfs et la volonté !

Il y a plusieurs classes de passagers : il y a d'abord le passager inconscient qui trouve toujours que tout va bien, qu'on ne monte jamais ni assez haut, ni assez vite, que toutes les descentes sont délicieuses, qu'il n'y a pas de vent et que l'appareil marche superbement. Les femmes forment la majorité de cette classe. Heureux caractère ! L'appareil est sur une aile, les spectateurs tremblent d'effroi, le constructeur de l'aéroplane s'arrache les cheveux, s'il lui en reste, le pilote se cramponne, le passager sourit. Quand il descend, il dit à son pilote un peu blême : « La prochaine fois, il faudra que vous me fassiez éprouver une petite sensation. On a par trop le sentiment de la sécurité ! »

Cette espèce se fait d'ailleurs de plus en plus rare. On a trop lu dans les journaux, et trop vu dans les cinémas d'accidents d'aéroplanes. Le passager part en général avec une impression d'angoisse, et la classe des inconscients se transforme en celle des volontaires malgré eux.

Vous vous souvenez peut-être de ce soldat que l'on félicitait d'avoir marché bravement à la baïonnette sur l'ennemi et d'avoir pris un drapeau au premier rang de la charge. Il répondit tout simplement : «Il y avait cinquante rangs de baïonnettes derrière moi, vingt rangs seulement devant, j'ai couru là où il y en avait le moins. Quant au drapeau, celui qui le portait a voulu m'assommer, il a bien fallu que je me défende. »

Il y a beaucoup de passagers en aéroplane qui sont de la mentalité de ce héros. Ils sont venus faire un petit tour sur l'aérodrome. Un ami commun les présente à un aviateur. Celui-ci, par amabilité, ou par rosserie, on ne sait jamais, offre un petit tour dans l'appareil fatal. Le monsieur accepte d'un air empressé, et sa figure se nuance aussitôt de teinte verte du plus bel effet. Il ne se presse cependant pas de monter dans l'appareil. Il n'a pas de casquette, pas de lunettes, il est vêtu légèrement. Ce sera pour une autre fois. Hélas, un fâcheux se dévoue encore, et offre tout ce qu'il manquait. Il y a là des femmes qui regardent. Pas d'hésitation, il faut y aller.

Le patient, inerte, prend place dans l'appareil du supplice. Le moteur part. En général, l'effroi cesse peu à peu. Ce n'est qu'à une vingtaine de mètres en l'air que l'infortuné s'aperçoit qu'il a quitté le sol. Un vague sentiment d'angoisse persiste, qui ne se transforme en frousse épouvantable que si l'appareil tangue et roule un peu. Il y a des pilotes qui n'oublient jamais de donner cette sensation suprême à leurs passagers. Deux coups de gouvernail, un dans chaque sens, à toute vitesse, ne ratent jamais leur effet.

Enfin, l'appareil revient sur le sol. C'est extraordinaire comme on descend vite, on a l'impression d'une balançoire énorme ; le passager prend pied. À partir de maintenant, il prend sa revanche. Il déclare d'un air nonchalant : « C'est extraordinaire, on n'a absolument aucune impression. » Puis, félicitant le pilote, il ajoute : « Nous sommes bien montés à quinze cents mètres, n'est-ce pas ? À douze cents seulement », répond le pilote, car l'appareil n'est en effet monté qu'à six cents mètres.

Le soir, notre passager conte son voyage à deux mille mètres d'altitude en répétant :

C'est inouï, mais on ne peut pas éprouver la moindre seconde d'angoisse. La prochaine fois, il faudra que, je demande qu'on me donne le sentiment du danger. Je voudrais savoir ce que c'est. »

Seulement, à dater de ce jour, il n'approchera jamais plus d'un aérodrome.

GEORGES PRADE.


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- quelques photographies de matériel,
- des documents divers, comme la brochure du Comité de soutien Concorde d'avril 1974, aimablement communiquée par Francis SAINT PIERRE.
On peut y trouver l'historique en trois étapes, le premier vol, les essais au sol et en vol, les moteurs, la philatélie, la publicité technique et commerciale, le tragique accident du F-BTSC, les modifications, le redécollage et l'arrêt des vols.

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