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Départ pour une promenade à bord d'un Morane 571
Photographies : Agence Photographique Française
L'avion privé est à l'avion de transport ce que l'automobile est au chemin de fer : un véhicule personnel, libéré de la servitude des horaires, des correspondances, des arrêts à points fixes... et des voisinages incommodes. À ce titre, il devrait trouver la faveur du Français individualiste. En fait, le bureau Veritas n'enregistre pas trois cents avions privés en France et dans l'Union française - non compris les appareils de clubs - contre quelque 100.000 en Amérique.
On pourrait être tenté d'expliquer la médiocrité de cette situation par l'esprit de routine, le manque d'audace, voire la pusillanimité. Il est de fait que les nouveautés sont assez longues à s'implanter chez nous. Toutefois, il est bon de noter que les divers aéro-clubs possèdent en propre cent quatre vingt-dix appareils environ, plus six cent soixante qui leur sont prêtés par l'État, et que cette flotte sert journellement à la formation de pilotes, à des vols d'entraînement, promenades en campagne, baptêmes de l'air, etc. Le Français n'est donc pas hostile par principe à la locomotion aérienne. C'est ailleurs qu'il faut chercher les causes profondes de sa réserve...
Il y a deux sortes d'avions privés : les biplaces et les multiplaces, les uns et les autres encore monomoteurs malheureusement.
Les biplaces sont, en général, d'une puissance comprise entre 75 et 160 CV, donnant une vitesse de 110 à 190 km.-h., à quelque chose près. Les sièges sont le plus souvent côte à côte et à l'air libre. De ce fait, le confort est réduit et correspond à celui que l'on peut attendre d'une voiture de sport. Le prix oscille entre 800.000 et 1.500.000 francs.
Les multiplaces sont dotés de cabines et de fauteuils confortables, qui en font les conduites intérieures de l'air ; formule satisfaisante pour ceux qui veulent utiliser l'avion comme une voiture : déplacements en famille avec armes et bagages, taxis, petits cargos pour marchandises précieuses, ambulances volantes, etc.
Parmi les modèles qui ont été établis dans cette ligne générale, deux appareils se sont particulièrement imposés dans des formules sensiblement différentes : le Norécrin et le Courlis.
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Le Norécrin II est un monoplan à aile basse, comportant quatre places ; son moteur de 135 CV lui assure une vitesse de croisière de 220 km.-h. Prix : 2.095.000 francs. T.S.F., appareillage pour pilotage sans visibilité, équipement et démarreur électrique en supplément.
Le Courlis est un monoplan à aile haute, d'une puissance de 190 CV et d'une vitesse de croisière de 200 km.-h. ; démarrage électrique, radio, émetteur à ondes courtes, installation pour pilotage aux instruments, etc. Le montage du moteur à l'arrière de la cabine donne à celle-ci une visibilité et un silence relatif très appréciables. Prix : 3.600.000 francs.
À ces frais de premier établissement, si l'on peut dire, viennent s'ajouter ceux de vol, d'entretien et de garage.
Le Norécrin consomme trente litres d'essence (soit douze aux cent kilomètres) et le Courlis quarante-deux. À 46 francs le litre environ (vingt et un litres aux cent kilomètres) - l'essence d'avion est encore plus chère que l'autre - cela remet l'heure de vol à 1.380 et 1.922 francs, respectivement, plus un litre d'huile environ, à 180 francs.
Pour vous poser sur un aérodrome, vous devez acquitter une taxe d'atterrissage de 40 francs par tonne de poids non divisible, ce qui veut dire que si l'appareil ne pèse que 700 kilos il paiera tout de même pour 1.000. Mieux encore : le poids taxé est le poids officiel à pleine charge, même si l'appareil est vide. À noter que l'accès de certains terrains est libre mais ce ne sont jamais ceux de l'État...
Pour garer votre avion en plein air, vous donnerez 40 francs par jour, et le double pour jouir du hangar. Au domicile officiel de l'avion, le garage est de l'ordre de 5.000 francs par mois.
L'entretien se chiffre mensuellement à 3 ou 4.000 francs. Quant aux réparations, vérification du moteur toutes les cinquante heures de vol exactement et dégroupage obligatoire après deux cents, il est naturellement difficile de les évaluer : 4 ou 5.000 francs par mois environ.
À ces frais s'ajoutent 1.000 francs par jour d'assurance tous risques et 800 francs trimestriels de certificat de navigabilité ; plus 30 à 35.000 francs de pilote par mois, si le propriétaire n'est pas breveté.
Il n'y a pas assez de terrains d'atterrissage, principalement là où l'aviation privée peut rendre le plus de services : dans les régions éloignées des grandes routes de fer et de l'air. En Amérique, il n'est pas de ville qui n'ait sa piste d'accueil. Quand nous en serons là en France, l'aviation privée trouvera sa véritable raison d'être.
En attendant, les terrains existants sont généralement relégués fort loin des centres qu'ils desservent : Toussus-le-Noble et Villacoublay à vingt-cinq kilomètres de Paris, Bron à douze de Lyon, Marignane à trente-cinq de Marseille, etc. Il faut compter au moins une heure en attente de taxis, transbordements de bagages et déplacements routiers. Or, l'intérêt de l'avion privé et ce qui justifie son coût élevé c'est le gain de temps qu'il réalise par rapport aux modes de locomotion terrestre ; avec de semblables intermèdes, le bénéfice est fort diminué. Aussi, tant qu'elle ne disposera pas de plates-formes moins excentriques, l'aviation privée ne donnera de résultats positifs que sur les parcours assez longs pour laisser une marge de temps suffisamment bénéficiaire, grâce à la vitesse.
En contrepartie des lourdes charges qui la grèvent, l'aviation privée trouve certains éléments de sécurité sur ces aérodromes si onéreux par ailleurs. Quand vous venez prendre votre avion, vous entrez d'abord en contact avec la « tour de contrôle », service chargé de la police de l'endroit, au sens large du terme. Vous lui soumettez votre « projet de voyage », comportant l'itinéraire choisi, les arrêts prévus et le terminus, ainsi que l'heure probable d'arrivée. La « tour de contrôle » donne ou refuse le départ en fonction de la météo, ou encore impose des modifications de parcours par suite du temps que vous rencontrerez en route. Ceci réglé, elle alerte les terrains où vous devez vous poser, afin qu'ils donnent l'alarme dans le cas où vous ne seriez pas rendu à destination dans les délais maxima. Vous avez ainsi l'impression réconfortante d'être suivi de bout en bout de votre périple par un organisme attentif, prêt à vous porter secours en cas de besoin.
L'aviation privée se plaint amèrement que l'État n'ait pas une politique cohérente à son égard ; certains disent même : pas de politique du tout... Si le Norécrin et le Courlis ont bénéficié de la faveur d'une garantie officiellepour la mise en oeuvre de deux séries, de 180 et 146 appareils respectivement, la plupart des constructeurs sont entièrement livrés à eux-mêmes, sans directives ni encouragements. Il en résulte, la création de prototypes les plus disparates, signe incontestable de vitalité mais aussi éparpillement d'efforts qu'il serait plus avantageux de concentrer sur quelques types soigneusement étudiés et mûris.
D'autre part, l'État a supprimé d'un trait de plume toute aide aux propriétaires d'avions privés. Avant guerre, ceux-ci touchaient en primes d'achat le tiers de la valeur de l'appareil ; on leur faisait aussi une ristourne importante sur le prix de l'essence consommée en vol. Souvenirs...
Enfin - et ce n'est certainement pas là un argument de mince valeur dans le débat - la possession d'un avion privé, même s'il est consacré aux affaires, est considérée par le fisc comme un super-signe extérieur de la richesse et noté comme tel, avec tout ce que cette appréciation entraîne comme cascade de répercussions. S'étonnera-t-on après cela que le Français, déjà durement traité par ailleurs, préfère rentrer dans sa coquille plutôt que dans une carlingue ?... C'est un de ces éléments dont la force sentimentale et psychologique dépasse de loin l'incidence réelle.
Quoi qu'il en soit des vastes, des insatiables besoins de l'État, il est de fait que ce dernier perdra dans l'affaire une masse de pilotes entraînés - à leurs frais - dont il pourrait avoir fort besoin quelque jour ; sans parler des droits sur l'essence, à la marge bénéficiaire confortable ; ni du manque à gagner en devises, puisqu'une industrie dans le marasme à l'intérieur n'aura pas de modèles intéressants à exporter.
Pour que l'aviation privée reçoive un coup de fouet salutaire, il faudra avant tout que l'État revienne à de meilleurs sentiments ; tant qu'il ne le fera pas, il se trouvera toujours une poignée d'entêtés prêts à payer cher leur obstination à voler. Malheureusement, le sacrifice de ce noyau de fidèles ne compensera pas, et de loin, les pilotes et les avions à naître qui ne naîtront pas... et l'État sera, en définitive, une fois de plus le mauvais marchand d'une politique à courte vue.
Marcel LASSEAUX.
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