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Un raid en Indochine de 8 kilomètres

Photos André Alibert

André Alibert, était photographe au Bourget entre les deux guerres, au 19 rue du Commandant Baroche. Il était correspondant du journal 'Les Ailes' à qui il a fourni de nombreuses photos d'aviation qui ont paru dans ses colonnes. A ce titre, il a connu personnellement et photographié les 'as' de l'aviation de l'époque. Pendant la 2e guerre mondiale, le studio du Bourget fut détruit sous un bombardement. Il installa par la suite son studio photo à Vertus dans la Marne, puis à Loisy en Brie avant de prendre sa retraite. André Alibert

Le Dragon d'Annam

-- Que dirais-tu d'un voyage en Indochine ?

Cette question que Costes me posa un jour, au Bourget, après quelques minutes d'un entretien banal, me cloua sur place.

Je m'étais évertué, en vain jusqu'alors, à mettre sur pied des tentatives de raids, et voici qu'une nouvelle espérance surgissait.

Je n'osais croire à cette invite de la chance.

Dernièrement encore, j'avais caressé le projet d'un parcours Paris-Saigon-Tokio et retour par la Russie. Faisant équipage avec le capitaine Puyperou, nous devions disposer d'un appareil bimoteur Blériot. Tout semblait marcher à souhait. Hélas ! au dernier moment, plus d'avion. Certes, l'organisme qui dirigeait alors l'Aviation civile était bien disposé à mon égard, mais aucun service, sans refuser pour autant son accord, ne voulait prendre la responsabilité de me livrer l'appareil.

Ma déception avait été vive.

Bah ! tout cela ne comptait plus : l'Orient s'ouvrait de nouveau devant moi en ce début de l'année 1929. Costes me précisa les modalités du raid. A lui les responsabilités du chef de bord ; Bellonte serait mécanicien-radio ; j'aurais les fonctions de second pilote et de navigateur.

Une berline Breguet biplan 284T, munie d'un moteur Hispano-Suiza de 550 C.V., nous était attribuée. Baptisé pour la circonstance Dragon d'Annam, notre appareil avait reçu un équipement, complet pour l'époque, de pilotage sans visibilité et de navigation : contrôleur de vol, clinomètre, navigraphe, quadrant Favé, etc...

Les essais du poste de T.S.F. à ondes courtes, effectués avec l'ingénieur pilote Minguet, furent plus que concluants : les postes de Dakar et de Tunis enregistrèrent nos messages le plus aisément du monde. C'était un progrès étonnant pour l'époque, qui renforça notre confiance.

Notre itinéraire comportait une première étape à Tri-poli, puis viendraient Le Caire, Bassorah, Karachi, Allahabad, Calcutta et Hanoï.

Alors que les meilleurs bateaux mettaient près d'un mois pour atteindre l'Indochine, une liaison en trois jours et demi, ainsi que nous pensions le faire, apparaissait comme un objectif de première grandeur.

C'est la raison pour laquelle un autre équipage : Paillard, Le Brix et Jousse, sur un Bernard-Hispano, envisageait également cette performance.

Ils pensaient partir approximativement à la même date que nous, mais suivant un parcours différent.

Costes, ayant surmonté une brusque attaque de diphtérie, avait décidé que nous décollerions le 18 février. De mauvaises circonstances atmosphériques firent remettre le départ au lendemain...

En cette fin d'après-midi, tandis que nous procédons aux derniers aménagements de la cabine, rangeant nos effets personnels et les quelques vivres dont nous aurons besoin jusqu'à notre premier atterrissage, le crépuscule et la brume commencent à envahir le terrain du Bourget.

Cela ne nous inquiète pas outre mesure, car la météo nous a promis une nette amélioration dès que nous aurons quitté la région parisienne.

Nous sommes tous trois pleins d'espoir et bavardons sans arrière-pensée avec les personnalités qui nous entourent. Il y a là M. Couhé, secrétaire général du ministère de l'Air, le constructeur Louis Breguet et l'ingénieur Birkigt, mes camarades d'Air-Union, avec Laulhé, Chovard, Corsin, et de nombreux pilotes, dont Carretier.

À 17 h 40, le Dragon d'Annam est sorti de son hangar. Le magnésium des photographes troue brutalement la demi-obscurité qui s'épaissit peu à peu.

Toute cette atmosphère me comble. Certes, je ne me sens pas précisément l'état d'âme d'une jeune fille qui fait ses débuts dans le monde, mais un premier raid, pour un pilote, c'est un peu la griserie d'un premier bal : un espoir longtemps bercé qui se réalise.

Au diable le lyrisme ! L'appareil est maintenant en position de départ. Costes s'installe au poste de pilote, Bellonte et moi embarquons à sa suite.

Une dernière vérification. Oui, les sacs postaux que les P.T.T. nous ont confiés sont bien à bord. Ils contiennent plus de 6.000 lettres à destination de l'Indochine.

Costes ouvre les gaz. Nous décollons avec facilité. Un tour de terrain, nous piquons vers le sud-est.

Le cap donné, je me dirige vers l'installation aménagée dans la partie supérieure de la cabine pour surveiller la dérive et la route.

Nous sommes environ à 500 mètres d'altitude lorsque le ronronnement du moteur s'interrompt. Une courte reprise, un toussotement : l'hélice s'arrête.

D'un bond, j'ai regagné ma place. Je saute sur les robinets de vidange. J'y rencontre la main de Costes qui s'y pose au même moment.

Une pression rapide, nous sentons que l'avion s'allège.

Au-dessous, c'est le noir parsemé de lumières clignotantes. Nous allons percuter une agglomération.

Costes s'est rivé aux commandes. Dans ces ténèbres, il distingue un noir plus intense. L'aile inclinée frôle des toits. Le trou sombre est là. Costes plaque l'avion. Un bruit enveloppant, un déchirement de tôle qui semble nous pénétrer, de multiples chocs, une intense odeur d'essence.

Le silence.

-- Personne n'a rien ? haleta Costes.

-- Ça va, répondit Bellonte.

Péniblement, je parvins à articuler :

-- Moi aussi.

Je ne pouvais bouger. Complètement coincé entre les réservoirs, je sentais maintenant une douleur sourdre de ma cheville, gagner ma jambe et s'irradier à la hauteur des reins.

Mes compagnons s'empressèrent. Après de multiples efforts, je parvins à sortir de la cabine. Nous étions saufs. Notre premier regard fut pour l'appareil.

C'est à Bondy, à moins de soixante mètres du pont qui enjambe la ligne Paris-Strasbourg, que notre avion s'était incrusté dans le terre-plein large de vingt mètres qui sépare deux séries de voies.

Le moteur presque intact avait dévalé la pente du talus, tandis que l'extrémité de l'aile droite atteignait le niveau du ballast, à moins d'un mètre des rails.

La demi-aile inférieure gauche complètement retour-née laissait apercevoir les lettres d'immatriculation. Un poteau télégraphique s'était, à l'emplanture, profondément enfoncé dans l'aile.

Le train d'atterrissage, enterré, avait perdu une roue que l'on retrouva à plusieurs dizaines de mètres.

Les vitres de la cabine étaient en miettes et le fuselage, replié sur lui-même, avait cédé juste au ras des sièges.

Le Dragon d'Annam ne verrait jamais le pays du « Midi pacifié ». Une incompréhensible panne d'alimentation avait mis fin à mes premiers pas d'aviateur de raids.

Le bal s'était terminé trop tôt...

-- Tu peux me croire, Paul, nous remettrons ça, me dit Costes. En attendant, va te faire soigner, nous resterons ici.

Ne voulant pas être hospitalisé, je demandai simple-ment à rentrer au Bourget. Une voiture fut mise à ma disposition.

Avant de quitter les lieux, je voulus récupérer mon matériel de navigation. Il manquait une montre de marine « Auricoste ».

-- Voyez, devait me faire remarquer celui qui me la rendit le lendemain, le choc a été dur, elle est toute détraquée.

La montre était en bon état, mais le brave homme ignorait les subtilités de l'heure sidérale !

Le téléphone étant un moyen de communication plus rapide que la route, c'est avec la tête de gens au courant de l'accident que m'accueillirent mes camarades.

-- Tu reviens de loin... me dit Carretier.

Avec un sourire forcé, je rétorquai

-- Non, cela fait tout juste huit kilomètres.

Mais, à dire vrai, je n'avais guère envie de plaisanter. Finalement, je dus m'aliter et rester allongé, car, outre ma cheville foulée, j'avais des déchirures musculaires importantes dans la région lombaire.

Je n'étais plus à un mois de clinique près, mais pourtant les jours me parurent bien longs jusqu'à mon lever.

 


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