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Ni avion, ni ballon, ni hélicoptère : l'hélicostat

DES RÉSULTATS AÉRONAUTIQUES JAMAIS ENCOTE ATTEINTS...

Une vue caractéristique de l'hélicostat. Malgré son aspect, cet appareil volant ne constitue pas un dirigeable proprement dit, puisqu'il ne doit ses évolutions de tous ordres qu'au jeu de cinq hélices rationnellement disposées. Montée et descente s'effectuent verticalement, l'hélicostat pouvant se stabiliser et rester immobile en n'importe quel point de sa trajectoire.


Hélicostat

Cet appareil volant, à la curieuse découpure, représente la conception primitive de l'ingénieur œhmichen : il s'inspirait du vol des oiseaux, complété grâce aux résultats personnellement acquis par ce technicien à l'égard de l'hélice aérienne. Les performances furent satisfaisantes : vol de 5 minutes, parcours d'un kilomètre en circuit fermé, enlèvement de 200 kilos de surcharge. Mais la sécurité demeurait précaire.

Les recherches si variées concernant le vol humain, - notamment dans le domaine de l'hélicoptère, - ont accoutumé nos yeux aux silhouettes d'appareillages les plus diverses. Il n'en est pas, sans doute, de plus inattendue que cette combinaison hybride réalisant l' « hélicostat » d'Étienne œhmichen, où se conjuguent ballonnet et carlingue ou plutôt carcasse d'avion ! Mais, avec celui-ci, les résultats qui viennent d'être obtenus dépassent de loin tout ceux que purent réaliser jusqu'à ce jour les autres candidats au vol rectiligne... C'est ce que va nous expliquer brillamment un de nos collaborateurs les plus qualifiés pour ce genre de vulgarisation : le rédacteur en chef du journal « Les Ailes », notre excellent confrère Georges Houard.

L'AVIATION fait de jour en jour des progrès dans la voie de la sécurité. Si l'on écarte les imprudences commises par les pilotes, il est permis, dès aujourd'hui, de considérer l'avion comme un engin pratiquement sûr quand il est en vol. Le risque ne subsiste plus guère qu'au moment du décollage et surtout de l'atterrissage. La sustentation de l'avion étant fonction de sa rapidité, celui-ci atterrit nécessairement vite ; pour partir et se poser, il lui faut donc de grands terrains aux abords dégagés, et si, pour une cause quelconque, il doit atterrir fortuitement dans une région accidentée, la manœuvre peut être assez délicate et comporter encore un certain risque.

Réduire la vitesse d'atterrissage de l'avion est donc la préoccupation essentielle de ceux qui veulent, pour l'aviation, une sécurité de plus en plus grande. Des résultats appréciables ont déjà été obtenus dans ce sens, mais il est bien évident que le problème ne sera complètement résolu que le jour où l'on disposera d'un appareil aérien qui partira et atterrira sur place, sans vitesse. Cela, l'avion peut-il nous le donner ? Ou, comme certains le croient, faut-il le demander à l'hélicoptère ?

L'hélicoptère et ses dangers

DANS l'hélicoptère, la sustentation étant obtenue indépendamment de la translation, départ et atterrissage ont lieu verticalement. C'est donc la solution parfaite du problème. Le malheur est que, si l'hélicoptère présente cet avantage considérable, il a, par contre, plusieurs inconvénients. Le plus grave est que, pratiquement, il n'a pas encore été réalisé, qu'on n'a pas encore, dans cette voie, dépassé le domaine de l'expérience pure... De plus, ce ne serait pas un progrès de résoudre le double problème du départ et de l'atterrissage si, en même temps, on ne permettait pas à l'hélicoptère de descendre doucement, sans risque, quand se produit un arrêt du moteur.

Or, ce n'est point encore le cas. Dans tous les hélicoptères essayés jusqu'à ce jour, l'arrêt du propulseur entraîne la chute immédiate de l'appareil ; c'est un risque grave qui condamnerait d'avance le système, si l'on n'avait, en projet, des dispositifs divers, susceptibles d'y porter remède. Enfin, si l'hélicoptère décolle et atterrit verticalement, il reste à déterminer les conditions de sa translation : quelle vitesse horizontale obtiendra-t-on avec un hélicoptère ? La navigation aérienne n'est intéressante que par la rapidité de déplacement qu'elle procure. Si l'hélicoptère n'avance pas ou n'avance que lentement, autant employer un quelconque mode de locomotion terrestre !

Hélicostat

Ce dispositif comportait d'importants progrès sur le modèle précédent. Il réalisait ingénieusement la stabilisation automatique, problème resté jusque-là sans solution pratique. Pourtant, un certain manque de fixité le rendait encore dangereux. L'inventeur se remit à l'étude pour une solution définitive.

Du vol des oiseaux à l'hélice aérienne

PARMI les chercheurs qui se sont attaqués au problème de l'hélicoptère, celui qui a étudié la question le mieux, le plus sérieusement, le plus scientifiquement, est sans aucun doute M. Etienne œhmichen. Depuis quelque dix années, cet opiniâtre technicien a cherché, dans l'hélicoptère, la solution de l'envol et de l'atterrissage à la verticale des aéronefs. Ses travaux sont ordonnés, méthodiques ; ils contrastent singulièrement, en cela, avec ceux qui, à défaut de résultats, ont abouti à une réclame tapageuse et presque toujours injustifiée.

Le premier appareil œhmichen date de 1922. Il s'agissait alors d'un hélicoptère, issu directement des recherches de l'ingénieur sur le vol des oiseaux et sur l'hélice aérienne. Cet appareil vola. Mais, comme la stabilité de l'hélicoptère est un problème terriblement ardu, M. œhmichen, dès cette époque, eut l'idée de demander à un ballonnet d'équilibrer son dispositif. Le but visé fut atteint. Ce ballonnet, - un simple cylindre terminé, à chacune de ses extrémités, par une calotte demi-sphérique, - gonflé à l'hydrogène, ne procurait au système qu'un allégement insignifiant (40 à 60 kilos de force ascensionnelle, pour un poids total de 340 kilos) ; mais il stabilisait l'ensemble d'une façon remarquable.

Outre cet avantage, le ballonnet avait l'intérêt de constituer un véritable parachute : en cas d'arrêt du moteur, il freinait la descente et permettait à l'appareil de se poser avec une douceur relative, sans nul dommage pour le pilote ni pour la machine.

Cependant, à l'époque, le ballonnet ne constituait qu'une solution provisoire. En dépit de ce qu'elle lui avait déjà donné, M. œhmichen l'abandonna pour réaliser un hélicoptère pur. Cet hélicoptère fut un succès, en ce sens qu'il permit à l'ingénieur de faire ce qu'un hélicoptère n'avait jamais fait jusqu'alors : un vol d'une durée de cinq minutes, un parcours d'un kilomètre en circuit fermé, l'enlèvement d'une charge « marchande » de 200 kilos.... C'était splendide. Mais, malgré ces performances pour le moins encourageantes, le problème n'était que très partiellement résolu : l'appareil restait d'un pilotage délicat, d'un réglage précaire, d'une sécurité quasi nulle.

Un nouveau dispositif devait remédier à ces défauts : À la suite de diverses expériences, réalisées tant en laboratoire que sur le terrain, M. œhmichen construisit un troisième hélicoptère qui, grâce à un dispositif extrêmement ingénieux basé sur l'emploi de contrepoids, assurait à la machine une stabilité absolument automatique. Les essais, des vols répétés, confirmèrent ce résultat. L'hélicoptère stable, automatiquement, était une réalité.

Malheureusement, stabilité ne signifie pas immobilité. L'appareil, donc, n'avait aucune tendance à chavirer, contrairement à tous les hélicoptères réalisés jusque-là, mais il s'en fallait qu'il fût fixe. Il se « promenait » en tous sens, suivant le gré d'un courant d'air, allait, venait, malgré les efforts du pilote pour lui assurer une trajectoire déterminée ou une immobilité complète. Le pilotage en était donc, encore et toujours, extrêmement délicat et, de plus, d'une sécurité nulle : si le moteur venait à s'arrêter, il n'y avait plus de sustentation, et l'appareil tombait sans que rien ne vînt ralentir la chute...

Hélicostat

Enfin, M. œmichen put réaliser ce très remarquable ensemble combiné : l'hélicostat, qui n'a, du « plus léger que l'air », que l'apparence. Celui-ci effectue maintenant départ et atterrissage sur place, et aussi vol au point fixe, marche arrière et descente parachutale moteur arrêté. Rayon d'action : 1100 kilomètres.

La première des conditions : la sécurité

RENDONS cet hommage à M. œhmichen : il pense - comme nous - que la condition première de la navigation aérienne est la sécurité complète. L'hélicoptère n'a pas d'avenir s'il est à la merci de la moindre panne...

On a mis beaucoup d'espoir dans l'autorotation de l'hélice sustentatrice pour freiner la chute et la rendre inoffensive. L'autogire privé de moteur descend bien lentement... Évidemment. Mais l'autogire est un avion à voilure tournante et non un hélicoptère. L'autogire descend presque à la verticale ; il ne décolle pas verticalement. Pour placer un hélicoptère privé de moteur dans les conditions de l'autogire, il faut rendre les pales de l'hélice sustentatrice - ou des hélices, s'il en comporte plusieurs - réversibles. Or, la réversibilité en vol d'hélices sustentatrices de grandes dimensions et, dès lors, soumises à des efforts considérables, est un problème très ardu (nombre et complexité des pièces essentielles, difficulté d'obtenir à coup sûr et, au besoin, après un long usage, le fonctionnement du système de réversibilité). En principe, ce système est réalisable, mais sans dépasser le cadre du laboratoire, de l'expérience, de la performance... De ce cadre à celui de l'application pratique, il y a une marge qu'on n'est pas près de franchir.

Or, sans un dispositif pratique, assurant la réversibilité des pales de l'hélicoptère et la mise en autorotation de l'hélice sustentatrice en cas d'arrêt du moteur, il n'y a pas de sécurité : l'arrêt du moteur à 20 ou à 50 mètres du sol signifie l'accident mortel, sans remède. Plus haut, il n'y a, pour le salut de l'équipage, que le recours au parachute... sans que celui-ci puisse sauver l'appareil.

Tout ce que peut faire l'hélicostat...

CE sont ces considérations, - avec quelques autres, - ce sont les expériences qu'il a poursuivies durant de longues années qui ont conduit M. Étienne œhmichen à modifier sa conception initiale du vol vertical et à s'orienter dans une voie nouvelle qui, si elle est l'aboutissement de ses recherches antérieures, n'en constitue pas moins une technique tout à fait neuve en matière d'aéronautique.

Cette conception du problème a amené M. œhmichen à reprendre l'usage du ballonnet qui figurait sur son premier appareil. Mais, au lieu d'utiliser un ballonnet de forme quelconque, il a choisi une enveloppe ovoïde, de bonne pénétration.

Et, de l'adaptation de ce ballonnet à l'hélicoptère issu de précédents travaux de l'inventeur est née une formule nouvelle d'appareil aérien que son créateur a baptisée hélicostat.

Qu'est-ce que l'hélicostat ? À ses lignes, à son aspect, c'est un dirigeable. À le voir évoluer, c'est autre chose... quelque chose de très différent, qui n'est ni un ballon, ni un avion, ni un hélicoptère. Il n'est pas exagéré de dire que ses évolutions vous laissent l'impression du vol d'un engin qui réunit les avantages des trois systèmes sans avoir les inconvénients de chacun d'eux. Quel que soit l'avenir réservé à l'hélicostat - et, pour notre part, nous croyons en lui ! - il faut bien penser qu'il a, dès maintenant, réalisé ce que ne réalise aucun autre appareil aérien :

Jamais, avant l'hélicostat, on n'a réalisé de pareilles manœuvres !

Il convient d'ajouter que toutes celles-ci sont à la portée de n'importe qui : le poste de pilotage comporte un « manche à balai » qu'il suffit de déplacer d'avant en arrière ou inversement pour commander la marche avant, la marche arrière ou pour faire varier la vitesse de l'aéronef. Un palonnier assure la direction, tandis qu'une manette de gaz permet le réglage du carburateur. Ce sont là les trois seuls organes de commande que comporte l'hélicostat. Il est bien certain qu'après dix minutes d'explication un novice est capable de le piloter. Si, d'ailleurs, il commet quelque maladresse, celle-ci est sans importance : il peut toujours la corriger.

Un inventeur qui expérimente...

M. ÉTIENNE OHMICHEN, qui eut le mérite de concevoir l'hélicostat, eut celui de l'expérimenter. Il totalise actuellement cinq heures de vol à bord de l'appareil, dont une sortie de trente et une minutes ; il est monté à 125 mètres ; à 75 mètres de haut, il a coupé son moteur et a atterri sans dommage. Tous ces essais ont eu lieu à Valentigney (Doubs), sur un terrain de très petites dimensions, sillonné de canaux d'irrigation, bordé d'arbres et de maisons.

C'est dire que, si la machine ne réalisait pas le départ et l'atterrissage sur place, un pareil terrain serait simplement impraticable.

Ajoutons que les atterrissages ont toujours eu lieu sans aide extérieure, par le pilote seul. Si le vent est violent, l'usager immobilise l'appareil au sol au moyen de harpons lancés et enfoncés en terre par une sorte de petit canon à gaz carbonique, dont le fonctionnement est aussi simple que certain.

L'hélicostat œhmichen comporte, en définitive, deux parties distinctes : l'enveloppe et le châssis. L'enveloppe a un volume de 400 mètres cubes pour une longueur totale de 19 m. 5o. A l'arrière, elle supporte un empennage cruciforme fixe, destiné non à diriger l'ensemble, mais uniquement à assurer la stabilité de l'enveloppe. Le châssis, d'une longueur de 11 mètres, est constitué par un assemblage de tubes en Duralumin ; il reçoit, outre la partie mécanique du système, le poste de pilotage.


Le moteur est un petit Salmson 40 CV, à neuf cylindres en étoile, qui, par transmissions rigides, actionne au total cinq hélices : deux hélices sustentatrices, placées vers l'arrière du châssis (l'une à droite, l'autre à gauche de celui-ci), calées environ à 30° sur l'horizontale ; deux hélices à axe horizontal, disposées également de chaque côté du châssis, mais à l'avant ; une petite hélice à axe horizontal, située à l'extrême avant, mais tournant dans le plan du système, ou, si l'on préfère, dans le sens de marche de l'appareil.

Les deux hélices à axe incliné, à pales fixes en bois, assurent la sustentation de l'hélicostat ; les deux hélices avant, métalliques, sont à pales réglables : suivant l'incidence que l'on donne à ces dernières, on commande par elles la translation plus ou moins rapide, le vol sur place ou la marche arrière ; elles concourent d'ailleurs aussi à la sustentation par l'action de l'air qu'elles déplacent vers les hélices sustentatrices ; enfin, la cinquième, - toute petite, celle-là, - de l'extrême avant, également à pales réglables, permet d'assurer la direction de la machine.

Hélices de l'Hélicostat

Ce qui, en réalité, caractérise l'hélicostat œhmichen, c'est que, s'il présente l'aspect extérieur d'un dirigeable, son principe en est tout différent. C'est en effet, malgré l'enveloppe gonflée de gaz, un plus lourd que l'air.

Ses 400 mètres cubes d'hydrogène ne lui procurent qu'une force ascensionnelle de 250 kilos, et, comme son poids total atteint 500 kilos, c'est, en définitive, 250 kilos que doivent enlever les hélices sustentatrices.

En fait, l'hélicostat est donc bien plus un hélicoptère qu'un dirigeable.

L'enveloppe, encore une fois, a surtout pour rôle de stabiliser l'ensemble et de représenter, en projection horizontale, une surface suffisante pour que, le moteur venant à s'arrêter, cette surface constitue un parachute capable d'amortir ou de freiner les 250 kilos que pèse l'appareil en descente. Sur ce point, l'expérience est si concluante que M. œhmichen envisage la possibilité de remplacer l'hydrogène dont est gonflée l'enveloppe par de l'air... On y perdrait en charge utilisable, il faudrait plus de puissance ; Mais la stabilité et la sécurité seraient presque aussi grandes.

Nouveaux perfectionnements en prévision

À L'HEURE actuelle, l'hélicostat possède un rayon d'action de l'ordre de 1 100 kilomètres, c'est-à-dire infiniment supérieur à celui de n'importe quel autre appareil aérien de même puissance. Sa vitesse, qui ne dépasse pas 60 à 70 kilomètres à l'heure, sera grandement améliorée dans le modèle suivant, - le type actuel n'est qu'un appareil d'étude, - par un carénage convenable du châssis, constituant l'hélicoptère proprement dit. On pense atteindre facilement le 110 à l'heure.

La sécurité au départ, en vol, à l'atterrissage, est pratiquement complète. Des moyens de protection ont été prévus contre une éventuelle déchirure de l'enveloppe, notamment par éclatement d'une pale d'hélice. Reste le problème de l'incendie... En attendant que l'air ou l'hélium remplace l'hydrogène, il convient de ne pas exagérer, dans un ballon souple, les risques d'incendie que présente ce gaz. Ils sont certainement moins élevés, en tout cas, que l'atterrissage à 100 kilomètres à l'heure d'un avion sur un mauvais terrain...

L'avenir montrera ce qu'il réserve à l'hélicostat œhmichen. Dès aujourd'hui, il faut saluer les travaux remarquables de l'ingénieur de Valentigney comme la première manifestation d'une technique toute nouvelle en aéronautique : l'association du ballon à l'hélicoptère. Quelle que soit la suite des essais, un fait est acquis : c'est que le problème de la sécurité aérienne marque, avec cet appareil, un très intéressant et indéniable progrès...

Georges HOUARD


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