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Page Annexe
Affecté à la base d'Air France aux îles du Cap Vert avant la Seconde Guerre mondiale, Joseph Corbé s'engage dans les Lignes aériennes militaires. Il est affecté à la station météo de Bangui où il devient chef d'escale.
« (...) Au début de la guerre, j'étais au Cap Vert. Toute une équipe de Français travaillait à la station météo d'Air France qui se trouvait sur l'île de Sâo Tiago. Ayant été radio des marines marchande et militaire, j'avais été affecté à cet endroit. La base d'Air France offrait une importance stratégique et notre station radio nous permettait de communiquer des renseignements précieux. L'armistice arrive et une période de flottement s'est installée. J'ai pris contact avec certains services qui pensaient poursuivre la guerre. A cette période, j'étais devenu le responsable de la base d'Air France parce que mon prédécesseur s'était déjà engagé dans les Forces françaises libres. Air France n'avait vraiment pas de chance, la compagnie ne gardait pas de personnel. On s'engageait tous les uns après les autres dans les FFL ! Je suis resté jusqu'à la fermeture de nos installations par les autorités portugaises. Mes instructions me d'aller me mettre aux ordres d'un général à Brazzaville. Mais se rendre des îles du Cap Vert à Brazzaville, ce n'était pas facile d'autant que j'avais la charge d'une épouse et de deux enfants en très bas âge. Le voyage s'est néanmoins bien passé. Ce fut une très belle aventure !
Me voilà embarqué avec ma famille sur un transport de troupe jusqu'à Bathurst (Gambie) où je débarque. Puis de là, direction Lagos avant de me mettre en route pour Brazzaville. Un Français, Leburgue, me frappe sur l'épaule. Ce pilote, un des as d'Air France en Afrique, m'a convaincu de ne pas me rendre à Brazzaville. C'est ainsi par accident que j'ai été détourné vers les LAM ! Nous étions début 1943. Le Col de Marmier, qui avait créé un réseau de transports aériens, avait décidé de monter de toutes pièces une station radio à Bangui. Les infrastructures manquaient totalement entre le Tchad et le Congo. Il fallait donc créer quelque chose en Oubangui-Chari.
Nous avons réussi à construire cette station. De Marmier était tout heureux : « Je cherchais un pigeon. . . J'ai un volontaire. Ce sera beaucoup mieux! » Me voici donc affecté à Bangui. Je suis resté aux LAM jusqu'à ma démobilisation puisqu'il n'y avait personne pour me remplacer et qu'il n'y avait pas beaucoup de volontaires pour se rendre à Bangui !!! Le réseau que nous avions créé avec bien peu de moyens fonctionnait quand même, nous affichions une régularité presque parfaite dans nos vols.
Jusqu'en 1940, le Gal de Gaulle était pour moi un inconnu. J'ai entendu l'appel du 18 juin à la radio au Cap Vert. La position de plus d'un Français à l'époque représentait un drame moral. Nos convictions étaient fortement ébranlées mais j'avais été élevé à l'ancienne école. Et un dignitaire français, général de surcroît, nous laissait entrevoir l'espoir que la guerre n'était pas perdue, que nous continuerions de combattre. Si j'avais entendu l'amiral Darlan nous inviter à poursuivre le combat, j'aurais sauté à pieds joints sur le premier navire qui passait à ma portée. Mais Darlan a fait montre d'une autre politique.
C'est ainsi que nous avons emboîté le pas... plutôt en travaillant qu'en combattant en première ligne ! Pendant que d'autres se battaient, nous oeuvrions de notre mieux pour les seconder et j'en étais fier. Les LAM c'était mieux qu'une équipe. De Marmier était pour nous « le Patron ». C'était un héros populaire et la gestion des LAM était une aventure à l'état brut qui convenait particulièrement à un tel personnage. Le Tchad était un territoire de baroudeurs par excellence.
A Damas, il y a eu quelquefois des divergences de vue, un manque de compréhension réciproque entre les navigants et le personnel au sol. Les radios assuraient par roulement les vols et les services des stations au sol.
Damas constituait à la fois notre base d'intendance et d'exploitation. En 1943. « la » plate-forme était Khartoum. Un avion descendait de Damas sur Le Caire et Khartoum pour continuer sur Madagascar, remontait sur Khartoum et poursuivait sur Fort-Lamy, Bangui, Brazzaville, terminus Pointe-Noire. L'avion revenait à Khartoum pour rentrer sur Damas. On appelait le courrier parvenant de Syrie SYRAF et AFSYR dans l'autre sens. Mais il y avait aussi une bretelle complémentaire qui empruntait de Pointe-Noire la côte Gabon-Cameroun-Nigeria pour rejoindre Fort-Lamy et retour. Il y avait aussi des lignes moins longues mais d'un intérêt tout autant vital. Par exemple, Damas-Téhéran, qui constituait un point de jonction avec le monde soviétique combattant.
Au début, le matériel des LAM était hétéroclite. Je ne suis arrivé que début 1943. les LAM fonctionnaient depuis un an et demi et utilisaient des Dewoitine 338 des Farman, un Potez 540. Comme il n avait pas de moteur pour faire fonctionner le bombardier italien trimoteur Cant récupéré, on a adapté des moteurs américains. Ses faiblesses ? Le train d'atterrissage et le manque de freins. Mais en l'air, c'était notre « grand champion ». Pour l'époque, il surclassait tous les autres avions utilisés. Progressivement nous avons utilisé des bimoteurs américains Lockheed C-60 dotés d'un équipement moderne et parfaitement fiable. Fin 1943, on n'utilisait plus que ce modèle d'avion. Il était difficile de continuer à exploiter, sans pièces de rechange, les Dewoitine 338. Le Cant n'avait été lui qu'une adaptation provisoire.
Après Damas, je suis redescendu sur Bangui et n'ai plus eu aucun contact avec le Moyen-Orient. La grande majorité des passagers que l'on transportait étaient des militaires. Très peu de fret pouvait être embarqué car la capacité réduite des avions ne l'autorisait pas. A partir de 1944, nous avons ouvert la ligne d'Alger sur l'AEF.
Les LAM à partir de la fusion avec Alger avait changé de sigle : nous étions devenus le Réseau central des transports aériens militaires (RCTAM) puis le Réseau des lignes aériennes françaises (RLAF). Ca changeait assez vite. C'est par le courrier que nous l'apprenions. On se doutait que le Col de Marmier allait jouer un rôle de premier plan dans la résurrection d'Air France. Mais je n'en dirai pas davantage...
Le Gal de Gaulle est venu à Brazzaville en 1944 présider la Conférence de Brazzaville et il est rentré sur Alger par Bangui. Je ne l'avais encore jamais approché... A ma démobilisation j'ai été réintégré à Air France... sans éclats de service... »
Texte corrigé et adapté.
Source : Interview réalisée le 26 juillet 1982
DITEEX— Bureau des témoignages oraux Réf. n°305
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MÀJ : 4 juillet 2024
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