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Jan TUTAJ, pilote de ligne, se présente lui-même comme pilote professionnel, artisan pilote. Il évoque ici 30 ans d'aviation professionnelle, à travers des anecdotes vécues pendant un parcours chaotique mais très riche humainement. Passionné d'aviation légère, il vole régulièrement sur un avion de collection, au sein d'un aéroclub toulousain. Il nous emmène dans des scènes cocasses, insolites, réelles, techniques, et souvent émouvantes.
C'est un immense Touareg, très impressionnant, sérieux comme tout, et qui, très théâtralement, me dévisage. Pas un mot, pas un sourire. Tout à coup, il sort de je ne sais où un sabre immense et le tend devant lui.
- Merde, j'ai fait une connerie ?
Je n'en mène pas large, que me veut-il ? Derrière lui, les enfants s'agitent, mais beaucoup ont un immense sourire, ce qui est rassurant.
L'hélice bipale du moteur gauche est à l'horizontale et je suis négligemment accoudé sur la pale intérieure (en fait, réfugié derrière).
- Tu es le nouveau ?
Les nouvelles vont vite, je suis sidéré.
- Oui.
- Je veux échanger avec toi.
II s'approche et, très solennellement, pose sa main sur la pale de l'hélice, et me tend son sabre, coté lame. Un peu estomaqué, j'hésite, puis, franchement, je pose ma main sur la lame comme il l'a fait avec ma pale.
Alors je vois un de ces immenses sourires qui vous donnent confiance dans l'humanité et rejettent au loin toutes les âneries qu'on peut dire sur les hommes et ce qu'ils sont réellement.
II rengaine son sabre, je ne rengaine pas ma pale. II s'approche encore et me touche la main, comme le font tous les Africains que j'ai vus depuis une semaine que je suis Ib.
- Tu peux revenir souvent, ce sera bonne arrivée !
Je ne peux pas résister au plaisir de donner un autre extrait de ce livre tiré du chapitre : Au dessus du Tassili
Différents réglages stabilisent l'avion et l'équipage, soudé, se regarde après la bataille et attend la décision du captain après une concertation rapide. De brefs calculs et l'évidence est là, on peut encore revenir au point de départ, le copilote attrape ses tables et calcule vite quelques éléments pour étayer la décision, le captain tient la bête par le licol, le mécano suggère quelques arrangements et émet des avis plus que judicieux, lui qui n'est pas un navigant mais un pistard de la vieille école, un de ceux à qui on peut confier un avion en mauvais état le soir pour retrouver un avion presque neuf le lendemain matin, un de ces gars de la marine qui est né avec une clé à molette dans une main et un darak dans l'autre et qui sait toujours trouver une solution à chaque nouveau problème, qui peut inventer l'outil qui va bien pour chaque configuration.
Le copilote souvent plus jeune, encore en apprentissage (mais en fait tout le monde l'est toujours) fait preuve des ses compétences et son avis compte autant que celui du commandant qui, lui, portera la responsabilité du vol, de la décision, c'est lui qui paiera si ça tourne mal.
Aucun ne peut se passer de l'autre, un équipage est une cellule vivante, vibrante, qui pousse dans le même sens et qui a un but unique : la sécurité des passagers, qui sont en ce moment réconfortés par les stewards et le message du commandant de bord, les cinq de cet avion sont comme les doigts de la même main, et travaillent côte à côte. Constituer un équipage est une alchimie qui ne peut fonctionner que par des règles établies auxquelles chacun ajoutera les traits de son caractère les plus positifs pour bonifier le système et remplir la Mission.
Le ciel est toujours aussi beau et a bien failli être un cercueil, avec ses airs paisibles, car encore un peu et le moteur s'arrachait et l'avion aurait été incontrôlable. Les dunes défilent sous les ailes, quelques dromadaires s'égaient dans tous les sens, et la piste est en vue au bout d'une longue heure de vol où chacun aidait l'autre dans les multiples tâches à remplir pour assurer la fin de ce vol.
L'avion est tant bien que mal au parking et on constate les dégâts : la bête a souffert et si l'on a l'habitude de lui donner une âme et une vie, force est de reconnaître que, ce coup-là, c'est passé très près et que ce foutu tas de ferraille a trahi.
Mais l'équipage est encore plus soudé qu'avant, plus confiant. En parfaite entente, il a résolu son problème et chacun a joué son morceau dans la partition, personne ne pourrait dire que l'un a mieux fait que l'autre.
Et demain après un pot du soir encore plus appuyé, l'équipage a nouveau réuni partira pour sa mission. L'équipage, cette cellule de vie, ce noyau dur, l'équipage qui a été célébré par tant d'écrivains et d'aviateurs. L'équipage, pour lequel je suis toujours partant. L'équipage, une partie de ma vie.
Bien sûr, ce jour-là, il ne s'est rien passé d'aussi grave, mais cette panne est déjà arrivée, ou d'autres encore, rarement décrites dans les manuels, souvent inédites, et qui font dire ensuite aux concepteurs : ben, c'est pas possible, ça ne peut pas arriver. Des pannes qu'on ne peut pas entraîner les équipages à traiter car personne n'y a pensé.
Des putains de panne qui font qu'on restera encore longtemps au boulot, malgré tous ceux, et ils sont nombreux, qui voudraient ne nous voir que dans les livres d'histoire.
MÀJ : 4 juillet 2024
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