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Qui est donc ce Robert Esnault-Pelterie dont les Soviétiques soulignent le rôle, ce 4 octobre 1957, alors que le lancement de Spoutnik ouvre à l'homme les portes de l'espace ?
Beaucoup ignorent que ce touche-à-tout de génie, concepteur, constructeur, pilote, entrepreneur a inventé l'aileron en 1904, le moteur en étoile en 1906, le manche à balai ou joy-stick en 1907, construit le REP 1, premier avion moderne à structure métallique. Il est à l'origine de l'industrie aéronautique française (rassemblée aujourd'hui dans le GIFAS) et lance en 1909 le 1 er Salon international de l'aéronautique, ancêtre du Bourget.
Dès 1912, Robert Esnault-Pelterie se tourne vers les étoiles. Il est l'un des premiers à imaginer le vol spatial, et publie en 1930 L'Astronautique, son livre majeur. Ses conférences, comme celle de New York en 1931, accompagnée du film de Fritz Lang, La fille dans la Lune, rencontrent un écho mondial.
Pourtant, malgré une série de procès retentissants, intentés notamment contre le gouvernement américain (qui motiveront deux arrêts de la Cour Suprême et un vote du Congrès !), il peine à faire reconnaître la paternité de ses inventions majeures. Et l'aide qu'il reçoit est insuffisante pour qu'il puisse achever la construction de la première fusée française avant la défaite de 1940. Fatigué et malade, Robert Esnault-Pelterie s'exile en Suisse et meurt deux mois après le vol inaugural de Spoutnik.
Le livre de Félix Torres et de Jacques Villain est la première biographie en français de celui que ses familiers surnommaient « REP ». À l'aide de nombreuses archives publiques et privées, en France, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Russie et aux États-Unis et d'une iconographie largement inédite, il nous donne à revivre la vie exceptionnelle, le parcours haletant d'un inventeur et d'un aventurier hors normes.
Félix Torres, agrégé d'Histoire, est un spécialiste reconnu de l'histoire industrielle. Directeur du cabinet d'histoire d'entreprise, Public histoire, il est notamment l'auteur de La Maîtrise du feu. 40 ans de propulsion solide et de composites.
Jacques Villain, membre de l'Académie de l'Air et de l'Espace, compte parmi les meilleurs spécialistes de l'histoire de la conquête spatiale. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet dont À la conquête de la Lune (1998).
Il y a cinquante ans, le 6 décembre 1957, deux mois après le lancement de Spoutnik, Robert Esnault-Pelterie disparaissait. Mais qui se souvient de Robert Esnault-Pelterie, REP comme l'appelaient ses amis ? Connaissez-vous ce Français génial qui fut le premier à avoir embrassé à la fois l'Air et l'Espace, l'aéronautique et l'astronautique et bien d'autres domaines ? Connaissez-vous ce pionnier qui, en 1906-1907, à l'âge de 25 ans, concevait, construisait et pilotait un avion révolutionnaire, un monoplan au fuselage métallique équipé d'un moteur en étoile ? Connaissez-vous l'inventeur du manche à balai ou joy-stick, ce dispositif directionnel réflexe devenu universel à bord des avions comme dans nos ordinateurs et téléphones portables ? Connaissez-vous ce visionnaire qui, dès 1912, démontrait qu'il était possible d'aller en fusée sur la Lune et bien au-delà, grâce à la propulsion nucléaire ? Connaissez-vous ce précurseur qui, longtemps avant la Seconde Guerre mondiale, invitait son pays à se doter de missiles balistiques à longue portée ? Connaissez-vous cet homme incompris, amer, meurtri, brisé même, qui n'eut pas la chance de voir avant sa mort l'homme marcher sur la Lune ? Ni la renaissance aéronautique et l'affirmation spatiale de la France, avec Diamant, les Mirage, la force de dissuasion, le Concorde, bientôt les grands projets européens comme Ariane et Airbus ? Robert Esnault-Pelterie n'a pu voir tout ce qu'il avait prédit, préconisé et préparé dans l'indifférence qu'il a rencontré durant la majeure partie de sa vie.
De nombreux articles ont témoigné des idées et des travaux de Robert Esnault-Pelterie mais, curieusement, aucun livre n'a retracé sa vie ni évoqué l'extraordinaire héritage qu'il nous a légué. A l'exception d'un ouvrage publié à Moscou en 1982 à l'initiative de l'Académie des Sciences de l'URSS. Car les Russes, premiers explorateurs de l'Espace connaissaient leur dette envers un homme qu'ils ont été les premiers à traduire dans leur langue.
Cette injustice est aujourd'hui réparée. A l'occasion du cinquantième anniversaire de la conquête spatiale et de la mort de Robert Esnault-Pelterie, Félix Torres, historien de l'Industrie et Jacques Villain, historien de l'Espace, ont unis leurs efforts pour nous faire redécouvrir ce géant de l'Aérospace, cet homme hors du commun, mais si mal connu, particulièrement dans son pays. A partir d'un travail d'archives considérable, en France et ailleurs, ils nous restituent avec talent la vie de ce visionnaire inspiré qui discernait le futur avec une lucidité fascinante, cet inventeur fécond qui voulait l'avenir avec une impatience dérangeante, ce technologue inspiré qui forgeait sans cesse de nouveaux procédés, du pulso-réacteur au moteur à réaction, ce penseur éclectique qui a pressenti l'ADN et sans doute eu le premier l'idée d'une 3' assemblée, notre Conseil constitutionnel actuel. Ils nous montrent comment Robert Esnault-Pelterie a ouvert le chemin conceptuel de nombreuses innovations, que d'autres que lui appliqueront. Ils révèlent enfin la solitude de cet énorme travailleur, plus ingénieur qu'industriel, plus soucieux d'inventer et de faire reconnaître ses nombreuses inventions qu'apte à en tirer parti sur le plan financier comme de la notoriété.
Mécanicien dans le sang et amoureux de la force motrice, REP soulignait souvent que « la vérité est dans le moteur » et que sa tenue thermodynamique constitue un critère déterminant de progrès. C'est pourquoi il recommandait de travailler en priorité la propulsion et les matières réfractaires. L'industrie bordelaise a suivi ce conseil pour devenir un pôle d'excellence mondialement connu dans ces domaines clés. Il est donc tout naturel que la région d'Aquitaine et ses entreprises concourent à célébrer celui que Raymond Saulnier, président d'honneur de l'Union syndicale des industries aéronautiques, fondée par Robert Esnault-Pelterie, saluait en 1949 comme « le cerveau le plus original, le plus clairvoyant et le plus prestigieux parmi les créateurs de l'aviation », celui qui toujours recherchait l'idéal, celui qui voulait la Lune.
Pierre Bétin,
président de l'Académie des Sciences,
Belles-Lettres et Arts de Bordeaux.
MÀJ : 4 juillet 2024
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