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VOICI enfin le début d'une série tant attendue sur Air Orient et ses prolongements sur les lignes d'Extrême-Orient. Naturellement cette publication est un hommage à Maurice Noguès et ses compagnons et à tous ceux qui ont bâti, pas à pas, cet admirable réseau qui, parti de Marseille à l'origine, s'étendit jusqu'à Beyrouth pour rejoindre enfin Bagdad, Karachi, Calculta, Saigon et Hanoï. Nous n'avons pas voulu nous arrêter à la naissance juridique de la compagnie Air France qui, regroupant les compagnies constituantes - Air Union, S.G.T.A. (Farman), C.I.D.N.A., Air Orient qui, après avoir fusionné, rachetèrent l'Aéropostale) - devait naturellement marquer la fin administrative d'Air Orient. Nous avons donc décidé, pour nos publications futures, de continuer jusqu'à l'année 1945 qui vit le point final de l'occupation japonaise dans l'ancienne Indochine française.
On ne peut dissocier le nom de Maurice Noguès de tout ce qui s'est fait entre Paris et l'Extrême-Orient, même s'il n'a pas eu le temps de concrétiser et de réaliser de son vivant ce qu'il avait entrepris ou imaginé.
C'est à l'un de ses plus fidèles compagnons, Jean Hennequin, que nous avons demandé de retracer l'historique de cette ligne pour, ensuite, laisser s'exprimer les témoignages de tous ceux qui ont bien voulu nous prêter leur amical concours pour nous confier leurs souvenirs.
Jean Hennequin présentera donc la ligne de ses origines à 1940. La partie de l'occupation japonaise en Indochine sera traitée par André Évrard qui fut responsable d'Air France pendant ces années difficiles.
Jean Hennequin, dont le curriculum vitae se passe de commentaires, a tenu scrupuleuse-ment son journal, jour par jour, ce qui lui permet de nous donner, aujourd'hui, un récit fidèle puisque écrit sur le tas et sur le vif.
Nous n'avons pas voulu actualiser certaines expressions un peu rétro de cette époque. C'est pourquoi vous lirez T.S.F. à la place de radio et vous entendrez parler d'une Inde qui ressemble plus à celle de Kipling qu'à celle d'Indira Gandhi.
Le propos de Jean Hennequin, comme de ceux dont vous lirez les témoignages par la suite, a été de faire revivre les anciens du réseau Air Orient dont beaucoup, malheureuse-ment, ont disparu et ont écrit en lettres d'or la légende de la ligne Maurice Noguès, de la métropole jusqu'à l'Indochine. Il n'était pas inutile que les lecteurs d'Icare sachent dans quelles conditions et au prix de quels sacrifices ces pionniers ont permis la présence des ailes françaises dans ces pays lointains.
Jean LASSERRE
aussi, lorsque, il y a vingt ans, Mme Noguès, qui œuvrait avec une ténacité admirable pour que vive la mémoire de son mari, me demanda de présenter, sous la présidence d'honneur de Gabriel Voisin (grand pionnier et premier patron, en 1909, de Noguès dans l'aviation), le « Comité du souvenir de Maurice Noguès et de ses compagnons », je lé fis avec grand cœur, assisté de deux de ses anciens collaborateurs .: Girard, venant de la CIDNA, et Pinson, de l'Air-Orient.
Et, aujourd'hui, plus que jamais, grâce à l'objectivité de la Compagnie Air France et d'un réseau d'amitiés et de souvenirs, le nom de Maurice Noguès est indissoluble-ment lié à l'histoire de l'Aviation commerciale française.
Pour moi, qui l'ai accompagné, de 1923 à 1932, dans son travail de défricheur et d'organisateur des lignes aériennes d'Europe et du Proche-Orient, je pense le saluer en une phrase : c'était un homme et un chef.
Un homme d'une grande valeur morale qui n'avait d'égale que sa modestie et sa droiture exemplaire.
Un chef, payant toujours de sa personne, remarquable entraîneur d'hommes, aimé et respecté de tous.
Sa vie, tout entière consacrée à l'aviation, est chargée d'un palmarès étincelant.
Jeune homme, il était passionné par les exploits aériens d'alors et, ayant reçu quelques notions de pilotage, il participa aux grands meetings aéronautiques de 1909 à 1912. Et, en 1910, de ses propres deniers, il acheta un avion Voisin sur lequel il passa son brevet de pilote, le 20 juin 1910, sous le numéro international 114, qui faisait de lui un authentique « Vieille Tige ».
Vint la guerre de 1914. Noguès, réformé, contracta un engagement volontaire comme mécanicien d'aviation. D'abord affecté comme pilote à des escadrilles de bombardement, il passa ensuite à la chasse, SPAD 73, du Groupe des Cigognes et termina la guerre comme capitaine, deux fois blessé, trois avions allemands abattus et avec la Médaille Militaire et la Légion d'honneur.
Revenu à la vie civile, la passion du vol ne l'abandonna pas. Et, en 1922, il entra comme pilote à la Compagnie Franco-Roumaine de Navigation Aérienne qui venait de se créer. Cette ligne, appelée lignes des Capitales de la « Petite Entente » de la guerre 1914-1918, joignait Paris à Constantinople par Strasbourg, Prague (avec une bretelle sur Varsovie), Vienne, Budapest, Belgrade et Bucarest. Elle amorçait ainsi la marche vers l'Orient, chère à Noguès.
Après la mort du chef pilote de la Franco-Roumaine, Deullin, un autre très grand pilote, venu comme Noguès, de l'escadrille des Cigognes et tué dans un vol d'essai à Villacoublay, il lui succéda en 1923, avec l'agrément unanime de la direction et de ses pairs.
En dehors des vols réguliers sur la ligne, qui devint, en 1925, la CIDNA : Compagnie Internationale de Navigation Aérienne, il effectua, en 1923, les premiers vols de nuit commerciaux sur Paris-Strasbourg et Belgrade-Bucarest, pour relier Paris à Bucarest en 24 heures. C'était une performance pleine de risques et considérable pour l'époque, où l'infrastructure, la radio et la météo étaient encore peu développées.
En 1924, il entreprit le voyage de reconnaissance Paris-Angora, nouvelle percée vers l'Orient.
Et, cette même année, il fit des voyages d'études pour le détournement de la ligne par Zurich et Innsbruck, l'Allemagne interdisant le survol de son territoire, suite à l'occupation de la Ruhr.
Au cœur du dur hiver de 1924, c'est un voyage d'exploration qu'il entreprit entre Paris et Moscou, et, en 1925, une pénétration profonde vers l'Orient par une liaison aérienne Paris-Téhéran.
Mais l'idée de relier la France à l'Indochine lui tenait toujours à cœur, et, en 1926, il quitta la CIDNA pour entrer comme chef pilote et directeur de l'exploitation à la Compagnie des Messageries Transaériennes, devenue en 1930 la Compagnie Air-Orient.
Avec des hydravions, il effectua le parcours méditerranéen Marseille-Beyrouth qu'il ouvrit au trafic en juin 1929, par Naples, Corfou, Athènes et Castellorizo. La même année, la ligne fut prolongée par avions terrestres de Damas à Bagdad.
C'était l'amorce de sa grande idée : la ligne d'Extrême-Orient. Mais il fallait auparavant jalonner le parcours d'une ligne commerciale sur Beyrouth-Saïgon. Noguès n'hésita pas et, en 1930, il s'envola sur un petit avion Farman 190 pour étudier la ligne. En 1931, il avait atteint son but : l'ouverture d'une ligne aérienne commerciale régulière sur Paris-Marseille-Saïgon.
En 1933, à la formation d'Air France, à laquelle il apporta en dot dans la fusion des compagnies aériennes la ligne d'Air-Orient, il en devint directeur général adjoint. Mais ça aurait été mal le connaître que de croire que ses nouvelles fonctions l'éloigneraient du vol ; il continua à vivre pour les lignes, partageant en courrier l'existence de ses pilotes, étudiant toujours de nouveaux prolongements et de nouveaux parcours, jus-qu'à sa tragique disparition en vol, le 15 janvier 1934, dans l'accident du Dewoitine « Émeraude » à Corbigny, dans la Nièvre.
Ainsi finit la vie de ce grand pilote, pionnier des lignes aériennes et qui a donné à la France un potentiel aérien de première grandeur.
C. LEPLANQUAIS
ex-Inspecteur Cie Franco-Roumaine-CIDNA
ex-Directeur adjoint de l'exploitation Air-Orient
MÀJ : 4 juillet 2024
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