Qui était Daniel Lefèvre ?

Était-ce un membre de la famille de René Lefèvre qui effectua la même liaison en décembre 1932. Parti d'Orly, le 18 décembre 1932, à 2 h. 48, sur un petit Mauboussin actionné par un moteur Salmson de 45 CV, René Lefèvre atterrissait à Saïgon, par nuit complète, à la lueur des phares, le 28 décembre, après 10 jours, 7 heures, 50 minutes de vol et douze bonds. Il s'était posé à Istres, à Sarzana et à Brindisi (Italie), à Agrigon (Grèce), à Tobruk (Tripolitaine), à Damas (Syrie), à Bagdad, Djask (Perse), à Karachi, à Haiderabad et à Calcutta (Inde), à Rangoon (Birmanie), et enfin, à Saigon, avec une moyenne journalière de 1200 kilomètres.

Une lecture attentive du livre « Naissance d'une ligne » de Daniel de Bois-Juzan montre que Lefèvre, employé comme Chef d'Escale par la « Franco-Roumaine », partit avec Nogués, en qualité d'interprète, le 3 novembre 1924, à bord d'un Caudron C81 pour relier Paris à Moscou

Extraits du livre « Naissance d'un ligne » de Daniel de Bois-Juzan

Novembre 1924. Cette fois, il s'agit de l'étude des possibilités d'une liaison entre l'Europe centrale et Moscou.

Le mauvais temps les prend dès avant Nuremberg. Les nuages se promènent au ras du sol. Visibilité nulle. Il est presque impossible de manoeuvrer. Néanmoins, l'Allemagne est franchie sans encombre : « Nous n'étions pas trop de deux pour tenir les commandes, nous dit Laulhé. Comme à la bataille de Poitiers, Jean-sans-Peur criait : « Garde-toi à gauche, garde-toi à droite », Noguès me criait « attention à gauche ça ne passe pas, allez à droite », où cela ne passait pas longtemps. Nous avions à livrer un duel épouvantable. Au bout de 4 heures 1/2, enfin, un siècle, arrivée à Prague. Nous étions plus fatigués qu'à la suite d'un raid d'endurance et trop en retard sur l'horaire pour continuer sur Moscou. »

Là, malheureusement, Laulhé abandonne, rappelé en France par le décès de sa mère. Noguès le remplace par Martin.

Ils se relayent tous deux au volant.

Belle arrivée à Varsovie. La foule des grands jours et le cinéma.

Le 7 commence le vol qui les mènera de Varsovie à Moscou, le 14, par Vilna, Minsk et Smolensk... Et ils ne rentreront de Moscou, qu'après le 25 décembre. Voyage terrible, dans un brouillard glacial, par moins dix-huit degrés de froid. Avec Noguès : Martin, Schwaller, de Keyser, Lefèvre. Le secrétaire général de la C.I.D.N.A., M. J.-Abel Lefranc les accompagne.

Qu'on se souvienne des conditions du vol en général, à cette époque, et de la tension qui existait entre la Russie et la Pologne :

Exemple, entre Vilna et Minsk, Noguès pilote sans rien voir, en pleine tempête de neige. Martin sort du poste de pilotage et, cramponné d'une main au fuselage, signale, par des coups de poing dans le dos de Noguès, les obstacles.

Avant d'arriver à Minsk, ils se perdent, virent à la verticale, à vingt-cinq mètres au-dessus des arbres, se repèrent enfin, et survolent Minsk.

On se bat dans la région.

L'avion de Noguès est signalé depuis les avant-postes. La chasse russe s'envole, manque l'interception. Atterrissage. L'équipage est fait prisonnier et aussitôt conduit, baïonnette au canon, à l'État-Major du secteur, où un général les accuse, tous en bloc, d'espionnage à la solde des Polonais. Heureusement, Lefèvre parle russe.

Depuis Varsovie, le temps avait été convenable jusqu'à Grodno ; mais, à partir de là, ils avaient essuyé des grains de pluie et de grêle, sous un ciel très bas, Enfin, à une heure de Vilna, la petite hélice de la dynamo d'éclairage se brise, traverse de part en part le fuseau d'un moteur, au ras de la tête de Noguès, qui pose, néanmoins, son avion sans encombre sur un terrain de Vilna.

Maintenant à Minsk, les Russes fournissent l'essence, l'huile et l'eau chaude sans que l'équipage soit tenu de régler la note comptant, en dérogation de tous les usages de l'Administration Soviétique.

Le lendemain, Noguès s'envole pour Smolensk, y arrive à la nuit, et voudrait décoller dès le matin suivant. Impossible :

« Smolensk 13 novembre 1924. - Nous sommes bloqués par un moteur gelé ! Notre appareil couche dehors. Enfin les Russes ont mis à notre disposition, très aimablement, un grand hangar et l'avion, traîné par un cheval et poussé par trente hommes, y a fait son entrée. Toute la journée, à la lumière, on a travaillé et on est venu à bout de ce moteur d'où l'on a retiré des morceaux de glace plus gros que le poing. »

Les Russes déconseillent le départ ; depuis le 31 octobre, toutes les lignes commerciales sont arrêtées. La nuit passe. À 9 heures, le Caudron s'enlève vers Moscou.

Brume, neige.

Le plafond est si bas qu'il doit survoler Moscou à cinquante mètres, lançant au-dessus de la ville des tracts en caractères cyrilliques proclamant « L'aviation française salue le peuple russe. »

À Moscou, accueil enthousiaste. On filme leur arrivée, ils sont reçus par Tchitcherine, par la direction des Isvestia, invités, deux soirs de suite, à l'Opéra où l'on joue Aida, où se danse un ravissant ballet dans un grand luxe de décors et de costumes, où le public les ovationne. Le Chef du Protocole leur fait visiter le Kremlin, marque rare d'estime

[...]

« Moscou 25 novembre 1924. - Moscou, toujours Moscou ! Ce retour devient de plus en plus précaire, on n'a pas idée d'être en avion à Moscou à pareille époque. Mais malgré tout, j'ai bon espoir et j'espère bien que cela sera pour nous un souvenir de belle lutte sportive. J'ai souvent comparé ces jours à Radieuse Aurore dans les pages de leur raid â travers la neige. Et je crois que, dans l'un comme dans l'autre, il y a eu du beau « vouloir » de dépensé. Pour avoir des renseignements plus certains à Smolensk, j'ai demandé à Lefèvre d'y aller et de nous y envoyer, chaque jour, un télégramme. Ainsi, nous commençons à nous éparpiller : c'est la retraite de Russie.

« Moscou 28 novembre 1924. - Je t'écris toujours de Moscou où le mauvais temps nous retient. Lefèvre, que j'ai envoyé pour plus de certitude à Smolensk, nous télégraphie, comme depuis deux jours : brouillard, visibilité zéro, impossible...

Voulant profiter de la première éclaircie, j'ai fait quitter à tout le monde l'hôtel Savoy et suis venu m'installer près de l'aérodrome avec Martin, de Keyser, et Schwaller. Nous y vivons la vie d'escadrille. Nous couchons sur des lits primitifs, tous dans la même chambre, nous faisons notre toilette à un robinet d'eau froide, mangeons de la cuisine russe, un seul repas par jour. Comme la maison n'est chauffée que de 7 h. du soir, le pénible est le matin et la première partie de l'après-midi. »

« 29 novembre 1924. - Le même temps hélas, la même dépêche de Smolensk envoyée par Lefèvre : « Nuages au sol, visibilité nulle, impossible. » Et notre avion compte une rentrée de plus en son hangar, et nous, une déception de plus. D'ailleurs, je considère le retour par avion comme presque impraticable en cette saison, pense donc : voilà décembre. Nous serons, je le crains, obligés de laisser ici notre avion et de revenir le chercher au printemps. Je nous donne en ce moment cinq chances sur cent de faire ce retour par la voie des airs. Ici, c'est la vraie vie d'escadrille, mais avec l'isolement et le froid. Je ne me plais guère que dans cette maison, près du terrain, qui a un petit jardin dont les bouleaux ont une grâce triste.

[...]

« Vilna 15 décembre 1924. - C'est avec une grande joie que je t'écris de Vilna après avoir réussi, Dieu sait à travers quels soucis et quels efforts, à ramener cet avion de Moscou dans le froid et le brouillard. Heures de lutte tenace et où il nous a fallu à tous une énergie têtue pour ne pas abandonner. Je me souviendrai toujours d'une petite église russe de village, sortie subitement de la brume à quelques mètres sous moi. Hier, départ au matin par un froid glacial. Au bout de 10 minutes de vol, un tube de circulation d'eau d'un moteur éclate et je me décide à gagner Minsk. Nous réparons en vitesse, dans l'espoir de gagner Vilna à la nuit ; je reprends le volant et nous décollons. À deux cents mètres un autre tube éclate et nous devons revenir, croyant bien tout fini, car à Minsk, il n'y a pas de hangar et une nuit dehors pour les moteurs était bien aléatoire. Ce matin, si tu avais vu le pauvre avion couvert de glace Nous avons dû travailler dessus, de 8 h. à 14 h., pour arriver, non sans peine, à faire partir les moteurs gelés. Dieu que je souffrais du froid, du vent glacial et des brumes basses J'ai décollé, mais je n'ai eu à batailler qu'un bon quart d'heure. Après les collines se sont un peu dégagées et, sans souci, nous avons atteint Vilna. Au repos, rien, pas un journal, pas un livre, plus de linge, des habits déchirés. J'en étais à te parler du froid dans lequel nous faisons piètre figure avec nos vêtements d'Occidentaux, alors que tous sont en pelisses fourrées. Mon manteau, qui en a vu de dures, évoque mal Barclay et quant à mon pantalon, il a perdu le souvenir même de tout pli, mais en échange a une belle prise d'air à la fesse gauche. Plus d'argent 1 A Minsk, nous étions tous quatre empilés dans la même chambre. J'avais un drap et une couverture, sur un sommier sans matelas, et les ressorts m'entraient dans les côtes. Comme serviette : ce drap ! Et pour cette nuit : 220 francs. Pour dîner : une soupe, le pain noir et le thé ! Ah ! Ce retour de Moscou avec un avion, en plein décembre. Quels souvenirs !

« Une dépêche de Paris m'est parvenue dans la nuit : « Vives félicitations équipage ».

[...]

« Vilna 21 décembre 1924. - Hier soir, nous nous sommes séparés à regret de Lefèvre qui, ayant reçu une dépêche de sa femme très gravement malade, est parti d'urgence par le premier train. Il ne nous était utile que comme interprète, mais c'était un charmant camarade et nous le regrettons. »

La revue Icare n°90 (Automne 1979) « Air Orient Tome II », chapitre « 1931-1932 », paragraphe « Le personnel au sol », page 47 mentionne :

Extraits du livre « Icare n°90 - Air Orient Tome II »

Les besoins n'étant pas encore très importants, les charges financières, qui auraient pu résulter d'affectation de personnel français dans toutes les escales, avaient déterminé Noguès à avoir des agents locaux à Bagdad, Bouchir, Djask.
Karachi, à mi parcours de Saïgon, étant une place importante, tant par le changement de type d'appareil et d'équipage, que par les vérifications à effectuer, fut supervisée par Lefèvre assisté du brave Valepyn (qui trouva la mort dans une mission en Indochine en 1940). Jodpur, Allahabad étaient assistés par des représentants locaux.

Il était à Calcutta le chef de centre d'Air Orient en Inde. C'est là qu'il est monté à bord du Fokker VIII qui a réalisé Marseille-Saïgon en 1931.Complément de Michèle KAHN


Aucune autre mention du nom de « Lefevre » n'a été trouvée, tant par mes recherches que par celles du Service Historique de la Défense de la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du Ministère de la Défense que je remercie vivement de m'avoir signalé la mention dans Icare.