Comme premier mois de travail réel, il fut fertile en événements et a failli me dégoûter à jamais de m'activer sur les aéronefs. Les premiers jours : distribution des outils, des bleus, visite du hangar GV, présentation des collègues, de la hiérarchie, explications diverses et variées sur les différents services d'Orly Nord, visite détaillée d'une Caravelle et, le vendredi, cours sur la sécurité du travail.
Le lundi suivant, dès l'arrivée, le chef d'équipe, me donne un "bon de travail" qui consistait, en doublette avec un "parrain", à aller démonter les tôles de protection de l'antenne située sur le haut de la Caravelle, avant la dérive. Fort de mes souvenirs du cours précédent sur la sécurité, je vais au magasin-outillage demander un harnais ; "Y'en a plus" me fut-il répondu. Jeunot mais déjà opiniâtre et fort de mon droit, je n'ai pas cédé aux demandes fermes du "parrain", du chef d'équipe et même du contremaître, d'aller sur le haut de la Caravelle sans harnais de sécurité. J'ai attendu 3 jours, en bricolant au sol, que les harnais fussent disponibles.
Troisième semaine, le mercredi, je travaillais sur le saumon de l'aile gauche au remplacement d'une lampe à éclat lorsque j'entendis des cris sourds provenir du dessous de l'aile, plusieurs crièrent "Sortez les aérofreins, coupez l'hydraulique", tumulte, des compagnons couraient dans tous les sens sans but, hystérie de voix suraiguë, panique, affolement. Je descendis lentement de mon escabeau, craignant de voir ce que je vis, deux compagnons, le corps engagé dans les trappes de visite sous les aérofreins qui, de leurs vérins surpuissants, écrasaient les poitrines de ces malheureux. Quand enfin les aérofreins furent sortis, les deux corps tombèrent au sol comme au ralenti, dans ce qui me sembla une éternité, avec ce bruit que j'ai toujours dans les oreilles. Cage thoracique enfoncée, poumons perforés, arrêt cardiaque, deux morts, là tout près de moi pétrifié par l'horreur, l'incompréhension et l'incrédulité.
27 avril 2005, 10 h 29, l'A380 a pris son envol de Toulouse sous les applaudissements de 40000 spectateurs, 50 ans après la Caravelle, 36 ans après le Concorde.
Le 27 mai 1955, Caravelle quittait discrètement le sol après plusieurs essais de roulage à grande vitesse, sous le seul regard des personnels de l'usine Sud-Aviation assistant au décollage du premier avion à réaction civil français, témoignant du renouveau et de la créativité des ailes françaises.
Événement historique, à l'exception de l'avion anglais De Havilland Comet (Premier vol en 1949) dont l'exploitation avait du être arrêtée rapidement suite à des explosions en vol dues à des problèmes structuraux. Caravelle, conçue par Sud-Aviation, est le premier moyen-courrier à réaction mis en service et commercialisé à travers le monde.
Caravelle, avion ambassadeur de la France, permettra à l'industrie aéronautique française de se faire connaître et apprécier sur le plan international, Sud-Aviation prenant place dans la cour des grands constructeurs d'avion, Boeing, Douglas, Loockeed...
N'oublions pas que sans Caravelle il n'y aurait pas eu, par la suite, Concorde et Airbus.
En 1951, le gouvernement français, via le Secrétariat Général à l'Aviation Civile lance un concours pour la réalisation d'un avion de transport civil multi réacteurs, capable de transporter 80 passagers sur 2400 km et à plus de 600 km/heure.
Le projet de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est (SNCASE) est retenu. Au départ il s'agissait du XE 210, tri-réacteur équipé de moteurs français Atar, devenu en final le biréacteur SE 210 avec des Rolls Royce Avon, la pointe avant de l'avion étant empruntée au De Havilland Comet.
Georges Hereil, président de la SNCASE, devenue Sud-Aviation en 1957 (fusion Sud-Est et Ouest-Aviation), baptisa l'avion « Caravelle » en souvenir de la flotte de Chistophe Colomb et en perspective de nouvelles conquêtes.
Dès son premier vol (équipage : P. Nadot, A. Moynet, J. Avril et R. Béteille qui sera par la suite un des pères de l'A300 et un des fondateurs d'Airbus Industrie) l'enthousiasme est général pour cet avion.
Appareil d'une conception révolutionnaire dont les innovations feront école : moteur à l'arrière contribuant à la réduction bruit et vibrations en cabine, assurant un profil aérodynamique parfait, groupe de démarrage autonome, escalier arrière escamotable... Fabrication de l'avion par assemblage final à Toulouse de tronçons provenant des différentes usines du groupe et acheminés par convoi routier.
Rapidement, les autres avionneurs copieront cette disposition des réacteurs : DC9, TU 134, Mystère 20, Trident, BAC 111, Boeing 727...
Deux prototypes sont construits pour mettre au point l'avion (F-BHHH et F-BHHI).
L'un d'eux, est dès le départ peint aux couleurs d'Air France, très impliquée par la mise au point de ce nouvel avion.
Au printemps 1957, il parcourt les Amériques en vol de démonstration avec un équipage AF (CDB Lionel Casse et A. Lesieur).
En 1956, AF, Compagnie de lancement, commande ferme 12 avions et place une option sur 12 autres avions, suivie par SAS, Swissair, Varig, Finnair, Alitalia, Sabena, Iberia... le succès de cet avion est instantané.
Dès son arrivée au pouvoir le Général de Gaulle utilise le prototype peint aux couleurs AF pour ses premiers déplacements, définissant cet appareil comme étant « la rapide, la sûre, la douce Caravelle ».
Les 2 premières Caravelle de série F-BHRA « Alsace » et F-BHRB « Lorraine » sont remises à AF début 1959.
La Caravelle « Lorraine » est baptisée par Mme de Gaulle le 24 mars 1959 lors d'une cérémonie à la Direction du Matériel AF à Orly nord.
Le même appareil effectue le 16 avril 1959 une démonstration spectaculaire, réalisant, après un décollage avec un seul moteur, une montée à 13 000 mètres, et ensuite un vol plané de 46 minutes entre Paris et Dijon avec des journalistes à bord, démontrant ainsi la finesse et la stabilité de cet avion au profil aérodynamique exceptionnel lui permettant de planer.
La Caravelle est mise en service au départ de Paris Orly à compter du 5 mai 1959 desservant les escales de Milan, Rome, Athènes, lstamboul. Progressivement le réseau s'étend à toute l'Europe et au bassin méditerranéen en remplacement des Vickers Viscount.
Air France recevra jusqu'à 54 Caravelle arborant le nom de provinces françaises, certaines seront par la suite cédées ou louées à Air Inter, Air Charter International et même au GLAM qui récupérera une Caravelle AF en 1963 pour assurer les vols présidentiels.
En février 1960, vague d'enthousiasme, un contrat d'achat de 20 avions est signé avec la Compagnie américaine United Airlines (UAL), d'autres compagnies sont intéressées dont TWA qui prend en option 20 avions...
Sud-Aviation passe un contrat avec Douglas chargé de commercialiser aux USA la version américaine « Caravelle Horizon » équipée de moteurs américains Général Electric.
En fait, Douglas gèle le projet, jouant le temps, pour en final annoncer la sortie de son propre avion biréacteur, le Douglas DC 9. Les options américaines sont annulées, les Compagnies US commandent le DC 9 et le Boeing 727.
Caravelle est aussi le premier avion de ligne au monde autorisé à pratiquer des atterrissages entièrement automatiques et dans des conditions de mauvaise visibilité (approche cat III).
André Turcat, futur pilote du Concorde et futur directeur des essais en vol de l'Aérospatiale, a été le maître d'œuvre de ces essais.
Air Inter (IT), en 1967, choisit Caravelle dans le cadre du développement de son réseau métropolitain.
IT exploitera 16 Caravelle III jusqu'en 1981 et de 1972 à 1991 des Caravelle 12 (5 achetées + 7 récupérées de Sterling Airways). Toute cette flotte sera équipée du système d'atterrissage automatique Sud Lear, spécificité Air Inter, première compagnie au monde à effectuer en vol régulier des atterrissages cat III.
Malgré un succès commercial immédiat, la Caravelle s'est très vite trouvée confrontée aux nouveaux venus DC9 et Boeing 727 qui ont profité de l'expérience Caravelle, proposant des avions plus performants avec des réacteurs Pratt et Whitney économiques, ayant des soutes d'une capacité d'emport plus importante de bagages, de fret et d'un accès plus facile.
Le lancement de la Caravelle 12 (premier vol en octobre 1970) arrive trop tardivement malgré l'installation de moteurs JT-8 et de nombreuses améliorations, le marché étant pris depuis plusieurs années par Boeing et Douglas. Douze avions seulement seront commandés.
En final, 282 Caravelle seront construites, le dernier avion est livré en mars 1973.
Résultat honorable par rapport aux autres constructeurs européens (232 BAC 111, 117 Trident,) mais sans comparaison aux scores américains (2500 DC9, 5000 Boeing 727/737).
En fait Sud-Aviation, plutôt que de développer rapidement une version améliorée de la Caravelle et devant les succès des avions moyen-courrier américains, s'est lancé dans le concept d'un moyen courrier supersonique avec une voilure delta révolutionnaire.
A la même époque, les Anglais envisageaient un long courrier supersonique. En 1961 suite à la convergence des 2 programmes, un premier accord est signé entre Sud-Aviation, British Aircraft Corporation, SNECMA, Rolls Royce, pour mettre en commun les études.
1962, signature de l'accord gouvernemental, le lancement de Concorde est officialisé. Dès lors toutes les énergies, tous les crédits sont concentrés sur Concorde dont le premier vol a lieu le 2 mars 1969 (équipage A. Turcat, J. Guignard, H. Perrier, M. Rétif, tous ayant participé auparavant aux mises au point de Caravelle).
1970, H. Ziegler, nouveau président de la Société Nationale Industrielle Aérospatiale, SNIAS, (fusion en 1970 de Nord-Aviation, Sud-Aviation et SEREB) relance l'ancien projet de construction européenne d'un avion moyen courrier gros porteur, A 300 (A pour Airbus, 300 pour transporter 300 pax) dont l'origine est le « Galion » étudié par Dassault/Sud Aviation.
Des pourparlers avaient eu lieu en 1967 avec un protocole d'accord entre les gouvernements français, allemand et anglais concernant ce programme A300, mais suite au retrait des Anglais et aux priorités données au Concorde, ce projet était pratiquement arrêté.
Grâce à l'obstination et à la vision d'avenir de H. Ziegler épaulé par R. Beteille, le GIE Airbus Industrie est créé le 18 décembre 1970.
L'Aérospatiale, fort d'une compétence technique supérieure avec le Concorde et en liaison avec Deutsche Airbus et Hawcker Siddelay, réalise dans un délai record de 2 ans, l'A300.
Premier vol à Toulouse le 28 octobre 1972 dans l'indifférence totale (équipage B. Ziegler et M. Fischl venant des équipes Concorde). Le premier avion de série livré à AF le 10 mai 1974 et aussitôt mis en ligne sur Londres dès le 23 mai.
Fort des expériences précédentes, Airbus propose très rapidement une famille d'avions complémentaire, basée sur un concept standard commun évolutif (cabine avant, planche de bord, équipements, diamètre fuselage...) facilitant ainsi la maintenance, la formation des équipages.
Les modèles vont se succéder par déclinaison, proposant ainsi aux compagnies clientes une gamme de produits variés et adaptés à leurs besoins : A310, A320, A340... et maintenant l'A380... en attendant l'A350...
Le carnet de commande d'Airbus Industrie s'élève à plus de 5370 appareils de tous types...
A l'origine de cette aventure n'oublions pas Caravelle qui a permis à l'industrie aéronautique française de s'implanter sur le marché international, d'acquérir crédibilité et expérience. Atouts qui seront utiles pour le programme Concorde et confirmés avec le succès technique et commercial de l'Airbus.
Caravelle avec des réacteurs anglais Rolls Royce, la partie avant De Havilland, marque aussi le début de l'émergence de l'industrie aéronautique européenne face à la domination des constructeurs américains.
Grâce à Caravelle (exploitée par AF de mai 1959 à mars 1981), la Compagnie a connu dans les années 1960 une expansion considérable de son réseau moyen courrier. Un an après, la mise en service du B707, premier avion à réaction long-courrier, permettra le développement des lignes inter-continentales, AF ayant ainsi la flotte la plus moderne de l'époque.
De nos jours, les jeunes apprentis mécaniciens de l'école de Vilgénis (Pardon, du CFA ; voir Vilgénis en page d'accueil) débutent toujours leur formation technique en travaillant sur la Caravelle « Alsace » (premier avion de série) qui est « en mission » à Vilgénis depuis son retrait d'exploitation en novembre 1975 et dans l'attente d'une future retraite au Musée de l'Air et de l'Espace du Bourget.