Michel Le Coroller :
Vol accidentel et décès de mon père radio naviguant, le 13 janvier 1946.

L'aéronef en cause était un Amiot AAC.1 (Junkers Ju-52), MSN AAC150 matricule F-BANP

Le 26 octobre 1945

La première liaison postale de nuit d'après-guerre, Paris Bordeaux Toulouse Pau, marquant la continuité de la grande aventure des pionniers du transport du courrier, était le début d'une autre aventure dont les hommes, modestes mais discrètement fiers de leurs aînés, ont su préserver une résonance humaine.

La Postale de Nuit reprend. Vol inaugural,
Paul Graugnard écrit :

« La Julie (c'est le Junkers 52) vous connaissez. Les phares aéronautiques placés par Air Bleu se succèdent. À bord c'est la détente. Clément explique, sort le café des thermos, facile le vol de nuit. Les choses se compliquent, le radio vient de passer à Clément un message annonçant brouillard en formation à Bordeaux. Les pilotes se préparent, une plaquette de contre-plaqué fixée par un élastique sur le genoux droit, des notes, des plans dessinés à la main y sont tenus par une pince. Les lampes de poche sont à portée de main. Visi 50 mètres. Visi 30 mètres, le mécanicien lit l'altimètre, visi 10 mètres, les QDM défilent, l'antenne radio est rentrée. Une vague loupiote, le train qui touche le sol, une piste en ciment, les freins qui poussent leurs gros soupirs, l'avion est immobilisé. On attend la camionnette qui nous ramènera au hangar, vol sans histoire commente Clément. »

Il est difficile d'imaginer aujourd'hui la volonté qui animait l'ensemble du personnel navigant et des mécaniciens au sol, pour surmonter les obstacles humains et/ou matériels. Une chose est sûre : la Postale peut être fière d'avoir rempli sa mission.

En hommage - Dominique Ottello


J'avais 11 ans et demi quand mon père fut tué dans un accident d'avion de la postale de nuit, au Bouscat, banlieue de Bordeaux, il était 1 h 20 du matin.

Ce que je sais de cet accident provient des dires de ma tante, de maman et de mes souvenirs.

J'étais en Bretagne chez mes grands-parents quand cet accident s'est produit. Mais je fus, auprès de maman, quelques jours après et j'ai donc été témoin de la visite de Monsieur Didier Daurat, et de la remise de quelques objets personnels que mon père avait sur lui.

Fiabilité des instruments et conditions de vol

Voici, comment, avec des témoignages, je peux mieux situer les conditions de vol. L'avion volait souvent en surcharge. Sur le junker 52, avion de la guerre, les instruments de vol, altimètres, anémomètres et sonde altimétrique étaient peu fiables. La sonde altimétrique tombait souvent en panne.

Un témoin travaillant à la postale m'a dit » je crois me souvenir que ce soir-là, le soir du 12 janvier, nuit de l'accident, au départ de Toulouse, la sonde était en panne.

L'avion était parti de Toulouse et déjà il y avait du brouillard. Il se posa à Pau mais dans le trajet Pau / Bordeaux, le Brouillard devint de plus en plus épais.

Déroulement officiel de l'accident

Ils se croyaient à 700 mètres, leur altitude de sécurité. Mon père radio naviguant, avait reçu la consigne de ne pas se poser à Bordeaux et après avoir survolé le terrain, mon père avait sur son cahier, commencé à noter sa remontée sur Paris.

C'est à ce moment-là qu'ils heurtèrent le clocher du Bouscat, proche banlieue ouest de Bordeaux. Ils étaient à 17 mètres.

Après avoir heurté le clocher, un morceau d'aile fut arrachée, l'avion, ensuite, percuta le toit d'un pavillon, puis glissa sur le gazon d'un terrain de foot avant de capoter et de s'écraser, en fin de course, contre le seul arbre qu'il y avait en bordure du terrain de sport.

Il n'y eu pas le feu, monsieur Didier Daurat nous a dit qu'ils avaient eu le temps de couper les robinets d'essence. Le brouillard cette nuit-là devait être très dense, car la police, avertie, n'est arrivée que vers 3 heures et demie du matin.

L'équipage

L'équipage ce jour-là, était composé de M. Perrin, M. Morin et de mon père Le Coroller. Monsieur Lepautre habituellement pilote de l'équipage était absent, depuis plusieurs jours, cause maladie.

Ce trajet, ils le faisaient depuis octobre ou novembre 1945, deux fois par semaine. C'était un équipage, entraîné à naviguer par tous les temps.

Tous les équipages de la postale étaient des volontaires qui connaissaient les risques de ces vols.

Le travail de mon père

Mon père chargé de la navigation et des communications radio en « morse » pour les longues distances, avait un rôle très important lors de l'atterrissage, car c'était lui qui, en liaison avec la station gonio du sol et ses relèvements gonio, à lui, donnait l'axe de piste et le temps de descente.

À cette époque les I.L.S. n'existaient pas encore. Pour l'amélioration des pistes et de leur balisage, mon père faisait régulièrement des rapports.

Au début c'était un bidon d'essence en bout de piste qui leur servait de guide. Plus tard des plots au sodium furent enfin installés.

Mon père disait à maman « je suis certain que la piste est devant nous, et sous nous, mes relevés me le disent, mais nous ne la voyons pas ».

Aussi mon père comptait les secondes et c'est avec un ouf de soulagement qu'ils sentaient la piste en tôle sous leurs roues.

Bien souvent, le brouillard était si dense qu'ils attendaient que la voiture de la poste vienne les chercher.

L'enterrement de mon père

Voilà ce que je sais. Tout n'est peut-être pas exact, aussi si quelque un « sait », quelque chose sur cet accident, je serais heureux de savoir.

Les corps étaient assez abîmés et mon père avait les os des jambes cassés. Ma tante, la sœur de mon père était présente à Bordeaux lors de la mise en bière de corps. Les cercueils furent ramenés sur Paris.

À l'enterrement de mon père, qui était estimé de tous, un défilé incroyablement long, de personnes de la compagnie et du ministère, nous serrèrent la main. Moi qui avais 11 ans, je pleurais puis riais complètement déboussolé...

Le chien de mon père

Maman sortait d'une grave opération des deux reins et finissait de soigner une phlébite et donc était la plupart du temps couchée.

Nous avions un gros chien de garde, qui ne laissait, en temps normal, entrer personne. La veille au soir de la mort de mon père, tourné vers la route d'où il arrivait, il hurla à la mort très longtemps...

Ce chien ne quittait plus maman, ne mangeait plus et laissait entrer tout le monde... Quand les affaires personnelles de papa furent étalées sur le lit, le chien se coucha dessus, pleura, gémit et mis ses pattes sur ses yeux comme pour se les essuyer...

D'autres hypothèses de l'accident

Des accidents de Amiot AAC1 Air France, il y en eut « quelques-uns »

À cette époque, les « boîtes noires »* n'existaient pas et, en cas d'équipage décédé et d'appareil détruit, il me semble difficile de trouver les causes des accidents.

Néanmoins, il faudrait voir - si elles existent - les archives Air France de l'époque. Elles sont consultables, sur demande, au service des archives à Paray-Vielle-Poste. Pour information, il n'y a rien sur ce sujet dans les documents du Musée Air France.

Air France. Service des archives OD-GQ
Direction Organisation et Développement durable.
Les sheds
1 avenue du Maréchal Devaux
91551 Paray-Vieille-Poste Cedex
Tél. : 01.41.75.62.04 ; télécopie : 01.41.75.12.58
Courriel : archiveshistoriques@airfrance.fr
Sur rendez-vous après demande par courriel.

* Le FDR (Flight Data Recorder) est obligatoire depuis le 15 octobre 1958 et enregistre les paramètres de vol (vitesse, cap, altitude, accélération, temps, etc..). Le CVR (Cockpit Voice Recorder) est obligatoire depuis le 6 septembre 1971 et enregistre les conversations dans le poste de pilotage, les échanges radio et les alarmes sonores.

Si l'accident ne s'est pas déroulé comme le dit la version officielle, comment s'est il produit ?

J'ai regardé la carte des lieux et l'on peut imaginer d'autres scénarios. Une chose est sûre, ce jour-là il y avait beaucoup de brouillard, les témoignages sont formels.

1 / L'avion s'étant posé à Bordeaux remontait sur Paris et c'est après le décollage, à environ 8 kilomètres, que trop bas, 17 mètres, il heurta, le clocher.

Cette hypothèse me paraît douteuse, car quelles seraient les causes qui auront fait qu'il se trouvait à 17 mètres d'altitude ? La panne d'un moteur ? Sur un trimoteur, comme le junker 52, la panne d'un moteur n'aurait pas empêché cet avion de s'élever et de monter au-dessus de 17 mètres. De plus ils auraient signalé cette panne et auraient tourné sur la gauche pour éviter la ville.

Or ce ne fut pas le cas.

2 / Il était en phase d'atterrissage.

Je ne pense pas qu'avec du brouillard à 1 heure du matin, il y ait eu un vent du sud les obligeant à passer au-dessus de la ville et 17 mètres est une altitude que l'on a beaucoup plus près de l'entrée de piste, surtout pour un avion lent comme cet avion.

L'atterrissage habituel devait se faire avec un cap de 30 à 40 degrés (vers le nord-est) ou un cap « nord ouest » (vent dominant dans cette région).

Dans ces deux cas, il ne passe pas, non plus, au-dessus de la ville en approche.

N'oublions pas que nous avons affaire à un équipage très entraîné à cet endroit.

3 / Les circonstances sont celles qui sont décrites par la direction d'Air France.

Remontant sur Paris, à 700 mètres d'altitude, ayant survolé le terrain, sa trajectoire le mène à passer au dessus du Bouscat. Et à cette altitude, il pouvait survoler la ville.

Je crois que cette version est la plus vraisemblable.

Conclusion et questions

Reste deux questions, sans réponse.

Saurons-nous un jour cette Vérité ?

J'ai décidé, après avoir écrit ce message, de voir les archives du journal local et les archives de la direction d'Air France.

Michel Le Coroller


En évoquant, avec Michel Baris, des souvenirs de copains de promo et de surnoms, il citait le trio qu'il formait avec René Usclade (Félix), René Riguelle (Coquillus) et lui-même (Bouboule) (Les trois de la promotion 1948-1951).

Ce groupe a continué à exister après leur sortie d'apprentissage, jusqu'à ce que Michel démissionne pour rejoindre l'Armée de l'Air.

À l'occasion de cet échange, Michel m'a appris que le père de René Riguelle était un pilote de l'Aéropostale, disparu en service aérien en 1933, année de naissance de son fils.

Ce fait est resté inconnu de la plupart d'entre nous (J'ai vérifié auprés de plusieurs anciens de la promo)

Aprés quelques clics sur Internet, j'ai trouvé que René Riguelle (père) avait rejoint l'Aéropostale en 1920 comme pilote. Il faisait partie de l'équipage d'un Laté 28 (Emler Jacques et Riguelle René pilotes, Guyaumard Alfred radio) qui s'est écrasé le 9 mai 1933 à Villadrau, sur la Sierra de Montseny en Espagne.

J'ai également collecté quelques photos pour illustrer cette discussion.

Jean Bienvenu - Promotion 1948-1951


« Les souvenirs récents qui ont le respect des anciens s'effacent devant eux »Pierre DAC


Jacques Emler

Jacques Emler

René Riguelle

René Riguelle (Père)

René Usclade et René Riguelle

René Usclade Félix et René Riguelle Coquillus et l'ombre de Michel Baris qui prend la photo.
Février 1952 - Square Berlioz, Paris IXe