Après la guerre la compagnie s'était lancée dans la politique des « Châteaux » : Montjean près d'Orly où se déroulaient, souvent en Internat, les stages de recrutement, cadres, hôtesses, stewards, et autres ; Maligny, dans l'Yonne, où se tenaient, en internat, des stages de maîtrise intéressant les cadres de l'entretien des avions qu'il convenait d'ouvrir aux techniques modernes tout en améliorant une culture générale souvent modeste ; en 1946 le premier échelon des cadres regroupait les Chefs d'équipe, les Contrôleurs, et les Préparateurs ; Vilgénis enfin où se retrouvaient regroupées les écoles d'apprentissage de Marignane, de Toulouse et du Bourget ; cela ne se fit pas sans tirage, chacun voulant garder ses méthodes ; il y eut des tensions dans le corps enseignant
Le domaine était en piteux état ; le château avait reçu une bombe et était ouvert à la pluie, les communs étaient en ruine, la clôture était symbolique ; Air France s'était fait attribuer, auprès des Domaines cette propriété illustre mais décatie, où il fallait tout faire ; des baraques provisoires - « Chalets » - construites à la va-vite, abritaient les dortoirs, les salles de cours, et le réfectoire
Jusqu'en 1949 Vilgénis ne fut qu'une école d'apprentissage et ne devint « Centre d'Instruction de Vilgénis » qu'après ; le château fut réhabilité et transformé en bureaux et salles de cours, les communs, peu à peu reconstruits, abritèrent les faibles moyens matériels dont on disposait ; je me rappelle d'un moteur R-1830 entreposé dans les communs un soir, et enseveli au matin par l'effondrement du plafond du local
Le problème c'est que personne ne croyait à l'instruction surtout loin de l'action ; « Tiens, voilà Vilgénis-les-Bains » disait Costes le chef de l'Entretien des avions basés à Orly quand je rentrais dans son bureau ; tout le monde voulait avoir son école sur place, Le Bourget, Orly, Alger, les navigants ; on se moquait du Centre et surtout on ne voulait lui donner ni aide ni matériel ; il fallait y croire, mais comme je l'ai écrit précédemment seuls Ziegler et le directeur du matériel Auguste Vivier me soutenaient, ce fut un long combat que mes successeurs continuèrent
L'intendant était un personnage : « Quand j'étais à Normale Supérieure... » disait-il, en oubliant de signaler qu'il y était aussi intendant. Il était très cultivé, parlait beaucoup, avait de l'humour et était excessif en tout. Ses joutes oratoires avec un instructeur anarchiste et spirituel étaient célèbres.
Soucieux d'embellir le centre j'avais embauché un jardinier ; il était malingre et ne payait pas de mine ; sa femme le quitta et il se mit à boire. En fin de journée il arrivait qu'il ne pointât pas ; on le retrouvait ivre mort dans la cabane où il rangeait ses outils et le concierge Trovel le ramenait chez lui dans une brouette. Je le convoquais pour lui faire la leçon ; pour se donner du courage il avait du boire un peu et m'offrit un bouquet de fleurs « C'est pour Mme Rattier » ; je n'osais pas lui reprocher ces fleurs que je payais par ailleurs, et le menaçais de licenciement !
« Si vous faîtes ça je me jetterai sous le train » et il se mit à pleurer ! Je le consolais comme je pus, aidé par Cassou, me jurais intérieurement de ne jamais le licencier.
Son départ fut comique ; il ouvrit d'abord la porte du placard où nous rangions nos manteaux « Oh pardon monsieur » dit-il ; mais la bonne porte était tapissée à l'intérieur d'une grande glace, quand il se vit dedans « Oh pardon monsieur » redit-il ; il se retourna vers moi « comment on sort ? »
Sa femme revint, il ne se jeta jamais sous le train, continua à boire un peu pour se donner du courage et vécut heureux au milieu des fleurs.
Mon successeur fut Boesvilwald ; il donnait l'impression d'un homme souffreteux ; comme Marcel Dassault il avait souvent froid, et s'affublait d'un chapeau et d'un foulard, mais il cachait son jeu ; c'était un homme plein d'esprit, drôle et optimiste.
Je n'ai pas oublié son discours de fin d'année adressé aux apprentis « J'ai mis longtemps à comprendre que les inscriptions PPH, affichées un peu partout, voulaient dire : passera pas l'hiver et que BSC voulait dire : bientôt sous les chrysanthèmes, mais je garde sur vous un avantage absolu c'est que moi je sais écrire chrysanthème ! »
Jean-Louis Rattier - Mai 2007
Jean-Louis Rattier a écrit deux livres :
J'ai obtenu l'aimable autorisation des Éditions Publibook de reproduire, in extenso, les pages Vilgénis. Vous trouverez la présentation du livre Récits du passé ici et, sur la page annexe, Les années Vilgénis
MÀJ : 2 décembre 2024
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