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Né à Liège, le 11 juillet 1874, de mère française, Charles Van den Born, devenu français légalement par sa naturalisation, est d'abord un champion cycliste et automobiliste.
À la fin de 1909, il vient à l'aviation et fait ses débuts sous la direction d'Henry Farman. Après quelques leçons, il exécute des vols d'un quart d'heure et bientôt il tient l'air pendant 1 h. 16. Il y a quelques jours seulement qu'il a commencé à voler, quand il remporte le Prix Buirette pour ses vols au-dessus des champs et qu'il bat le record du vol avec passager en 1 h. 48 min. 50 sec.
Henry Farman en fait le pilote instructeur de son école de Châlons et lui confie ses premiers élèves Herbster, son propre chef d'atelier qui ne tarde pas à devenir moniteur à son tour, le lieutenant Camerman qui obtient le premier brevet de l'Aéro-Club décerné à un militaire et qui par la suite initie nombre de ses camarades. Le capitaine Dickson de l'armée anglaise, vient recevoir les enseignements de Van den Born.
C'est lui qui réceptionne les premiers appareils Farman commandés sous conditions pour l'Armée. À l'école Farman, Van den Born doit effectuer de nombreux vols avec ses élèves. Un matin, il s'échappe de l'aérodrome de Châlons, va se poser à Reims et en revient après le déjeuner.
Le brevet que lui décerne l'Aéro-Club de France, sous le n° 37 à la date du 8 mars 1910, ne fait que consacrer sa maîtrise incontestée.
Puis ce sont les démonstrations en public : à Florence, au meeting de Nice où il enlève le prix des passagers, celui de la croisière maritime et le second prix de totalisation des distances.
À Lyon, Van den Born se révèle parmi les meilleurs et figure encore au classement général des meetings de Bordeaux, Cannes et Nantes.
Puis, il part en Indochine. Avec du matériel emmené de France, aidé par les soldats du 11e Colonial, il construit un biplan Farman. C'est sur cet appareil que le 10 décembre 1910 et pour la première fois, la Cochinchine est survolée en avion. Au-dessus du champ de courses de Saigon, Van den Born fait des démonstrations devant un public considérable.
Profitant de son séjour à Saigon, il donne les premières leçons d'aviation au lieutenant de Blanmont. En présence des résultats concluants des démonstrations de Van den Born, une mission est envoyée dans la métropole pour y étudier les conditions d'une organisation d'aviation indochinoise.
Après une série de vols à Bangkok (Siam), Van den Born se rend à Hong-Kong et c'est là que pour la première fois, un aéroplane s'envole dans le ciel de la Chine.
De là, il part pour Canton. Cette fois, il est en vraie terre chinoise et les mandarins ne sont pas peu stupéfaits lorsqu'ils voient son biplan décrire des orbes dans le ciel. Van den Born qui construit lui-même ses appareils, vole encore un peu partout en Chine : à Macao, Shanghai, Dalny, Moukden.
Durant la guerre, il est chargé de créer en France l'école militaire belge d'aviation.
Après les hostilités, il retourne à Saigon où il est représentant, sans pour cela abandonner l'aviation, créant même une école de pilotage. Puis, il exploite pendant 37 ans un grand domaine en Indochine. Il revient en France, complètement ruiné, ayant échappé par miracle aux atrocités du Viet-Minh.
Entré à la maison de retraite de la Légion d'Honneur de St-Germain-en-Laye, Van den Born est décédé à l'hôpital de cette ville, le 24 janvier 1958, des suites d'une opération chirurgicale.
Van den Born, le premier aviateur qui ait osé défier les dieux de l'air sur la terre millénaire d'Asie, titulaire de nombreuses décorations étrangères et coloniales, proposé pour la Légion d'Honneur en 1913, la reçut en 1930.
« Je venais de terminer mes exhibitions à Hong-Kong, en mai 1911, lorsque je fus pressenti pour me rendre à Canton afin de voler sur le terrain de manoeuvres militaires de cette ville, situé à quelques kilomètres de la concession internationale. J'acceptai les propositions intéressantes qui m'étaient faites et je débarquai au ponton de la concession internationale où se trouvait le principal - et d'ailleurs le seul bon - hôtel. Le soir même, je fus un peu surpris de voir, dans l'obscurité complète de l'île (car la concession était une île, l'île de Shamen) de très nombreuses petites lanternes qui allaient et venaient dans tous les sens ; la loi, en effet, prescrivait sous la menace de peines sévères, à tous les Chinois circulant la nuit dans l'île, d'être porteurs d'une petite lanterne destinée à les signaler aux services chargés de la surveillance, et responsables de l'ordre.
Sur le conseil du ministre de France, je sollicitai une audience du vice-roi, qui me fut accordée pour le lendemain. Je fus reçu de la façon la plus aimable par ce haut personnage chinois qui, à mon grand étonnement, parlait un excellent français, et je l'invitai à venir assister à mes expériences et démonstrations, fixées pour le surlendemain.
S.E. le vice-roi me remercia, m'assura qu'il s'intéressait très vivement à la science nouvelle de l'aviation, mais que, pour des raisons que je n'eus pas l'indélicatesse de chercher à approfondir, il chargerait le général Tartare d'y assister et de le représenter officiellement et qu'il assisterait à ma seconde séance.
Au jour fixé, tout était prêt sur le terrain et j'attendais pour effectuer mes premiers exercices, l'arrivée du général qui était, m'avait-on affirmé, le Commandant suprême des troupes chinoises de la région et dont les pouvoirs étaient extrêmement étendus.
Les troupes chinoises étaient rangées sur deux côtés du terrain et étaient très nombreuses. Les clairons sonnèrent, de multiples commandements fusèrent de toutes parts et le général Tartare apparut, sur un splendide cheval noir magnifiquement caparaçonné, suivi de son escorte composée de quarante superbes cavaliers, triés sur le volet, et armés jusqu'aux dents. Le général mit pied-à-terre. Je me dirigeai vers lui, lui présentai mes hommages auxquels il répondit avec une parfaite urbanité ; je le conduisis auprès de mon appareil, lui expliquai le fonctionnement des commandes et je répondis à toutes ses questions, exprimées tantôt en anglais, tantôt en français impeccable.
J'ouvre ici une parenthèse pour signaler l'existence, sur un côté du champ de manoeuvres militaires où j'allais évoluer, d'une colline haute de 200 mètres environ. Je n'avais pas remarqué que cette colline protégeait le terrain contre un vent assez violent dont je ne m'étais pas méfié, très occupé que j'étais à mes préparatifs d'abord, par l'arrivée du général ensuite ; ce dernier prit place dans une tribune ornée de superbes tentures multicolores et brodées aux fils d'or, de plantes et de fleurs rares ; de mon côté, je m'installai à mon poste de pilotage, donnai l'ordre de mettre le moteur en marche et, au milieu d'une formidable clameur de milliers de Chinois présents, je m'élevai avec une grande aisance, mon moteur fonctionnant particulièrement bien ce jour-là.
Je venais d'atteindre la modeste altitude de 200 mètres environ lorsque je fus happé dans une véritable tornade ! Je venais, sans méfiance, d'atteindre le sommet de la grande colline : le vent, qui avait glissé sur la pente opposée, se rabattait de mon côté et je fus secoué, ballotté de telle façon que je dus lutter longtemps avant d'avoir retrouvé la zone de calme, car j'avais été déporté a plus de 5 kilomètres du terrain que je n'arrivais pas à regagner.
Je fis ce jour-là de telles cabrioles que je me demande encore aujourd'hui comment je n'ai pas été « vidé » de mon appareil. J'arrivai enfin au sol, absolument fourbu, et je vis accourir à grands pas vers moi le général Tartare qui, croyant que j'avais effectué cet effarant cake-walk en son honneur, oubliant tout protocole, me sauta au cou et me donna une vigoureuse accolade ! Puis il me quitta, remonta sur son superbe cheval et, accompagné par ses quarante gardes de corps, choisis, m'a-t-on dit, parmi les plus braves des soldats du Régiment des Braves, reprit la route de Canton où il allait, m'avait-il dit, rendre compte au vice-roi du spectacle merveilleux auquel il venait d'assister.
Canton était un des principaux centres d'activité révolutionnaire de la Chine et c'est pourquoi le vice-roi avait préféré envoyer d'abord le général Tartare assister à mes expériences, pour tâter le baromètre et voir quel accueil la populace ferait au diable étranger qui apportait en Chine une machine diabolique.
Or, le général Tartare, ému, enthousiasmé, avait étreint et embrassé ce diable et les éléments révolutionnaires qui assistaient nombreux à cette « première », furent profondément humiliés du geste spontané du général : aussi, son sort était réglé et dix minutes après son départ du terrain de manoeuvres, malgré son escorte de quarante braves du Régiment des Braves, il tombait mort sur la route, frappé de cinq balles d'automatique, pendant que sa redoutable escorte, prise de panique, abandonnait le corps du général et s'enfuyait dans toutes les directions. Une heure après, en guise de représailles, le canon tonnait dans les ruelles tortueuses de Canton et plus de trois mille morts gisaient sur le soi. Il ne me restait plus qu'à déguerpir au plus vite.
J'avais engagé trente coolies pour porter mes caisses du ponton jusqu'au terrain. Ces coolies étaient sur le terrain, impassibles. Ils ne voulurent rien savoir pour toucher seulement d'un doigt l'infernale machine du « diable étranger ». Ne voulant pas tout perdre, j'emballai rapidement mon moteur, mes deux hélices, les réservoirs, les roues et tout ce que je pus sauver ayant quelque valeur, et je bouclai ces caisses, au nombre de quatre. Je pris alors la seule décision possible capable, à mon sens, de désarmer ces fanatiques. Je dressai avec mon avion, que je brisai sous leurs yeux à coups de hache et à coups de marteau, un énorme bûcher sur lequel je jetai mes belles caisses doublées de carton bitumé et je jetai là-dessus tout ce qui me restait d'essence ; j'y mis le feu ! Des flammes gigantesques, entraînant un formidable bouquet de fumée noire, jaillirent en un instant et les Chinois qui étaient encore présents, ainsi que mes trente coolies dansèrent autour de ce bûcher, une ronde infernale. Mais je veillais. J'avais deux grands pistolets automatiques chargés. J'en remis un à mon mécanicien. Je me saisis du caporal de mes coolies et, sous la menace de nos pistolets, lui intimai l'ordre de prendre les quatre caisses. Ils hésitèrent. Je tirai un coup d'avertissement. Ils s'emparèrent des caisses et nous suivîmes, pistolet au poing, cette étrange procession.
Nous arrivâmes à temps à Shamen pour embarquer le tout ainsi que nos bagages sur le dernier bateau qui se dirigeait sur Hong-Kong. La révolution faisait rage ; pendant quarante jours, il n'y eut plus aucun trafic. C'était le premier acte de la révolution chinoise et de la chute de l'Empire chinois, »
Charles VAN DEN BORN. (Extrait des Souvenirs de Van den Born, publiés dans « Forces Aériennes Françaises » n° 56.)
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