Les années 1909 et 1910 ont été, sans conteste, celles qui ont préludé à l'évolution de l'aviation ; aussi la récente commémoration de leur cinquantenaire offre-t-elle l'occasion parfaite d'une rétrospective de la vie des pionniers de l'espace aérien.
L'histoire scientifique et anecdotique de la conquête de l'air a été traitée abondamment et avec compétence par des auteurs éminents. Tel n'est d'ailleurs pas le but du présent mémento qui se propose uniquement de mettre en lumière l'histoire des « hommes-oiseaux », ceux qui, aux temps primitifs de l'aviation, ont écrit l'un des plus beaux chapitres de l'épopée des conquérants du ciel.
On sait que le mérite de l'invention des montgolfières et des ballons appartient entièrement au génie français et que les applications pratiques de la propulsion à la direction des ballons sont également l'oeuvre de Français.
Si l'homme est parvenu à circuler dans le ciel, il n'en est pas moins vrai que l'aérostat restera toujours asservi à un sac de gaz bien encombrant quoique plus léger que l'air.
Pouvait-on s'affranchir de cette sujétion et imiter l'exemple des oiseaux, qui, par des mouvements simultanés, se déplacent dans l'espace ? C'était là, posé, le problème du vol du « plus lourd que l'air ».
Fort heureusement, pendant les dernières années du siècle passé qui furent si fertiles en inventions, les recherches s'orientèrent vers une force mécanique susceptible de conduire à une solution rapide du vol humain.
Nombreux furent les savants, inventeurs, théoriciens, techniciens et parmi eux beaucoup de Français, qui s'attelèrent ardemment au problème du vol dans l'atmosphère au moyen d'appareils spécifiquement plus lourds que l'air. On essaya toutes sortes d'oiseaux artificiels avant d'arriver à l'aéroplane vraiment utilisable. Des modèles miniatures semblables à des jouets, des projets aux formes curieuses, mais aussi d'ingénieuses machines volantes établies sur des données scientifiques, sortirent de l'imagination des chercheurs. Ces études et ces expériences finirent par faire entrevoir la possibilité d'aboutir.
Pourtant, la solution idéale restait subordonnée à la réalisation d'une force motrice à la fois légère et suffisamment puissante.
Or, tout à coup, les immenses progrès de l'industrie des moteurs venaient de rendre dirigeables les ballons et de faire sortir l'automobile de la préhistoire. Une centaine d'années se sont écoulées depuis l'invention des frères Montgolfier, mais les temps sont proches où l'homme va pouvoir, enfin, réaliser le rêve millénaire de naviguer dans les airs.
De tous les moyens étudiés et expérimentés pour ouvrir la voie des airs, celui qui, précédant de peu l'apparition de la machine à voler complète et qui permit de parcourir de petites distances, fut un appareil sans moteur : le planeur.
Avec un appareil en vraie grandeur construit par lui, qu'il faisait tirer comme un cerf-volant par une charrette attelée, Jean-Marie LE BRIS, maître au cabotage, avait réussi quelques planements en 1857 près de Douarnenez et à Brest.
Mais ce n'est qu'à partir de 1891, que des essais méthodiques et fructueux furent entrepris par l'ingénieur Otto LILIENTHAL en Allemagne. Perfectionnant sans cesse ses appareils, il avait effectué, en se lançant d'une colline, environ 2000 glissades dont certaines prolongées sur plusieurs centaines de mètres et il se proposait d'adapter un moteur à son planeur lorsqu'il trouva la mort en 1896, par suite d'un panache de son planeur. Il resta presque complètement ignoré dans son propre pays où il n'eut pas un seul continuateur.
Aux expériences de Lilienthal, succédèrent celles d'un savant français expatrié aux États-Unis, Octave CHANUTE. De 1896 à 1897, il expérimenta dans un désert de sable et de dunes des bords du lac Michigan, plusieurs types d'appareils, les résultats les plus probants étant obtenus sur un planeur biplan. Octave Chanute eut parmi ses élèves les frères WRIGHT auxquels il prodigua l'expérience de sa technique.
De 1900 à 1903, avec un appareil type Chanute construit et amélioré par eux au fur et à mesure de leurs essais, ils exécutèrent à Kitty Hawk, en Caroline du Nord, un nombre considérable d'expériences, si bien, qu'encouragés par les résultats, ils décidèrent d'ajouter à leur appareil un moteur actionnant deux hélices.
Or, en France, le capitaine FERBER, qui correspondait avec Chanute et avec les Wright, avait construit et essayé plusieurs appareils et dès 1904, il démontrait les possibilités du vol par planeur. Il fut soutenu avec fougue par Ernest ARCHDEACON. Par une campagne de conférences et de publications, en même temps que par leurs expériences personnelles, les deux ardents propagandistes réussirent à créer chez les chercheurs, une émulation qui ne devait pas tarder à être des plus fécondes. Le temps du plus lourd que l'air était venu.
Parmi les tout premiers aviateurs français, nombre d'entre eux firent leurs premières armes avec le planeur. Utilisant les propriétés du vent dans les dunes ou au-dessus de l'eau, ils essayèrent leurs ailes, non sans de multiples aventures cependant, mais en progressant successivement, selon la méthode chère à Ferber « Pas à pas, saut à saut, vol à vol ».
Une école de planeurs, la première au monde, avait même été fondée en 1906 par l'association « L'Aéronautique Club » près de Palaiseau. Néanmoins l'intérêt devait bientôt se porter sur les aéroplanes à moteur en présence des résultats obtenus par ces appareils.
L'ingénieur Clément ADER, dont la préoccupation de toute la vie a été la conquête de l'air et dont les travaux dans ce but ont commencé en 1882, est le premier à tenter des expériences en grand qu'il réalise avec les machines aériennes construites par lui, baptisées d'abord « Eole » et plus tard « Avion ». On sait que les aéroplanes ont conservé ce nom d'avion qui a été créé par Ader.
Étendant leurs ailes semblables à celles d'une gigantesque chauve-souris, les appareils conçus par Ader étaient propulsés primitivement par une hélice à quatre branches et en dernier lieu par deux hélices, chacune d'elles étant actionnée par un moteur d'une trentaine de chevaux. Alors que le moteur à explosion n'avait pas encore été mis au point, c'était un moteur à vapeur extrêmement léger qu'avait construit Ader, lequel fut reconnu par la suite comme une conception merveilleuse.
Avec le premier de ses engins, Ader fit des expériences dans un parc privé et avec le dernier « l'Avion III », en présence d'une Commission du Ministère de la Guerre. À chacune de ses tentatives, dont les plus marquantes eurent lieu les 9 octobre 1890 et 14 octobre 1897, l'appareil se souleva de terre à plusieurs reprises par bonds de faible amplitude. Le résultat satisfaisant obtenu le 9 octobre 1890 avait encouragé Ader qui perfectionna son invention. Malheureusement, à la dernière tentative, celle du 14 octobre 1897, l'appareil déporté hors de la piste par une rafale de vent, fut brisé.
Comment s'étonner de cet insuccès ? Ader était âgé de 56 ans et il n'avait pas pratiqué l'entraînement sur planeur auquel s'astreignirent les autres précurseurs qui lui succédèrent.
Quoi qu'il en soit, ses moyens financiers étant épuisés et l'intérêt de son invention n'ayant pas été suffisamment compris en haut lieu, Ader ne persévéra pas dans ses expériences.
Si les premiers élans de l'avion furent malhabiles, semblables en cela aux premiers pas de l'enfant, une barrière venait, malgré tout, d'être franchie, événement mémorable qui devait être gros de conséquences. Il convient donc de rendre hommage au génie inventif du « Père de l'Aviation » qui conçut le corps et la mécanique du premier appareil monté, capable de quitter le sol avec la seule ressource de sa puissance motrice. Il est indiscutable que les efforts de Clément Ader tracèrent la voie où d'autres s'engagèrent et, plus hardis et plus heureux, purent aller jusqu'au succès final.
Dès lors, la France qui s'était trouvée en avance sur toutes les autres nations dans la navigation aérienne, avec les montgolfières, les ballons et enfin avec ses dirigeables, devint le berceau de cette prodigieuse découverte que fut l'aviation, donnant dans cette voie encore l'exemple au monde.
S'il a suffi de quelques années pour en faire une nouvelle arme de guerre, puis pour l'industrialiser en instrument de locomotion et de transport, il est bon de rappeler qu'à ses débuts l'aviation avait un caractère sportif, sport attachant, passionnant pour ses adeptes, mais il faut le dire, dangereux et d'une portée encore douteuse.
Ainsi s'explique pourquoi, parmi les tout premiers aviateurs, on trouve tant de sportifs ayant disputé des compétitions publiques comme cyclistes, comme automobilistes ou aéronautes.
L'importance prise par l'aérostation avait amené en 1898 la constitution d'une association spécialisée dans les questions s'y rapportant : l'Aéro-Club de France. À noter à ce sujet, que la doyenne des sociétés de ce genre, la Société Française de Navigation Aérienne, avait été créée dès 1872 au lendemain de la guerre de 1870-1871 qui avait vu l'utilisation des ballons montés.
L'Aéro-Club de France fut reconnu d'intérêt public et patronné par le Président de la République et par différents ministres. La plupart de ses membres étaient des notabilités scientifiques ou aérostatiques, des amateurs attirés par le progrès et d'ardents sportsmen dont beaucoup appartenaient à l'Automobile Club.
De généreux mécènes figuraient parmi ses fondateurs, dont les prix retentissants stimulèrent les adeptes du sport nouveau. Le mécénat de MM. Ernest Archdeacon, Henry Deutsch de la Meurthe, René Quinton et des frères Édouard et André Michelin, en particulier, eut, en outre, pour effet, d'apporter à leur propre vie une orientation nouvelle en même temps qu'une belle notoriété. Leur exemple eut de nombreux imitateurs et les dons et prix affluèrent, apportant un puissant encouragement aux concurrents.
Association de réputation mondiale, l'Aéro-Club de France a, par l'action de ses membres, merveilleusement préparé les voies de l'époque héroïque de l'aviation. Elle a été secondée dans cette oeuvre par « L'Aérophile », la revue illustrée de l'aéronautique la plus ancienne du monde, puisque sa création remonte à l'année 1893. « L'Aérophile » qui constituait une documentation précieuse sur l'aéronautique a, malheureusement, cessé de paraître à partir de 1948 (1).
La découverte de l'aviation devait, selon le désir de ses utilisateurs, être une oeuvre de paix et aider au rapprochement entre les peuples en supprimant les distances. Sous le signe de l'entente entre les nations, un autre organisme, la Fédération Aéronautique Internationale (F.A.I.) groupait, depuis 1905, les aéro-clubs du monde entier.
Sous l'égide de la F.A.I., l'Aéro-Club de France, dont le développement avait été extrêmement rapide avec l'aérostation, prit une extension plus considérable encore avec l'aviation. L'Aéro-Club de France encouragea les essais de vol avec des planeurs qui servirent ainsi à l'initiation des futurs pilotes. Cependant, après avoir connu une certaine activité, les planeurs furent délaissés dès les premiers exploits obtenus avec les aéroplanes. Une réglementation des records et un code sportif les régissant furent instaurés par les soins de l'Aéro-Club de France.
Les performances qui furent accomplies à l'origine constituèrent les premiers records enregistrés. Aux vols mécaniques inaugurés par Clément Ader, succédèrent les premiers vols contrôlés :
- Le 13 septembre, puis le 23 octobre et le 12 novembre 1906, Santos-Dumont, à bord de son biplan en forme de cerf-volant, réussit des vols de 7 mètres, de 60 mètres et enfin de 200 mètres, à faible hauteur, sur la pelouse de Bagatelle ;
- Le 26 octobre 1907, Henry Farman, pilotant un biplan Voisin, porte le record à 771 mètres et le 13 janvier 1908 à 1.000 mètres, réussissant à cette occasion, le premier vol en circuit fermé, contrôlé officiellement. Le 21 mars de la même année, il bat son propre record en volant sur une distance de 2 kilomètres ;
- Le 28 mars 1908, Delagrange, sur biplan Voisin, effectue le premier vol avec passager (Henry Farman) ;
- Le 11 avril, puis le 30 mai et le 16 septembre 1908, Delagrange s'adjuge à son tour le record de distance par 3 km, puis 12 km et enfin, 24 kilomètres ;
- Mais l'homme ne s'est pas donné des ailes pour tourner seulement au-dessus des aérodromes. S'élançant en pleine campagne, par-dessus les obstacles de la nature, Henry Farman accomplit, le 30 octobre 1908, le premier voyage aérien de ville à ville, de Mourmelon à Reims ;
- Le lendemain, il est suivi par Louis Blériot qui effectue le parcours Toury-Artenay et retour, avec deux escales.
- 31 décembre 1908. Wilbur Wright, venu en France, s'entraîne depuis le 8 août au camp d'Auvours sur son biplan dont l'envol s'effectue par catapultage. Ayant doté cette machine d'un moteur français, il réalise plusieurs vols de durée et termine l'année en gagnant la Coupe Michelin, en tenant l'air pendant 2 h 20 et franchissant 123 km 700.
L'aviation entre dès lors dans l'ère des résultats sportifs et notre pays devient le centre de l'activité aérienne. Tous les vols sont contrôlés officiellement par les commissaires de l'Aéro-Club de France qui seul, a le pouvoir d'homologuer les épreuves sportives et les records.
- Le 21 juin 1909, les frères Caudron effectuent leurs premiers vols au Crotoy ;
- L'année 1909 est surtout marquée par la première traversée de la Manche (ou plutôt du Pas-de-Calais) de Calais à Douvres, réussie par Louis Blériot, le 25 juillet, sur monoplan Blériot XI. Son valeureux concurrent, Hubert Latham, était tombé en mer par deux fois, les 19 et 27 juillet, en tentant la même traversée. L'exploit de Blériot frappe l'opinion publique. Fêté à Londres comme un souverain, reçu à Paris en triomphateur, Blériot passe au premier rang des aviateurs célèbres ;
- Le 18 octobre 1909, le comte de Lambert, quittant l'aérodrome de Juvisy, survole Paris pour la première fois et après avoir doublé la Tour Eiffel, retourne atterrir à Juvisy. Ce vol provoque une intense émotion, beaucoup de Parisiens voyaient pour la première fois évoluer un aéroplane ;
- Le décembre 1909, Hubert Latham établit le record d'altitude à 453 mètres, puis dépasse les 1.000 mètres le 7 janvier suivant.
- Henry Farman s'adjuge la coupe Michelin de 1909 (vol de 234 km 212).
L'éclosion du XXe siècle, à l'heure où s'accomplissaient les performances qui viennent d'être relatées, apparut toute une pléiade ardente d'aviateurs constructeurs et d'expérimentateurs. Les premiers aéroplanes étaient construits dans des locaux rudimentaires, une remise ou un hangar, transformés en ateliers. Quelques ouvriers menuisiers et mécaniciens ; du bois, de la toile, du papier, de la colle, du fil de fer, un peu de métal, ce furent là toute la main-d'oeuvre et les matières premières avec lesquelles se créa « l'avionnerie ».
De la multitude des inventeurs, constructeurs, expérimentateurs venus à l'aviation, nombreux seront ceux qui n'atteindront pas la phase des grandes réalisations. Certains, au contraire, dont les noms sont liés à l'histoire de l'aviation, deviendront célèbres et verront leurs productions appréciées dans le monde entier : BLÉRIOT, les six équipes fraternelles formées par Gabriel et Charles VOISIN, Henry et Maurice FARMAN, Louis et Jacques BRÉGUET, Gaston et René CAUDRON, Léon et Robert MORANE, Édouard et Charles NIEUPORT, ESNAULT-PELTERIE, HANRIOT père et fils, DEPERDUSSIN, SOMMER, POTEZ, etc.
Sous leur impulsion une industrie nouvelle s'organise, Les constructeurs s'adjoignent des techniciens qui deviennent des spécialistes éprouvés. Ils agrandissent leurs usines ou en ouvrent de nouvelles. L'aviation va être une victoire de la Science française ; l'ampleur du développement est telle que cette toute jeune industrie aéronautique est de loin la plus importante du monde.
Cette industrie de la construction est complétée par celle des moteurs dont la fabrication a été entreprise en France dès la découverte du moteur à explosion qui, après avoir fait faire des progrès inouïs à l'automobilisme, va permettre, en aviation, de passer très rapidement du planeur à l'avion.
Anticipant sur la mise au point du moteur à explosion, ADER, pour obtenir l'envol de son avion, avait construit un moteur à vapeur d'une légèreté stupéfiante, puisque, pouvant fournir une puissance de 30 CV, il n'exigeait qu'une centaine de kilos avec toute sa mécanique : générateur à alcool, foyer, pompe, condenseur.
Un autre vétéran, ANZANI, avait construit un moteur simple et de peu d'encombrement, celui de la première traversée de la Manche. LEVAVASSEUR, inventeur du moteur Antoinette utilisé pour les canots automobiles, en construisit toute une gamme pour l'équipement des premiers avions. ESNAULT-PELTERIE avait construit toutes les parties de son fameux monoplan REP, y compris un moteur original en étoile, à refroidissement à air.
Enfin, les grands fabricants d'automobiles donnèrent un essor considérable à l'industrie des moteurs dont ils créèrent des modèles spécialement adaptés aux avions.
Des aviateurs étrangers venus en France rechercher leur consécration, ne dédaignèrent pas le matériel français. Ne vit-on pas Wilbur Wright remplacer son moteur par un moteur français, grâce auquel, le 31 décembre 1908, il s'adjugea la première coupe Michelin ? N'a-t-on pas raconté encore que CURTISS avait gagné la première coupe Gordon-Bennet d'aviation, à Reims, en 1909, devançant de quelques secondes son concurrent BLÉRIOT, parce que celui-ci lui avait donné, auparavant, les indications pour des modifications à son moteur ?
Quoi qu'il en soit, en France, on s'attache au perfectionnement de la technique du moteur et en peu de temps, l'industrie arrive à fournir des moteurs de plus en plus puissants autorisant l'augmentation de la vitesse, condition essentielle de la progression de l'aviation.
Dès le XVe siècle, Léonard de Vinci avait laissé des notes manuscrites renfermant des figures d'hélicoptère surprenantes d'originalité.
Pendant longtemps, l'hélicoptère avait fait l'objet de recherches de la part de savants, mais seulement sur des modèles de dimensions réduites. Le mérite de l'invention et de l'expérimentation d'un hélicoptère en vraie grandeur revint encore à des Français.
Le 27 août 1907, Louis et Jacques BRÉGUET avec le professeur RICHET expérimentaient à Douai leur gyroplane qui se souleva avec un pilote à bord, mais l'appareil étant maintenu au sol par un câble ; ce résultat sensationnel fit l'objet d'une communication à l'Académie des Sciences. Un second appareil plus perfectionné fut construit pendant l'hiver 1907-1908 avec lequel de courts envols furent réussis. Les Bréguet interrompirent alors leurs essais pour se consacrer à la construction des avions.
Paul CORNU, constructeur de cycles à Lisieux, qui orientait depuis 1905 ses recherches sur l'aviation, plus spécialement vers l'hélicoptère, avait construit plusieurs appareils d'études. À la suite de ses essais, il trouva parmi ses amis le concours financier qui lui permit d'exécuter l'hélicoptère en vraie grandeur. Cet appareil, muni d'un moteur Antoinette de 25 cv, et monté par Paul Cornu, accomplit le premier vol libre à très faible hauteur, aux environs de Lisieux, le 13 novembre 1907. Au second essai, la machine s'enleva si rapidement qu'elle entraîna à 1 m 50 du sol non seulement l'inventeur mais son frère accroché au châssis. Quelques autres envolées suivirent, mais les ressources manquèrent et Paul Cornu, précurseur remarquable, isolé en province, loin de tout centre d'études et d'industrie, de tout conseil, se vit obligé de tout abandonner.
Après la première guerre mondiale, le marquis de PESCARA et OEMICHEN, en France, réalisèrent des appareils inspirés des premiers. De Pescara fit plusieurs vols en ligne droite en 1924. La même année, Oemichen, créateur et pilote de plusieurs appareils à voilure tournante, réussit à accomplir avec l'un de ses prototypes, un vol d'un kilomètre en circuit fermé. De LA CIERVA inventa et construisit un autogyre avec lequel eut lieu à l'aérodrome de Madrid le premier vol en public.
Si la voie de l'envol vertical avait ainsi été tracée, la question resta en sommeil et ce n'est que de nos jours que l'on en comprit l'immense intérêt, mais avec succès cette fois.
Les performances réalisées chaque jour plus sensationnelles soulèvent l'enthousiasme populaire. Pour satisfaire le public qui désire voir voler, des meetings aériens, des semaines d'aviation, sont organisés partout, au cours desquels se révèlent de nouveaux champions. Les grands quotidiens mettent sur pied des compétitions avec itinéraires fixés à l'avance, comme le Circuit de l'Est en août 1910, la première grande course d'aéroplanes du monde et le Circuit Européen en juillet 1911 qui compte une quarantaine de pilotes participants. Toutes ces manifestations connaissent un succès extraordinaire d'affluence. Les programmes, les cartes postales, les vignettes souvenirs qui y ont été vendus quelques sous, sont recherchés aujourd'hui par les collectionneurs.
Le grand mouvement qui se dessine en faveur de l'aviation donne naissance à des associations pour l'encouragement de la navigation aérienne : en 1909, la Ligue Nationale Aérienne ; en 1911, l'Association Générale Aéronautique ; en 1912, le Comité Central pour l'Aviation Militaire. En 1914, elles fusionnent en un seul groupement : La Ligue Aéronautique de France qui n'a pas cessé de fonctionner depuis.
De nouveaux périodiques spécialisés dans le sport aérien viennent s'ajouter aux quotidiens dont les colonnes sont remplies par les comptes rendus de prouesses de plus en plus nombreuses. Bref, jamais aucune invention n'a provoqué une émotion comparable dans toutes les classes de la société.
Depuis 1901, l'Aéro-Club de France délivrait les brevets aux pilotes de ballon libre. Il se chargea de l'institution du brevet de pilote aviateur dont la réglementation entra en vigueur le ler janvier 1910 ; auparavant, dans le courant de l'année 1909, seize brevets avaient été octroyés sans examen à des aviateurs chevronnés ; leur classement par ordre alphabétique, tel qu'il fut finalement adopté par l'Aéro-Club de France, empêcha toute espèce de prééminence entre les 16 premiers brevetés. Le N° 1 échut ainsi à Louis Blériot et le dernier à Wilbur Wright.
Trois des plus illustres entre tous les précurseurs, dont la grande figure ne cessa de dominer la période des débuts de l'aviation, tous trois hors de pair, ne sont pas compris dans la liste officielle des brevetés : Clément Ader, Gabriel Voisin, Henri Fabre.
Clément ADER
Henri FABRE
Gabriel VOISIN
Clément Ader mourut en 1925. Bien qu'il eût abandonné ses expériences, il ne cessa jamais dans ses écrits souvent prophétiques, d'oeuvrer pour que la France conserve son avance dans le domaine de l'air. Avec le temps, l'importance de ses travaux avait fini par être dégagée. Il avait été fait commandeur de la Légion d'Honneur. La France d'alors, tardivement reconnaissante, fit à Ader des funérailles nationales ; un monument à sa mémoire fut érigé à Muret, sa ville natale. La ville de Paris a donné son nom à l'une des places du quartier d'Auteuil où il avait installé ses premiers ateliers. Mais le plus beau titre qui lui est resté et qu'il avait bien mérité est celui de « Père de l'Aviation ».
Il est difficile de retracer en quelques lignes la prestigieuse carrière de Gabriel Voisin, dont les recherches en aéronautique commencent en 1898 et les premiers essais de planeurs en 1904. En 1903, il fonde le premier établissement industriel d'aviation du monde, où en association avec son frère Charles, prématurément disparu, il peut exercer son génie créateur. Nombre de précurseurs figurent parmi les premiers clients des usines des frères Voisin, d'où sont sortis leurs fameux biplans cellulaires ; le premier de ces appareils, essayé par Charles Voisin réalise le 30 mars 1907, un vol d'environ 80 mètres à Bagatelle. Plus de 10.000 exemplaires sont mis en service de 1907 à 1918 ; Gabriel Voisin demeure de nos jours, l'apôtre le plus ardent de l'aviation.
Quant à l'ingénieur Henri Fabre, d'une vieille famille d'armateurs méditerranéens, il est à la fois l'inventeur, le constructeur et le pilote de l'hydroaéroplane avec lequel, pour la première fois au monde, une machine volante a pu prendre son essor par ses propres moyens sur l'eau et redescendre sur l'eau à la fin de son vol.
On doit associer à ces noms, celui du capitaine Ferber, le plus savant de tous les précurseurs, qui s'est donné corps et âme à l'aviation. Il a trouvé la mort dans un accident au sol survenu à son aéroplane en septembre 1909. L'Aéro-Club de France lui ayant attribué le brevet portant le n° 5 bis, de ce fait, les 100 premiers aviateurs brevetés sont 101 en réalité.
À la date du 2 août 1914, époque à laquelle la guerre interrompit les délivrances de brevets, 1.738 candidats avaient satisfait aux épreuves imposées pour l'obtention du brevet de pilote aviateur, indépendamment des 16 premiers qui avaient été brevetés sur titres en 1909.
Aux côtés des officiers volontaires choisis par le Ministère de la Guerre pour s'initier au maniement des premiers appareils commandés par l'État français, on trouve des civils de toutes classes et de toutes nationalités venus dans les écoles françaises apprendre l'art de voler, car jusque vers le milieu de 1910, époque à laquelle commença à l'étranger la délivrance de licences d'aviateurs, c'est exclusivement sur le sol et dans le ciel de France que les examens étaient passés. À l'exception d'un petit nombre de pilotes pourtant consommés qui ne recherchèrent pas la confirmation officielle, on peut dire que les brevets n° 1 à 100 décernés par l'Aéro-Club de France consacrèrent les premiers aviateurs au monde.
Les premières écoles de pilotage créées par Farman à Mourmelon, par Wright et par Blériot à Pau, ne tardent pas à se multiplier, comme se multiplient les inscriptions de nouveaux élèves.
Le Ministère de la Guerre, de son côté, met sur pied l'aviation militaire où tout est à concevoir et où la France est encore la première à innover. Des épreuves sont organisées à partir du 18 mars 1911 pour l'attribution d'un brevet spécial appelé brevet de pilote militaire. Des pilotes déjà en possession du brevet de l'Aéro-Club de France y prennent part et dès la fin de l'année suivante, 139 brevets militaires ont été délivrés ; au 2 août 1914, leur total était de 657.
Entre temps, une quinzaine d'appareils avaient déjà participé aux grandes manoeuvres en Picardie, en septembre 1910. Ils étaient montés par des officiers ou par quelques pilotes civils mobilisés comme réservistes, qui, pour la circonstance, avaient endossé l'uniforme de sapeur. L'aviation a continué de figurer dans les grandes manoeuvres annuelles, jusqu'à 1914.
L'aviation est devenue le domaine de l'armée et la guerre va lui imposer de nouvelles exigences dont elle sortira à son honneur.
L'apprentissage des pilotes est accéléré à fond, de telle sorte qu'en l'année 1918, une vingtaine de pilotes sortent chaque jour des écoles. 16.000 pilotes ont été formés durant la campagne.
Comme dans beaucoup d'autres domaines, la guerre a fait prendre un développement colossal à l'industrie aéronautique et la France a pu fournir des avions à tous ses alliés.
Prenant une part de plus en plus grande dans les opérations, la cinquième arme termine la guerre avec la maîtrise de l'air.
Parmi les aviateurs d'avant-guerre, il en est qui ont apporté leur expérience à la construction, à la réception des avions et à l'instruction de nouveaux pilotes. Beaucoup ont fait l'objet de magnifiques citations au front et quelques-uns d'entre eux ont figuré au palmarès des « As » de la guerre aérienne.
L'armistice signé, la démobilisation rend à la vie civile les aviateurs militaires. Ceux-ci conservent la nostalgie du ciel, mais en fait, bien peu d'entre eux ont pu continuer leur métier de pilote.
En 1920, quelques-uns de la période héroïque décident de former une association amicale qu'ils dénomment « Les Vieilles Tiges ». Ce groupement ne reste point passif. Sous l'impulsion de son président Léon Bathiat, à l'extraordinaire dynamisme, son comité de direction étend l'objet primordial, qui était l'entraide, à la propagande et à la diffusion de l'idée aérienne chez les jeunes. Les Vieilles Tiges sont loin d'être des fossiles de l'air et contribuent à donner naissance à toute une lignée juvénile avide d'entrer dans la carrière des ailes.
Le titre de « Pionnier Vieille Tige » que se sont conférés à eux-mêmes les pilotes-pionniers, est devenu un titre populaire autant que de noblesse que peuvent revendiquer avec fierté ceux qui ont eu la gloire d'apporter à l'aviation dès les premières heures, leurs idées, leur expérience, leur argent, leur héroïsme. Y eut-il, en effet, de travail créateur plus fécond à l'aurore du XXe siècle que celui de cette lignée de pionniers qui réalisèrent le rêve ancestral de l'homme : voler ?
Au siège de l'association des Vieilles Tiges, près la Porte Maillot, dans une atmosphère familiale, on reparle des heures inoubliables du passé, des joies exaltantes du pilotage, des coups durs aussi ! Des pilotes sont devenus constructeurs, on s'entretient avec eux de l'évolution de l'aviation, de son avenir.
Dans la grande salle des réunions, il existe une galerie probablement unique au monde, de portraits et de tableaux. La jeune génération, que l'on soupçonne parfois de tiédeur à l'égard des anciens, pourrait y venir apprendre l'histoire des premières envolées. Elle y verrait les frêles esquifs de toile sur lesquels des hommes aussi habiles qu'audacieux osèrent s'évader des champs d'aviation pour accomplir les premiers voyages de ville à ville, pour survoler les campagnes, les cités, franchir les Alpes, les Pyrénées, la mer ! Les jeunes Français y retrouveront ceux qu'ils n'ont pu connaître et qui ont fait l'aviation, aujourd'hui disparus.
Cependant quelques-uns des 1.754 pilotes brevetés par l'Aéro-Club de France avant la première guerre mondiale, sont toujours là ; à la fin de l'année 1960, leur « dernier carré » réunissait 168 survivants. Quel sujet passionnant que l'histoire de ces « Hommes-Oiseaux » qui connurent l'idolâtrie de leurs contemporains par lesquels ils étaient élevés au rang de demi-dieux ! Véritable floraison de chevaliers de l'air, intrépides et romanesques, ils étaient envoûtés par leur rêve qui allait souvent jusqu'à faire de l'aviation la passion de toute leur vie.
L'aérostation avait compté à ses débuts d'intrépides femmes-aéronautes et l'on doit aussi s'incliner dans un hommage de particulière admiration envers les femmes-pionniers qui furent d'audacieuses propagandistes en consacrant leur vie à l'aviation.
Mme Thérèse Peltier est la première femme qui ait quitté le sol dans un aéroplane et elle est aussi la première femme qui ait volé seule à bord. Élève de Delagrange, elle abandonna l'aviation à la mort de celui-ci, tué accidentellement en janvier 1910.
Le mérite d'avoir persévéré jusqu'au brevet et au-delà revient à la baronne de Laroche, brevetée pilote, sous le N° 36, le 8 mars 1910. Très sportivement, elle rivalisa avec ses camarades masculins dans les grandes compétitions aériennes jusqu'à la guerre qui interrompit son activité. Elle se tua le 18 juillet 1919 au cours de son réentraînement.
Entre temps, d'autres femmes-oiseaux étaient nées dans le ciel : Mlle Marie Marvingt, apôtre de l'aviation sanitaire ; Mme Hélène Dutrieu, détentrice à plusieurs reprises de la Coupe Fémina ; Mme Jane Herveux, lauréate d'épreuves aériennes ; Mme Jeanne Pallier, dernière brevetée d'avant-guerre à l'âge de 48 ans.
Marchant sur les chemins glorieux de leurs aînées, d'autres vocations d'aviatrices se manifestèrent dans la période d'entre les deux guerres : Mme Adrienne Bolland, qui réalisa la traversée de la Cordillère des Andes sur un avion de tourisme : Hélène Boucher, la frêle jeune fille qui réalisa des records surclassant ceux des hommes ; les deux Maryse : Maryse Hilsz et Maryse Bastié devenues célèbres dans le monde entier par leurs records et leurs voyages intercontinentaux.
Les noms chargés de gloire de Raymonde de Laroche, de Maryse Bastié, de Maryse Hilsz, d'Hélène Boucher qui donnèrent l'exemple admirable du sacrifice de leur vie pour l'aviation, ont bien mérité de rester à jamais gravés dans le cœur des Français.
À peine l'homme venait-il de s'attaquer à l'air et de le vaincre, que les pionniers - des Français pour la plupart - avaient déjà effectué les premières démonstrations aériennes dans les capitales ou dans les grandes villes, soulevant partout l'enthousiasme des foules aux yeux desquelles le fait de voler tenait encore du prodige.
La période héroïque de l'aviation, comme on a pris l'habitude de la désigner, n'est-elle pas l'une des plus pathétiques qui aient été enregistrées depuis longtemps ? Mais cette époque est révolue et s'estompe inexorablement dans le passé. Ne risque-t-elle pas d'être entraînée dans l'indifférence, dans l'oubli, devant les progrès foudroyants que nous réserve encore l'ère de la réaction et l'astronautique ?
Il y a là cependant un moment d'histoire qui ne doit pas s'effacer, vers lequel doivent, au contraire, monter notre admiration et notre gratitude. Le monde ne doit pas ignorer le nom et l'aventure de ces hommes qui, souvent, ont affronté la mort pour le triomphe du progrès.
L'auteur du présent essai, qui a vécu intensément les temps héroïques, a eu le sentiment que s'il publiait le fruit de ses patients travaux biographiques, ce serait rendre un juste hommage, sinon à l'ensemble des glorieux créateurs qui donnèrent son essor à l'aviation, tout au moins à ceux qui en furent l'avant-garde.
En traçant, même en raccourci, une biographie des 101 premiers pilotes de l'air, il convie le lecteur à vouer à chacun d'eux la part de gloire qu'il a méritée.
MÀJ : 2 décembre 2024
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