Tous les voyants peuvent être allumés et tous les indicateurs sont fonctionnels
Il faudra bien un jour quitter le 747, ne serait-ce que parce que ce type d'avion est condamné à un long déclin dans la compagnie, et que les lignes intéressantes sont et seront distribuées aux avions modernes. Sur quel avion partir, c'est le choix de carrière de chacun, on a encore un peu de temps pour réfléchir.
Ce que l'on ne retrouvera jamais sur un autre avion, c'est la précieuse présence du mécanicien navigant, puisque le 747-200 est le dernier avion ( avec le Concorde) à être piloté à trois.
Comme ce soir au décollage de Maurice, tandis que je suis absorbé à rouler lentement avec cet avion immense, et que le CDB se débat entre la radio, et les nombreux problèmes commerciaux qu'engendre l'emport de 464 passagers. Derrière moi, l'OMN voit tout, anticipe, écoute, connaît son engin sur le bout du doigt.
Une minute alignés sur la piste, en attendant que là-derrière, la cabine soit prête et que tous les PNC soient attachés. "V1 : 146, décollage, top" " N1 vert". Quatre manettes en avant. Le mastodonte s'ébranle. Moi, je ne regarde que l'axe, les pointes des pieds sur les palonniers, avec de temps en temps un coup d'œil au badin, et sur la vitesse sol de ma centrale qui confirme les cinq nœuds de vent arrière. Et ces cinq nœuds arrière, à 371 tonnes, pèsent très lourd...
Mais il y a cette main qui passe silencieusement sur les manettes, en ce moment de concentration extrême , pour rajouter le petit pouillème qui manque sur un des quatre moteurs. Il y a cette voix calme, lorsqu'un voyant s'allume dans un moment critique, qui dit " C'est que dalle.", ou " je m'en occupe", nous faisant comprendre qu'un gardien veille sur nos bêtises. Là, ce soir, pas de voyant, pas de souci. Mais un avion à sa masse max, qui après 146 nœuds, ne s'arrêtera plus, et qui avale à une vitesse surprenante les 3300 mètres de piste. Rotation à 168 nœuds. J'ai trouvé du premier coup que l'assiette de 12 degrés était bonne, et le badin s'est scotché à 185 nœuds alors que l'avion commence à monter. Sur ce qui restait de béton devant lorsqu'on a cessé de rouler, on n'aurait pas posé un DR400.
Pendant que le train rentre, la main de mon ami mécanicien arrive dans le noir pour enlever quelques tours à un de nos moteurs, lesquels ce soir ont bien du mérite. Le F-BPVY prend son premier cap vers la lointaine Europe. C'est parti pour 11h20 de vol, pour 139 tonnes de consommation, pour une nuit d'Afrique.
Un jour, les 747-200 partiront au rancart ( il y a déjà le BPVJ au Musée de l'Air). Le temps sera venu alors d'une nostalgie infinie, lorsque les écrans cathodiques auront remplacé les copains.
Jacques Darolles - OPL B747-200 - AF 3865 Maurice-Roissy
Le dernier B747 classique d'Air France vient de prendre sa retraite. Avec lui c'est le dernier avion en équipage à trois qui disparaît. Dans son numéro précédent, Mach 2.02 avait présenté l'historique du métier de Mécanicien Navigant. Bernard Chabbert nous parle aujourd'hui du « type qui servait une machine parfaite » à ses pilotes.
Article paru dans le magazine Aviasport N° 633 de décembre 2007.
Personne n'en a parlé. Il est vrai que l'actualité ne manque pas de matière. Mais bon, cette fin d'année 2007 sera marquée dans l'histoire des avions à la française par un événement particulier: avec les derniers vols en ligne, à Air France du dernier 747 classique, la profession de mécano navigant disparaît de la liste des métiers aériens. Certes, il reste des mécaniciens navigants chez les militaires. Mais pour ceux de la ligne, c'est terminé.
Avec le départ du mécano, c'est tout un âge de l'art de faire bien voler les gros avions qui s'éteint. Un âge marqué par la présence, au sommet de la pyramide du vol commercial, de cette cellule de talents complémentaires qui se nommait un équipage. Devant, les deux pilotes, occupés à guider l'avion et à l'intégrer dans le monde réel en communiquant par radio et en naviguant. Derrière, au centre du poste de pilotage et un peu en retrait, le mécano. Qui, de par sa position géographique dans le cockpit, et de par le recul que cette position lui imposait, devenait avec l'expérience et les heures de vol une sorte de mère poule à qui rien ou presque n'échappait. Une mère poule qui parfois se mêlait de ce qui ne la regardait pas directement, mais qui ayant appris à dire les choses sans en avoir l'air, faisait remonter des infos parfois vitales. Et même si le pilotage pur n'était pas du ressort du mécano, sa position d'observateur qualifié permettait de parfois réinjecter une dose de bon sens dans un système que les évènements extérieurs pouvaient avoir porté à saturation.
Dans ces cockpits qui foisonnaient d'informations brutes affichées sur des cadrans ressemblant à des montres à l'ancienne, que l'esprit devait intégrer et malaxer avant d'en extraire la synthèse, l'équipage à trois n'était pas un luxe, mais une nécessité. Il ne s'agissait pas que de confort, mais surtout de choses bien faites. Car l'avion appartenait au mécano. Un bon mécano était un type qui servait une machine parfaite à ses pilotes, sur un plateau impeccable. Et la satisfaction collective du travail bien fait se construisait avec ces moments évoquant les orchestres intimistes et merveilleux que sont les trios ou quatuors capables de jouer des œuvres délicates, installés en permanence sur une corde raide. ]'ai le souvenir d'approches aux minima dans des temps pas catholiques, après une nuit entière dans un ciel pas aimable et malgré la fatigue, le décalage horaire, les yeux qui brûlent, la petite musique du cockpit se jouait dans une clarté parfaite, avec toutes les nuances de rigueur, et surtout un parfum de naturel qui donnait à ces métiers la grande noblesse des humanismes.
L'avion, architecture monumentale de réservoirs, de moteurs, de circuits électriques à alimenter et utiliser, de circuits hydrauliques parallèles et complémentaires, un tube pressurisé, chauffé, et lancé plus haut que l'Everest dans un ciel à moins cinquante à la vitesse d'un quart de kilomètre à la seconde, l'avion fonctionnait harmonieusement par le travail du mécano. Et si quelque chose se mettait de travers, le mécano savait contourner le problème, et continuer à servir aux pilotes un avion équilibré, obéissant, pilotable. Tant que rien de catastrophique ne venait briser le système, le mécano assumait son rôle de mère poule. Et on a vu bien des cas où malgré une situation calamiteuse, le mécano inventait des parades et permettait aux pilotes de ramener le chargement au sol, entier...
Désormais, les avions ont progressé dans l'imitation des systèmes biologiques. Ils s'autosurveillent, s'autogèrent, et les cockpits ne sont plus habités que de deux pilotes. Cependant, car le destin ne manque pas d'humour, les long-courriers de pointe, ceux qui tiennent en l'air des dix heures et bien plus, voient de nouveau surgir un troisième homme.
Celui-là n'est plus un mécano, mais le pilote supplémentaire que la longueur des étapes implique. Et dans les phases actives du vol, décollage, montée, descente, approche, que fait le pilote supplémentaire? Il s'installe entre ses collègues, un peu en retrait, et instinctivement retrouve un peu de l'attitude du mécano navigant. Il se sert du recul de sa position géographique et suit la chronique des évènements, et s'il le faut, il injecte une remarque, pointe un doigt ...
Sans préméditation, le troisième homme est revenu.
Il n'y a plus besoin de mécaniciens navigants, à cause de la technologie et des réponses qu'elle a apportées. Mais au-delà, il y a l'équilibre des systèmes humains. Une table tient mieux sur trois pieds que sur deux. Pendant trois quarts de siècle, le mécano navigant a été ce troisième pied. Sans lui, rien n'aurait existé.
Bravo, messieurs.
Bernard Chabbert - Pilote, Journaliste aéronautique, Commentateur de meetings