Musée Air France
L'Emeraude à Toulouse, fin 1933. À partir du 4e de la gauche, on reconnaît Gonin, Balazuc, Crampel, Volpert, Queyrel, Launey, G.E. Bonnet.
Noguès, assisté de Balazuc, directeur technique, décide donc de demander aux constructeurs l'étude d'un appareil devant répondre aux besoins de l'exploitation. Noguès en définira la vitesse, le plafond, la charge marchande.
Il s'agira d'un appareil trimoteur, possédant une vitesse de 250 km/h, un plafond de 5 000 mètres, une charge marchande de 2 515 kg incluant une cabine pour 12 passagers.
De tous les constructeurs consultés, seul Dewoitine, qui a déjà eu de grands succès avec un appareil de grand raid avec aile mono-longeron, répond à la demande et met en chantier l'appareil commercial qui sortira sous la dénomination Dewoitine 333. Nous verrons ce qu'il en adviendra en ligne.
Fin 1932, l'aviation commerciale française était répartie entre lés compagnies suivantes : Air Union, S.G.T.A. (Farman), la C.I.D.N.A., l'Aéropostale et Air Orient.
Air Orient, Air Union, Farman, C.I.D.N.A.ont une situation financière solide quoique dépendant encore plus ou moins de subventions. En revanche, la situation financière de l'Aéropostale se trouve dans une position plus que scabreuse.
L'État décide : « afin d'obtenir un meilleur rendement par la concentration des moyens et une plus normale répartition des subventions, toutes les compagnies aériennes existantes seront regroupées en une société unique. »
Après des discussions poursuivis depuis le début de 1933, la fusion est décidée et sera réalisée le 30 août. Elle donnera naissance à Air France.
Une difficulté s'est manifestée au sujet de l'Aéropostale en raison de son inquiétante situation financière. Son actif sera racheté par la nouvelle société.
La délicate question de prise en mains d'Air France fut résolue par la réunion d'une partie des anciens dirigeants des compagnies dont est résultée la fusion avec une participation un peu plus importante pour Air Orient. Figure rayonnante, Maurice Noguès est nommé, à juste titre, directeur général adjoint chargé de l'Exploitation, tandis qu'Albert Gauchet devient directeur général adjoint pour le commercial, et que Balazuc, conserve son poste de directeur technique.
Sans vouloir retracer l'histoire d'Air France, voyons comment fut continuée par Noguès et ses collaborateurs la ligne d'Extrême-Orient, sa ligne.
Tout d'abord, le douloureux enfantement du Dewoitine. Concevoir un appareil et le mettre en exploitation commerciale nécessite une masse d'essais, de rectifications, de mises au point très longues et délicates, s'étageant sur une très longue durée. Noguès, avec Balazuc, suivirent de très près ces développements, y participèrent de manière active, jusqu'à la probation en ligne.
C'est ainsi que fut décidé le voyage de l'Émeraude qui devait démontrer ses qualités par un Paris-Saïgon-Paris.
L'Émeraude ayant décollé de Paris, le 21 décembre 1933, arrive à Saïgon dans l'enthousiasme général, le 28. L'équipage se composait de : Launay pilote, qui avait déjà effectué le premier voyage en Fokker vers l'Indochine, Crampel mécanicien, Queyrel radio. Noguès et Balazuc suivaient attentivement le déroulement du vol. Les difficultés de mise en route, par temps froid, des trois moteurs Hispano, type 9V, à refroidissement par air, valurent un retard inopportun au voyage aller. Mais il s'agissait, en principe, d'un voyage d'étude.
Le voyage de retour prévoyait de ramener à Paris le Gouverneur Général Pasquier, Emmanuel Chaumié, Directeur de l'Aviation Civile et sa femme devaient lui tenir compagnie. Jusqu'à Gwadar, le vol s'est déroulé de manière satisfaisante, sauf que le vent de sable avait interdit l'atterrissage à Karachi. Launay dut donc continuer de nuit, jusqu'à Gwadar dépourvu de balisage convenable. En fin d'atterrissage une malencontreuse borne accidenta assez gravement le train d'atterrissage. Il fallut du temps et de rudes efforts pour le remettre en état. Je venais de Damas, pour Saïgon, et pus ainsi le 8 janvier 1934 apporter le matériel nécessaire, Balazuc s'étant mis à la tâche, comme tout l'équipage. Le voyage se poursuivit sans trop de difficultés jusqu'à Marignane où la météo fit connaître qu'un très mauvais temps existait entre Lyon et Paris. Launay décida d'aller jusqu'à Lyon où les derniers renseignements météorologiques seraient obtenus. Malgré leur très mauvaise teneur, Launay décolla pour le Bourget. Des controverses très âpres ont suivi cette décision. Noguès et Launay étaient assez vieux routiers pour la prendre en toute connaissance de cause, sauf peut-être que les incidences de givrage sur les moteurs ou sur l'aile et les gouvernes n'étaient pas encore très connues. De plus, un problème de variation de centre de gravité dont nous eûmes à débattre ultérieurement en ligne, devait fort probablement ajouter à la désagrégation de tenue d'appareil consécutive au givrage-moteurs. C'est ce qui provoqua, à mon avis, la terrible catastrophe où périrent le 14 janvier 1934, Noguès, Launay, Crampel, Queyrel, Balazuc, le Gouverneur Général Pasquier, Emmanuel et Colette Chaumié, ainsi que le capitaine Brusseaux et le journaliste Larrieu.
La disparition de Noguès fut une perte immense pour l'aviation française et pour nous tous qui avions pu apprécier ses grandes qualités d'organisateur, de chef. Un chef pour lequel nous n'aurions pas mesuré nos efforts; tellement nous nous sentions solidaires, avec lui, de sa ligne, de son humanité qui nous imposait d'obéir à la sécurité avant toute contrainte commerciale ou le prestige. Il fut pour nous notre grand patron et restera toujours le grand patron.
C'est avec d'autant plus de cœur que nous avons poursuivi l'œuvre qu'il avait entreprise.
Jean Hennequin
Addenda de Guillaume Beau de Loménie, petit fils d'Emmanuel et Colette Chaumié
À la lecture de ce texte, on peut être amené à comprendre que mes grands-parents se sont joints au voyage uniquement sur le tronçon de retour... Or mes grands parents étaient à bord de l'Émeraude depuis le début de ce vol inaugural soit au départ de Paris.
Enfin, si les données techniques évoquées pour expliquer l'accident, (givrage) sont sans doute exactes, il convient aussi de dire que Pasquier, informé des mauvaises conditions MTO entre Lyon et Paris n'a rien voulu savoir pour reporter le décollage, en dépit des recommandations de l'équipage, et exigé celui-ci au motif de rendez-vous urgent à Paris... Les vieilles personnes encore vivantes à Corbigny il y a quelques années et qui avaient « vécu » l'accident racontaient qu'ils avaient entendu dans la nuit et le mauvais temps un avion voler très bas, très bas... avant que celui-ci ne heurte les collines environnantes...
Jean Hennequin est né à Paris.
Il est entré au deuxième régiment de chasse en 1927 comme mécanicien d'escadrille.
En 1929, il est engagé par Maurice Noguès, directeur de la Compagnie Air Union, ligne d'Orient, en qualité de mécanicien naviguant.
En 1930, il passe son brevet de pilote et, la même année, il est basé à Saïgon-Karachi et il effectue le premier trajet Saïgon-Hanoï.
Délégué de la sécurité près du ministère de l'Air en 1936, il ouvre le terrain de Ford-Bayard en Chine en 1938.
En 1939, il est affecté à l'état-major du général Weygand, dès le début des hostilités pour effectuer des missions spéciales. En 1946, après un stage sur DC 4, il reprend la ligne de Saïgon et est nommé chef adjoint du personnel navigant du centre d'Orly. Il est plus spécialement chargé des réseaux Asie et Afrique de la compagnie Air France.
Il imagine et met en exploitation, successivement, les lignes suivantes : Paris-Lagos en 1946 ; Paris-Shangaï en 1947 ; Paris-Tananarive ; Paris-Lydda ; Paris-Léopoldville et Paris-Téhéran en 1947.
En 1952, il met sur pied la ligne Paris-Tokyo, en 1954, il assume les fonctions de chef du personnel navigant du centre d'Orly, comme inspecteur.
En 1962, il cesse son activité de navigant, après avoir effectué 200 voyages sur l'Extrême-Orient et 300 traversées de l'Atlantique Nord et Sud. Il dirige alors l'exploitation de la compagnie portugaise TAP jusqu'en 1963 où il entre à la compagnie UTA, après la fusion UTA-TAI.
Jusqu'en 1971, il a été directeur de l'exploitation de la compagnie Air Afrique.
Jean Hennequin termine sa carrière avec 27 600 heures de vol.