Photographie de Noguès

L'Illustration - Histoire de l'Aéronautique - 1938


Maurice Noguès

Biographie

NOGUÈS, Maurice Émile Théodore Auguste (1889-1934), aviateur et pionnier français.

Né à Rennes, en Ille-et-Villaine, le 31 octobre 1889, il apprend à piloter seul et casse son Farman dès le premier vol, à Issy-les-Moulineaux. De cette expérience lui vient le souci de sécurité qui caractérise l'ensemble de sa carrière. Finalement breveté sous le n° 114, le 21 juin 1910, Maurice Noguès participe à plusieurs meetings, notamment à Miramas, près de Marseille, où il effectue une superbe prestation, malgré un fort mistral. En 1914, quoique réformé, il se porte volontaire et réussit à s'engager comme mécanicien d'aviation, avant d'obtenir le brevet de pilote militaire n° 682, le 6 février 1915. Affecté, en 1916, au groupe de bombardement VB 107, commandé par Maurice Happe, il se distingue à la tête d'une escadrille, dont il entraîne les équipages aux vols de nuit. Il accomplit ainsi des missions périlleuses, en particulier le 16 avril 1916, lorsqu'il doit descendre très bas pour voir l'objectif et devient lui-même la cible d'un tir nourri, comme en témoigneront les nombreux impacts sur son appareil. Son courage et son adresse lui valent une première citation à l'ordre de l'armée signée par Joffre. Maurice Noguès passe ensuite pilote de chasse à l'escadrille Spa 73 du groupe des Cigognes, dont il prend le commandement en 1918. Blessé à deux reprises, médaillé militaire, chevalier de la Légion d'honneur, quatre fois cité à l'ordre de l'armée, il terminera, la guerre avec le grade de capitaine. Dès l'armistice, par-delà ses qualités d'aviateur, il révèle son talent d'organisateur de réseau aérien à l'heure où se déploient les ailes de la paix.

Breveté pilote de transport public (n° 690) en juin 1922, puis navigateur (n° 25) en mars 1923, il rejoint son ami l'as Albert Deullin à la Franco-Roumaine, qui deviendra la Compagnie internationale de navigation aérienne (Cidna) en 1925. Après la mort de Deullin survenue en mai 1923, à Villacoublay, au cours de l'essai d'un prototype, il devient chef pilote et accomplit les liaisons entre Paris, Strasbourg, Prague, Budapest, Vienne, Belgrade, Bucarest et Constantinople. Entre autres premières, on lui doit, le 2 septembre 1923, le premier vol commercial de nuit entre Strasbourg et Paris. Le périple, amorcé à 19 heures à bord d'un trimoteur, devait s'achever au Bourget à 23 heures. Comme il évoluait dans une nuit très sombre, Noguès, qui ne disposait d' aucun repère au sol, dut se diriger à l'aide d'une boussole. Par la suite, il allait inaugurer la première ligne régulière nocturne du monde, sur le tronçon Belgrade-Bucarest. À cette époque, il se réserve les missions les plus dangereuses. Aux commandes d'un trimoteur Caudron, il assure la première liaison commerciale Bucarest-Constantinople-Ankara, prospecte la ligne Paris-Moscou à la fin de 1924 et, au printemps 1925, reconnaît le parcours Paris, Zurich, Innsbruck, Vienne. Lorsque la Cidna le charge d'étudier l'extension du réseau vers la Perse (Iran), il franchit l'étape Constantinople-Alep d'une seule traite et gagne Téhéran par Bagdad, à bord d'une Berline Spad 56 Herbemont. Le voyage du retour se termine dans le golfe de Naples : une panne soudaine y précipite l'appareil et son équipage, qu'un vapeur danois va recueillir. Rentré à Paris, Noguès démissionne et se consacre désormais au développement des lignes françaises vers l'Orient. Il s'agit de l'oeuvre de sa vie, d'ailleurs connue sous le nom de Ligne Maurice Noguès. Cette aventure, aussi fabuleuse et mouvementée que celle vécue par Jean Mermoz en direction de l'Amérique du Sud, commence par un voyage vers Naples, Corfou et Athènes, pour le compte des Messageries transaériennes. Mais de sérieuses difficultés émaillent le retour : pendant un amerrissage rude près de Corfou, son mécanicien, Girard, se casse une jambe ; à l'issue d'un autre amerrissage non moins délicat, à Gênes, les deux hommes sont dénoncés et placés en détention sous l'inculpation d'espionnage. Lavés de tout soupçon et libérés huit jours plus tard, ils terminent leur odyssée à Argenteuil. Cet épisode délicat ne détourne pas Noguès de son idée : au début de 1927, il retourne en Grèce pour y installer l'escale. Nommé directeur technique de la nouvelle compagnie Air Union-lignes d'Orient, en juin 1927, il peaufine son projet, multiplie les vols entre Marseille et Beyrouth, trajet sur lequel démarre un service régulier en juin 1929.

La ligne peut maintenant progresser vers l'Extrême-Orient : en février 1930, à bord d'un Farman 190, Maurice Noguès réalise un Paris-Saigon, où le terrasse la typhoïde. Ce qui ne l'empêche pas, en 1931, d'inaugurer le premier service commercial aérien régulier France-Indochine et, tronçon après tronçon, d'organiser chacune des étapes selon un système qui fait l'admiration générale. Directeur général adjoint de la compagnie Air France, après la création de cette compagnie en 1933, celui qu'on appelait le Mermoz de l'Orient conserve ses fonctions de directeur de l'exploitation à Air Orient. Il allait trouver la mort le 15 janvier 1934, au retour d'un voyage en Indochine, lors de la dernière étape qui le conduisait, à bord de son Dewoitine 332 Emeraude, de Lyon au Bourget. Pris dans une violente tempête de neige, l'appareil s'écrasa à Corbigny, dans la Nièvre. Avec lui, devait également disparaître le gouverneur-général d'Indochine Pasquier. Les conditions de cette tragédie demeurent pour le moins étranges : Noguès et le pilote Launay refusaient de décoller en raison de la tempête qui se déchaînait sur la région à traverser. Le patron d'Air France, soucieux de faire effet sur le gouvernement à l'occasion d'une réception organisée au Bourget où l'on attendait l'Emeraude, leur donna pourtant l'ordre formel et irresponsable de partir... Noguès haussa les épaules, fataliste. Les coups durs, il connaissait. Son destin se scella dans le Morvan. Le pionnier des lignes aériennes commerciales et des vols de nuit a été inhumé au cimetière de Locmaria à Belle-Isle-en-Terre, dans les Côtes-d'Armor, en présence de Jean Mermoz. Antihéros par excellence, fuyant la publicité et les journaux, cet homme de devoir, ou plutôt animé par une foi réelle, grand, sec, au visage rendu énigmatique par une moustache, ne vivait en fait que pour l'aviation et sut galvaniser les énergies. Son rôle dans la grande aventure aérienne de l'entre-deux-guerres fut primordial pour l'extension du réseau français, ce qui en fait assurément un égal de Mermoz et l'un des plus grands aviateurs de l'Histoire. Il totalisait 1 661 heures de vol comme pilote militaire et 3 950 heures de vol comme pilote civil.

Maurice Noguès n'a pas bénéficié d'un Saint-Exupéry ou d'un Kessel pour forcer la postérité. Cet aviateur doué, homme très modeste, voire timide, mais animé d'une farouche détermination dans l'accomplissement de son oeuvre, doublé d'un organisateur de talent, offrit pourtant à la France un de ses plus beaux réseaux aériens, tissé en direction du Moyen-Orient et de l'Extrême-Orient, dont héritera Air France qui, assez curieusement, ne lui en a guère été reconnaissante. De même, on a souvent écrit ou déclaré que Jean Mermoz avait effectué le premier vol de nuit commercial de l'Histoire, ce qui est faux. Le Grand a néanmoins réalisé un exploit en étant le premier aviateur à voler régulièrement de nuit à bord d'appareils non équipés. Pour éviter que ce débat ne se prolonge à l'infini, on laissera la parole à Max Hymans, président d'Air France, qui affirmait le 7 mars 1956: « J'insiste sur le fait que Maurice Noguès est le pionnier mondial du transport commercial de nuit. » Mais il fut bien plus que cela, en vérité : un vrai chef, équitable et juste, exemplaire, adulé par le personnel de sa ligne. S'il offrait parfois un visage fermé, cette apparence trompeuse dissimulait un homme attachant. Et l'on peut s'étonner que la France ne l'ait jamais honoré...

Quelques coupures de journaux

1er avril 1910 - Meeting de Miramas

Au meeting de Miramas, des pilotes confirmés refusent de prendre l'air à cause du mistral. La foule gronde, mais Maurice Noguès, pas encore breveté, décolle avec son Voisin.

2 septembre 1923 - Strasbourg-Paris

Le chef pilote Maurice Noguès, de la compagnie Franco-Roumaine, ouvre au trafic passager de nuit l'étape Strasbourg-Paris, avec un trimoteur Caudron C.61.

20 septembre 1923 - Bucarest - La Franco-Roumaine

« C'est magnifique! Pas une seule turbulence. On y voit comme en plein jour. » C'est dans l'enthousiasme que l'équipage du trimoteur Caudron C.61 s'est posé sur le terrain de Bucarest éclairé par un superbe clair de lune. Louis Guidon, le pilote, accompagné de Maurice Noguès, chef pilote de la Franco-Roumaine, n'en revenait pas de son exploit, d'autant qu'il n'est encore guère familier des vols nocturnes. Il y a quelques semaines seulement, la Franco-Roumaine décidait de modifier ses horaires et d'effectuer la liaison Paris-Bucarest dans la même journée, ce qui signifiait un vol de nuit entre Belgrade et Bucarest. Décision importante car jusque-là aucune compagnie n'avait osé programmer des vols de nuit avec passagers. La mise en route rapide de ce nouveau service n'avait permis d'effectuer qu'un seul essai, le 9 septembre. C'est donc avec une certaine émotion que Guidon et Noguès, qui avaient pris à leur bord quelques passagers dont Jules Bétard, le directeur général de la compagnie, se sont envolés hier soir de Belgrade. La nuit claire et le temps calme ont bien facilité les choses. Tout le relief était parfaitement visible. Un seul incident de parcours sera à retenir. Le fort de Bragadir était en flammes, ce qui se voyait de très loin. Il a explosé au moment ou l'avion approchait et Guidon a pu s'écarter à temps de la gerbe de feu et de débris lancés vers le ciel. Puis, ce fut l'arrivée à Bucarest, où l'avion se posa dans l'ombre que lui dessinait la lune.

Les grandes angoisses d'un vol de nuit

En quittant Belgrade hier soir pour leur dernier vol nocturne de l'année vers Bucarest, le pilote Louis Guidon et son mécanicien Gilson se sentaient confiants. Les moteurs de l'avion, qui viennent d'être changés, tournent bien. L'avion est complet. Pourtant, la nuit est pluvieuse et noire et le vent secoue terriblement l'appareil. Pour éviter les remous au-dessus des montagnes, le pilote oblique un peu vers le sud, et bientôt c'est le vol à l'aveuglette dans une obscurité éclairée parfois par les feux de villages inconnus. Tandis que les passagers dorment, inconscients du danger, les deux hommes s'aperçoivent avec angoisse qu'ils se sont perdus. « Voilà sept heures que nous sommes partis, dit Gilson, et nous avons moins de huit heures d'essence. » Soudain, c'est le miracle, une lumière dans la nuit : Bucarest ! Alors qu'ils se croient sauvés, leur espoir s'évanouit à nouveau : le terrain où on ne les attend plus est éteint. Guidon décide de survoller la ville en allumant les fusées de détresse de l'avion. À terre, une voiture démarre et fonce vers l'aérodrome qui bientôt s'illumine. L'avion se pose et s'immobilise. Il ne lui reste plus une goutte de carburant.

15 décembre 1924 - Noguès atteint Moscou en hiver

Pour la première fois, Maurice Noguès brave l'interdiction d'effectuer un vol commercial entre le 1er novembre et le 15 février. La compagnie Franco-Roumaine suspend systématiquement les vols à cette période en raison des conditions climatiques. Maurice Noguès a tout de même effectué un vol de reconnaissance en compagnie de Laulhé, son fidèle compagnon. Le 7 novembre, ils ont décollé du Bourget, pour se rendre à Moscou via Prague, Varsovie, Wilno, Minsk et Smolensk. Ils ont atteint ces villes dans les pires conditions météorologiques, et le froid a eu raison de leur avion trimoteur. Pendant vingt jours, ils sont restés bloqués dans la capitale soviétique, leur matériel n'étant pas adapté à un froid aussi saisissant. C'est péniblement que les deux hommes ont pu regagner l'aéroport du Bourget.

1er janvier 1925 - La CIDNA remplace la Franco-Roumaine

La Franco-Roumaine change de nom. Elle s'appellera désormais la Compagnie Internationale de Navigation Aérienne (Cidna). En effet, certains ont trouvé l'appellation trop limitée et ont décidé de l'internationaliser. Aucun changement, en revanche, pour ce qui est de la flotte et des équipages : le chef pilote Noguès reste en place et la compagnie conserve son immense réseau de 3717 km, le « plus grand réseau du monde » comme le dit la réclame. Les projets ne manquent pas : déjà l'an passé, Noguès poursuivait ses essais de pénétration de la ligne d'Orient et, très bientôt, le pilote effectuera un voyage d'étude sur Téhéran.

23 décembre 1925 - Noguès fait un voyage d'étude à Téhéran

Maurice Noguès aura joué de malchance lors de son voyage d'étude. Son Spad S-56 se retrouve en train de couler au beau milieu de la baie de Naples, mais Noguès et son équipage, repêchés, sont sains et saufs. Chef pilote de la Cidna, Noguès s'était vu confier un vol de reconnaissance vers Téhéran. Le programme de la compagnie est en effet de développer au plus vite une liaison avec l'Iran. Parti du Bourget le 18 septembre, il s'est d'abord heurté à des difficultés liées aux conflits locaux dans les pays qu'il traversait. La révolution de Turquie et la révolte des druzes en Syrie l'ont retardé, puis les autorités d'Istanbul ont refusé de le laisser poursuivre son vol. Il a fallu trois semaines de tractations pour qu'il puisse reprendre sa route. Atteint de la malaria à Alep, il atterrit à Téhéran le 10 octobre avec 40° de fièvre. À peine rétabli, il repart vers Paris avec son mécanicien Morin. Mais au-dessus de l'Italie, c'est une fuite d'essence qui est à l'origine de cet ultime accident. Noguès doit son salut à un navire danois qui lui a porté secours.


Hydravion de Noguès dans la baie de Naples

L'Illustration - Histoire de l'Aéronautique - 1938


La photo montre l'hydravion Schrerk de Noguès, amarré dans le vieux port militaire de Naples après cette panne. Notez l'emplacement des sièges passagers derrière l'aile, le poste de pilotage étant à l'avant.

Août 1926 - Hydravion peint en orange vif

En août 1926, l'hydravion FBA 23 obtient son certificat de navigabilité n° 1588 et les lettres d'immatriculation F-AIFF. Le FBA 23 de Noguès est peint en orange vif, au cas où il faudrait le rechercher quelque part en mer, perdu au milieu des vagues.

Le 17 août 1926, Noguès et son mécanicien Morin quittent Argenteuil pour Saint-Raphaël. Le 30 août, ils décollent vers l'est pour un vol de reconnaissance vers Athènes, mais ils tombent en panne d'huile moteur à Naples.


8 juillet 1930 - AULO et Air Asie créent Air Orient

S'associer pour aller plus vite et plus loin, telle pourrait être la devise des compagnies Air Asie et Air Union Lignes d'Orient. C'est en 1926 qu'Air Asie est fondée en Indochine. Elle exploite le tronçon Saigon-Kratié-Savannakhet. Vers 1929, les appareils de la compagnie poussent même jusqu'à Pnom Penh et Angkor. Air Asie est en relation avec la France par le canal d'Air Union Lignes d'Orient, dont le but est de desservir Saigon le plus rapidement possible. Quant au service postal, il n'est assuré que jusqu'à Karachi, par une compagnie étrangère. Maurice Noguès, l'organisateur des lignes françaises d'Extrême-Orient, réalise l'intérêt et le gain de temps que représenterait la fusion des deux compagnies. Air Orient est née : l'Extrême-Orient est à portée d'aile.

16 février 1931 - Air Orient dessert Saigon en dix jours

Maurice Noguès et son copilote Delaunay sont de retour de Saigon. Leur périple aérien porte un coup à l'avenir des liaisons maritimes car, en bateau, il faut trente jours pour aller de France en Indochine. Maurice Noguès réalise là le rêve de sa vie. C'est lui qui a été, au sein de la compagnie Air Orient, l'artisan de cette ligne qu'il vient d'inaugurer par un vol superbe. Rien n'avait été laissé au hasard pour l'ouverture entre la métropole et l'Indochine de cette liaison bimensuelle. Les différents tronçons de la ligne étaient tous reconnus. Noguès et Delaunay décollaient le 17 janvier de Marseille avec un hydravion CAMS 53. Arrivé à Tripoli, Noguès empruntait un Farman 300 pour gagner Karachi. Là, l'équipage changeait encore d'avion, effectuant la dernière étape avec un Fokker VII. Le 27 janvier, ils étaient reçus officiellement à Saigon. Leur voyage avait duré douze jours. Le 4 février, Noguès repartait vers la France, en songeant déjà à l'extension de la ligne vers la Chine.

Lundi 15 janvier 1934 - Le Saigon-Paris s'écrase à Corbigny

La nouvelle de la tragédie a été communiquée à Paris par le maire de Corbigny : le Dewoitine D.332 baptisé Émeraude s'est écrasé dans le Morvan. Il n'y a aucun survivant. Parti de Saigon le 5 janvier, l'avion devait rejoindre Paris. A son bord, sept passagers. Parmi eux, Maurice Noguès, animateur de cette ligne d'orient, Maurice Balazuc, directeur d'exploitation d'Air France, Chaumié, directeur de l'aéronautique civile, sa femme et, enfin, le gouverneur d'Indochine, Pasquier. L'équipage se composait du pilote Launay, du mécanicien Crampel et du radio Queyrel. Dès le retour, les ennuis mécaniques se succèdent : panne de moteur à Calcutta, avarie au train gauche à Gwadar (Béloutchistan). L'Émeraude atteindra Marseille, retardé par le mauvais temps. Noguès, malgré des prévisions météo pessimistes, décide de gagner Lyon. Puis arrive un ordre (1) du Bourget où l'arrivée de l'avion est très attendue par les officiels. Noguès obéit, l'Émeraude redécolle. Après quelques minutes de vol, l'appareil, à 1 700 m d'altitude, est pris dans la neige. Victime du givrage, il s'abat sur les monts du Morvan. Entré en service en 1933, cet avion métallique n'en est pas à son premier long voyage. Après son vol initial, il avait effectué une centaine d'heures de vol d'essai sur des lignes d'Air France. Puis Maurice Noguès et Jean Mermoz étaient partis pour une inspection de la ligne d'Amérique du Sud. Tout s'était très bien passé.

(1) L'ordre de remonter rapidement à Paris avait été donné à Noguès car il fallait célébrer sa réussite avec le retour de la mission du général Vuillemin en Afrique et on ne voulait pas déranger deux fois ces Messieurs du ministère et autres officiels


L'accident relaté par l'Illustration n°4742 du 20 janvier 1934

Mme et M Chaumié

Mme. et M. Chaumié quittant leurs amis avant de prendre place dans l'Emeraude, au départ de Marignane, quelques heures avant la catastrophe.

M. Pasquier

Avant de quitter l'aérodrome, M. Pasquier embrasse son frère.

Départ de Marseille

Le trimoteur l'Emeraude quitte Marseille lundi à 15h 10. On voit les passagers qui saluent à travers les hublots

Corbigny, le brasier

À Corbigny, à 19h 45 : Le brasier.

Corbigny, le Ministre de l'Air

M. Pierre Cot, ministre de l'Air, et M Delesalle, sous-secrétaire d'État à l'Air, devant une partie des décombres de l'Emeraude.

20 JANVIER 1934

GLOIRES ET DEUILS DE L'AVIATION

Tandis qu'au Bourget les équipages de la croisière africaine terminaient triomphalement leur randonnée, l'avion trimoteur Dewoitine Emeraude achevait tragiquement sa première liaison avec l'Indochine.

Reparti de Marignane lundi à 15 h. 10, le rapide monoplan se posait à Lyon, après avoir lutté contre une violente tempête. Malgré la nuit qui tombait, il s'envolait de nouveau pour gagner Le Bourget dans la soirée. Vers 19 h. 30, un message signalait que la machine progressait à 1.700 mètres dans une tempête de neige. Quelques minutes plus tard, des habitants de Corbigny voyaient un avion s'abattre dans une prairie, où il brûlait pendant près d'une heure...

Lorsque le brasier fut éteint, les sauveteurs, qui avaient dû renoncer jusque-là à toute tentative d'intervention, retirèrent des décombres des cadavres carbonisés et il fut bientôt établi qu'il s'agissait bien de l'Emeraude. À son bord ont péri dix personnes : le gouverneur général Pasquier, son officier d'ordonnance, le capitaine Brassut, M. Emmanuel Chaumié, directeur de l'aviation marchande au ministère de l'Air, Mme Chaumié, M. Balazuc, directeur du matériel à l'Air-France, M. Noguès, chef d'exploitation de la Compagnie, M. Larrieu, ingénieur, et l'équipage, composé du pilote Launay, vétéran du transport aérien, du radiotélégraphiste Queyrel et du mécanicien Crampe.

Dès que la triste nouvelle fut connue, M. Pierre Cot, ministre de l'Air, et M. Delesalle, sous-secrétaire d'Etat, se rendirent sur les lieux de la catastrophe et nommèrent une commission d'enquête.

Il est difficile de discerner les causes précises de l'accident qui endeuille si tragiquement l'aéronautique française et termine prématurément la carrière magnifiquement commencée de notre plus moderne avion commercial. Le trimoteur Dewoitine D-332 avait, au cours d'essais prolongés, prouvé un remarquable ensemble de qualités qui autorisaient les plus beaux espoirs. Au cours d'un vol de 2.000 kilomètres avec plus de 2.000 kilos de charge, il avait, notamment, battu brillamment trois records internationaux de vitesse ; et ici même (numéro du 16 septembre dernier) il avait été longuement étudié. Il semble que le pilote se soit trouvé dans l'obligation d'atterrir pour une raison quelconque et que la tempête l'ait empêché de mener à bien une manoeuvre rendue délicate par l'obscurité et les rafales. Peut-être aussi a-t-il heurté une de ces lignes de transport de force qui constituent un des pires dangers pour l'aviateur.

De toute manière, il faut reconnaître que l'équipement de nos itinéraires aériens est encore très insuffisant ; guidage, balisage lumineux et terrains de secours ont besoin d'être largement perfectionnés. La comparaison avec les États-Unis montre clairement combien grand est notre retard dans ce domaine cependant essentiel pour la sécurité ; un effort d'ensemble immédiat s'impose dans ce sens. Beaucoup de spécialistes s'étonnent aussi que si peu d'attention ait été apportée dans notre pays au problème du parachute appliqué à l'avion de transport. De ce côté aussi, il reste beaucoup à faire. Il existe au ministère de l'Air un « Service central de la sécurité » qu'on aimerait voir se manifester d'une manière plus efficace, quand ce ne serait que par la publication loyale des enquêtes sur les accidents ; d'autres pays nous donnent depuis longtemps un exemple qui n'a été suivi en France qu'en de très rares occasions.

La tragique nouvelle est venue jeter le deuil dans notre aéronautique, qui s'apprêtait à célébrer dignement le retour triomphal de la croisière africaine. Quelques heures avant la chute de l'Emeraude, les vingt-huit biplans du général Vuillemin survolaient Paris dans un ordre impeccable, malgré le ciel hostile ; dans la bourrasque, ils se posaient au Bourget, où les accueillaient les plus hautes personnalités de l'État. Le président de la République remettait lui-même les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur aux généraux Barès et Vuillemin au cours d'une prise d'armes où de nombreuses décorations étaient conférées. Après plusieurs discours magnifiant le succès de la croisière africaine, les équipages traversèrent Paris en cortège pour se rendre à la réception du conseil municipal, à l'hôtel de ville, et au banquet offert par le ministre de l'Air.

R.J. M.
Merci à Franck Roumy pour ce document

Monument commémoratif de Corbigny

Monument comméroratif de Corbigny

La « Ligne » Paris-Saigon

La ligne Paris Saigon tracée par Noguès en 1932 sera suivie jusqu'en 1966 par les Lockheed Super Constellation d'Air France : Paris, Rome, Téhéran, Karachi, Bangkok et Saigon, avant d'effectuer les vols directs par des appareils à réaction en 1967.

Le 29 mai 2004 fut inauguré le monument enfin restauré qui avait été érigé en 1935 à la mémoire de l'avion Émeraude. Victime du mauvais temps en janvier 1934, il avait entraîné dans sa chute sur une colline de Corbigny, dans la Nièvre, ses dix occupants parmi lesquels Maurice Noguès, pionnier de la ligne d'Orient, des dirigeants d'Air France et de l'aviation civile et militaire.

Grâce à l'initiative de l'Association de l'Avion Émeraude et à la participation de la municipalité, ainsi que de nombreuses associations aéronautiques dont l'Amicale et le musée Air France, le monument, endommagé par les années, a pu retrouver son allure d'origine.

La cérémonie a eu lieu en présence du représentant du Conseil régional, du maire de Corbigny, de la fille et du petit-fils de Maurice Noguès, des descendants des victimes ainsi que des responsables des associations aéronautiques.