LES PERLES DE Mrs COREY ont été volées par son chauffeur qu'on arrête
Villegénis, avec ses frondaisons majestueuses, ses sous-bois profonds et ses vastes pelouses a perdu cet aspect mystérieux que l'étrange vol dont fut victime Mrs Corey lui conférait depuis quelques jours. On se doutait, en effet, qu'en un petit coin du parc immense avaient été enfouies les douze perles détachées par une main inconnue du collier de la milliardaire le lundi 4 juin où elle partit pour Londres. Mais c'eût été une entreprise vaine que de vouloir les chercher sous les ronces, dans les taillis ou parmi les herbes folles. Or, à la suite de diverses circonstances que nous avons relatées, huit des douze perles ont été retrouvées ; elles l'ont, d'ailleurs, été par celui-là même qui les avait volées et cachées, le chauffeur Auguste Boueilh, âgé de trente-cinq ans, natif du Gers, père de quatre enfants et au service de Mrs Corey depuis Corey depuis cinq mois. Les quatre perles manquantes ne tarderont pas à être découvertes, car elles ont été cachées au même endroit. C'est en raison des allées et venues d'autos, ou de voitures, qui tassent la terre, qu'on n'a pu jusqu'à présent les trouver.
Les perles retrouvées
On se souvient que, samedi dernier, une confrontation avait eu lieu entre Mrs Corey et sa principale domestique, confrontation au cours de laquelle la milliardaire avait formellement accusé sa servante du vol ; les antécédents de celle-ci autorisaient tous les soupçons. Toutefois aucun aveu - et pour cause - n'avait clos cette confrontation mouvementée. « Si lundi l'on n'a pas retrouvé les perles, avait alors dit à la domestique M. Gabrielli, commissaire à la première brigade mobile, je vous fais arrêter ». Le lendemain dimanche, vers 9 heures du matin, la femme de chambre de Mrs Corey, l'Italienne Clotilde Bagnoli, annonçait à l'office que, si l'on retrouvait les perles, « Madame retirerait sa plainte ». Une heure plus tard, le chauffeur Auguste Boueilh faisait savoir à sa patronne qu'il venait de découvrir huit perles dans une touffe d'herbe devant le garage. Il était en train d'arranger son auto, déclara-t-il ; se mettant à genoux, il aperçut soudain une petite boule laiteuse qui luisait faiblement dans l'herbe. C'était une perle. Grattant alors la terre, il en découvrit bientôt sept autres.
Ces perles avaient vraiment, si l'on ose dire, l'esprit d'à-propos. Un hôte de Mrs Corey, le duc Francesco d'Ordès, à l'égard de qui certains journaux firent des allusions pour le moins désobligeantes, téléphona aussitôt à M. Gabrielli pour lui faire part de la trouvaille. Et, hier matin, le commissaire se rendait à nouveau au château de Villegénis.
En sa présence, le chauffeur Boueilh expliqua de nouveau comment il avait découvert les perles et bénit un hasard si providentiel. M. Gabrielli crut néanmoins nécessaire de marquer un certain étonnement, puis de douter. Boueilh se troubla, s'embrouilla dans ses explications. Lorsqu'on insinua qu'il pouvait bien être le voleur, il se défendit, notant qu'il n'avait pas eu l'occasion de voler le collier. Clotilde Bagnoli, que M. Gabrielli avait fait appeler, lui rappela qu'à la gare du Nord il était resté seul un instant et que Mrs Corey lui avait même recommandé ses bijoux.
Les aveux du voleur
Alors le chauffeur entra dans la voie des aveux.
« Eh bien, oui, c'est moi, dit-il, Le lundi 4 juin je suis en effet resté seul sur la voiture, devant la gare du Nord, pendant que Mrs Corey et ses hôtes allaient prendre les billets. J'avais la mallette à côté de moi, mais elle ne contenait plus qu'un collier ; l'autre, je venais de l'apercevoir sur le plancher de l'auto, où il était tombé. »
« À ce moment-là j'ai songé qu'en le vendant je pourrais améliorer le sort de mes quatre jeunes enfants et de mes vieux parents. Et lorsque Clotilde est revenue prendre le sac, je n'ai rien dit. Je suis retourné avec l'auto à Villegénis, j'ai mis le collier dans la poche de mon manteau de chauffeur et je suis rentré à Paris. Le manteau est resté au garage. Le surlendemain mercredi, j'ai mené la voiture à Palaiseau, pour faire réparer les freins. Jusqu'au samedi le collier est encore resté dans mon manteau. Mais, pendant ce temps, j'avais appris le bruit fait autour de sa disparition et surtout sa grande valeur, dont je ne me doutais pas. »
« Je résolus alors de ne prendre que quelques perles ; j'en détachai les plus grosses, je les enterrai devant la remise. Le samedi, en arrivant au garage de Palaiseau, je pénétrai dans la voiture, j'y déposai le restant du collier quelques minutes après je faisais mine de le découvrir, comme vous le savez, en présence du garagiste. Le jeudi suivant je racontai ce vol à ma femme. Mais elle ne voulut pas accepter le cadeau que je voulais lui faire. Je lui déclarai alors que j'allais tout avouer. Aussitôt elle me menaça de se noyer avec nos quatre enfants. Je me tus. Cependant samedi, en apprenant que la domestique innocente était accusée et menacée d'être arrêtée, je décidai d'en finir. J'espérais qu'en paraissant découvrir les perles on ne me soupçonnerait pas. C'est tout. Maintenant, faites de moi ce que vous voudrez. Je suis un pauvre homme. Ayez pitié de ma famille. » Et ce disant Boueilh éclata en sanglots,
L'après-midi le chauffeur a été conduit dans les locaux de la brigade mobile, ou il a subi un second interrogatoire. Il sera transféré aujourd'hui à Corbeil. Avec tous les ménagements, sa femme, dont l'innocence est établie, a été prévenue à son domicile, 11, rue de Liége. Et c'est ainsi que devint voleur ce malheureux et sans doute honnête homme, qui coudoyait journellement la vie opulente et fastueuse, alors que l'indigence régnait à son foyer.