Spécialisation aéronautique : élèves de 3e année travaillant sur avion
Curieux Vilgénis. À côté du château de style — dont il faudra bien que France-Aviation vous raconte un jour l'histoire — les bâtiments de bois de l'internat des apprentis et des salles de classe font penser, avec leurs galeries couvertes qui les unissent l'un à l'autre, à quelque monastère tibétain.
Ce ne sont pourtant pas des personnages méditatifs ou plongés dans la contemplation qui y déambulent d'ordinaire et encore moins ce 1er juillet 1960, jour de la distribution des prix de fin d'année.
Dans le quadrilatère de la cour d'honneur, des bancs sont rangés en amphithéâtre, face à une rangée de chaises placées à l'ombre d'une des galeries ; entre eux, une longue table supporte un sympathique fardeau : livres aux couvertures bariolées, ustensiles de sport, terrestre ou maritime, appareils photographiques qui vous fixent d'un œil noir. Il y a aussi un micro, instrument inséparable, de nos jours, de toute manifestation digne de ce nom.
Les invités arrivent, par petits groupes, et se mêlent aux Vilgénissiens (pardon si ce n'est pas comme ça qu'on dit.) Les hautes autorités de la Compagnie, les fonctions et les organismes qui contribuent ou s'intéressent au C.I.V. (devenu, depuis peu, DM.ZC.) sont, cet après-midi, représentés. Tâche ardue pour le chroniqueur que de recenser et de citer tous ceux qui sont là aujourd'hui ; aussi, s'excuse-t-il d'avance de devoir pécher par omission.
Circulons parmi les présents, que guette de loin le groupe des jeunes, rassemblés avant de gagner leurs places et qui lorgnent l'étalage des prix.
M. Dabry, conseiller aux Relations extérieures, mène une conversation animée avec M. de Micheaux, chef du département « Bases et Bâtiments » et M. Sarrazin, président de l'Amicale des Anciens, qui ne manque jamais une distribution de prix à Vilgénis, unissant ainsi symboliquement l'alpha et l'oméga de la maison. D'autres se rencontrent ici qui ne s'étaient vus de longtemps et que de semblables cérémonies rapprochent ; ajoutez à cela que cette solennité scolaire réveille les souvenirs ensevelis sous des années de bureau, d'atelier ou de vol et rajeunit les cœurs d'adultes.
Initiation aux travaux professionnels spécialisés : élèves de 2e année devant la maquette d'instruction sur circuit hydraulique de base
Les représentants du Comité central d'Entreprise, MM. Ciceron et Walter, discutent colonies de vacances avec le délégué de la direction du personnel ; MM. Reynaudet et Cappoen, venus tous deux avec M. Sichez au nom de la division d'instruction du PN, croisent MM. Rivière et Cassou, de la direction du matériel. Les cadres du Centre, parmi lesquels MM. Luce, Crivelli, Vincensini, se sont partagé la tâche d'accueillir et de piloter les arrivants, et font les présentations, tandis que les instructeurs contemplent de leur côté, la table couverte de prix en se disant sûrement — en quoi ils ont mille fois raison — qu'ils les ont bien mérités, eux aussi.
Bientôt, tout le monde a gagné sa place et le micro commence son service.
Il fait, phénomène digne de remarque en ce mois de juillet maussade, un temps radieux et le soleil, un moment complice des jeunes talents, réchauffe le cœur des adolescents qui lui font face, mais les éblouit quelque peu !
Tous les discours de prix se nourrissent du passé et débouchent sur l'avenir. Le président de la Compagnie, M. Max Hymans, se plie volontiers à cette règle bien connue et, après avoir évoqué la course récente du progrès sous toutes ses formes, qu'il oppose à cet état du monde que connut sa jeunesse et qui nous semble aujourd'hui dépassé, il exhorte ses jeunes auditeurs à la persévérance devant les inévitables routines quotidiennes qui les attendent et les met en garde contre les dangers du recours aux voies trop faciles.
Les visages adolescents sont attentifs ; ils savent pourtant se détendre lorsque M. Hymans, délaissant un instant les propos sévères, évoque pour eux ces abréviations irrespectueuses par lesquelles les jeunes désignent, de nos jours, leurs aînés ; cas abréviations ne figurent cependant pas dans la liste des sigles utilisés par les compagnies d'aviation ! Il est vrai que le président est père de famille.
Le moment impatiemment attendu de la distribution arrive et le micro retentit de la lecture du palmarès, que M. Picassette, sous-directeur de la « Production » à la direction du matériel, suit attentivement.
M. Émile Delclaux, directeur financier, qui vient d'être grand-père, regarde en souriant ces gaillards à la moustache naissante qui, intimidés, viennent saluer « les autorités » en faisant de l'équilibre avec leurs prix.
Et voilà. Les derniers livres sont remis, déjà les appareils photographiques s'essayent (à vide). Il va falloir se séparer.
Pas avant d'avoir participé au traditionnel vin d'honneur, pourtant.
Un élève de 4e année (instruments de bord) travaillant sur un tour d'horloger.
Tandis qu'invités et organisateurs se dirigent vers le buffet, n'oublions pas les choses sérieuses ; à l'issue de cette cérémonie, la part étant faite au divertissement et à l'ambiance souriante, il n'est pas mauvais de réfléchir à ce que consacre une telle manifestation et à quoi elle prépare : je tire par la manche le chef du Centre et l'entraîne vers les allées couvertes ; tandis que nous y déambulons à notre tour, je lui pose les questions que j'avais notées pendant les discours.
— J'ai entendu parler à plusieurs reprises, tout à l'heure, des difficultés que rencontreront vos jeunes en abordant leur carrière. Cela vient-il de ce qu'ils n'ont pu apprendre ici tout ce dont ils auront besoin ?
— Certes, car il est bien évident que le diplôme de l'école ne saurait suffire à tout. Pourtant, s'ils rencontrent plus tard des difficultés, je crois qu'ils en rencontreront moins que ce n'a été le cas pour leurs aînés.
— Pourtant l'exercice de ces métiers spécialisés devient de plus en plus complexe ?
— C'est exact, mais seulement dans les niveaux supérieurs de la qualification. Non au début. Et l'école s'efforce depuis déjà plusieurs années d'ajuster son enseignement à cette évolution, en vue de préparer nos jeunes gens — pour lesquels on nous reproche du reste souvent d'être trop ambitieux — à s'élever plus tard jusqu'à ces niveaux. Dans les premiers échelons de la hiérarchie professionnelle, ils devraient maintenant s'adapter aisément ; et de fait il doit bien en être ainsi, si j'en juge par les appréciations que porte sur eux l'encadrement des divisions et des centres industriels.
À côté des nombreux prix de fin d'année récompensant les élèves les meilleurs dans les diverses matières enseignées se distinguent traditionnellement :
— Il n'en a donc pas toujours été de même pour leurs anciens ?
— Beaucoup de leurs anciens n'ont pas été accueillis avec sympathie dans leurs débuts, il n'est que juste de le rappeler — ne serait-ce que parce que toute faute du passé comporte une leçon à ne jamais oublier pour l'avenir. Mais voilà plusieurs années, heureusement, que pour les apprentis, l'accueil n'est plus un vain mot — et vous savez toute la part qu'y a prise M. Vaillant dans les ateliers et aux hangars. Puis, il arrivait assez souvent, sous la prétendue pression des « nécessités immédiates de l'exploitation », qu'on utilise très vite — sinon même dès le départ — un jeune ouvrier dans une autre spécialité que celle pour laquelle Vilgénis l'avait formé : ce qui partait peut-être d'une idée flatteuse sur les facultés d'adaptation des apprentis issus de l'école, mais oubliait totalement que ceux-ci ont D'ABORD une expérience professionnelle véritable à acquérir, en se qualifiant sur les matériels en service, c'est-à-dire en appliquant au cas particulier de ces matériels les connaissances de base enseignées par l'École.
Une première condition eût été évidemment de ne pas les changer tout de suite de spécialité — sans même parler des conséquences morales qui pouvaient en résulter. Certains échecs de carrière, certaines « stagnations » dans les premières échelles à salaire horaire n'ont pas eu d'autre cause, une cause qui n'est en rien une excuse du reste.
Spécialisation aéronautique : élèves de 3e année travaillant sur un moteur.
— Vous avez parlé des exigences immédiates de l'exploitation. Le plus simple n'était-il pas d'y soustraire ces jeunes gens à leur sortie de Vilgénis ?
— Vous avez entièrement raison et c'est ce que nous avons obtenu du directeur du matériel. Il est admis depuis 1958 que les apprentis doivent être uniquement affectés, jusqu'à leur départ au service militaire, dans les divisions et centres de grand entretien des avions ou de révision des équipements. J'ai toujours pensé que c'était là et là seulement qu'ils pouvaient trouver la source de cette expérience qui, de toute manière, leur demandera plusieurs années de perfectionnement progressif ; ils n'ont aucune chance d'apprendre efficacement leur métier dans le cas d'une affectation prématurée aux services de petit entretien d'exploitation.
— Autant que je sache, ils réussissent assez bien dans l'ensemble ?
— Jugez-en : ils sont près de 800, dont environ 650 sortis de Vilgénis depuis 1946.
Une centaine sont actuellement sous les drapeaux. De mémoire, je puis vous dire que, parmi les autres, près de 70 sont devenus mécaniciens navigants, une douzaine pilotes et commandants de bord, plus de 100 ont accédé à des fonctions de maîtrise. Bien plus de la moitié de ceux qui sont en activité de service dans les emplois à salaire horaire sont déjà parvenus aux niveaux des professionnels hautement qualifiés des échelles 7 ou des metteurs au point des échelles 7 A/7 B ; cela signifie, en bref, qu'en règle quasi générale il y sont parvenus avant la trentaine. Mais nous avons obtenu mieux ! Nous pensions en effet que, malgré tout, la Compagnie ne favorisait pas, autant qu'il était souhaitable, leur début de carrière.
- Voulez-vous dire par là que ce début sera dorénavant accéléré ? Ou qu'il sera rendu plus aisé ?
— Plus aisé, non, en ce sens que rien n'est changé pour eux à cette double obligation de faire le maximum pour s'adapter à l'évolution des professions et faire la preuve de l'efficacité de la formation qu'ils ont reçue. Mais pour ceux qui, par leur travail, reçoivent le diplôme de l'École — et c'est la grande majorité, rassurez-vous — nous avons obtenu que les examens de promotion des échelles 7 soient désormais ouverts « hors quota » dans des conditions qui leur permettent normalement d'accéder à cette échelle vers l'âge de 24 ans, parfois même avant. J'ajoute qu'ils sont formés par l'école en vue des nouvelles filières aéronautiques récemment définies par les deux directions du Matériel et du Personnel, filières auxquelles, comme vous savez, s'attache une hiérarchie propre, justifiée par la technicité accrue qu'elles impliquent.
Un auxiliaire inattendu de la mécanique : le judo, école de sang-froid et de maîtrise de soi, est pratiqué à Vilgénis où la culture physique et le sport ont droit de cité.
Il me semble donc que les anciens apprentis, à ce double titre, ont bien maintenant un tremplin, si j'ose employer cette image.
À eux de savoir l'utiliser pour sauter le plus loin possible. en prenant le maximum d'élan, bien sûr.
Qu'ajouter à ces sérieux propos, en cette fin d'année studieuse, alors que s'achève une journée ensoleillée, tandis que plusieurs dizaines de jeunes gens bouclent les valises avant de profiter d'un repos bien gagné, sinon : « Bonnes vacances ! » Et aussi pour ceux qui vont quitter l'école et s'attaquer au difficile métier d'homme.
Mais il paraît que « ça ne se dit pas ».
C'est pourquoi je me borne à penser le souhait que pour eux, chacun à sa façon, nous formulons tous !
B. R.
MÀJ : 2 décembre 2024
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