Nous avons déjà présenté à nos lecteurs Gilles et Joël Arronsart, journalistes de douze et quatorze ans. Il nous a semblé que ces reporters étaient, en raison de leur âge, tout désignés pour décrire une école de jeunes.
Aux environs immédiats de Paris, à l'orée de la célèbre vallée de Chevreuse, une splendide propriété de soixante-huit hectares abrite le Centre de Formation de l'Aviation commerciale française.
Le château de Vilgénis a son histoire : construit sur l'emplacement d'une antique villa « gallo-romaine », la villa Johannès, il appartint, au XVIIIe siècle, à la princesse de Sens. Puis cette résidence revint au prince de Condé, devint un rendez-vous de chasse et fut vendue pendant la Révolution... En 1852, enfin, elle fut achetée par le plus jeune frère de Napoléon-Bonaparte, Jérôme, roi de Westphalie, gouverneur des Invalides. Après divers propriétaires, Vilgénis, occupé par les Allemands et saccagé, devait devenir le Centre de formation du personnel à terre et volant, des mécaniciens navigants et des hôtesses de l'air.
L'étude du moteur
L'école fonctionne depuis près de deux années ; elle abrite deux cents jeunes, qui s'apprêtent à franchir les premiers échelons du métier qu'ils apprennent avec une conscience extraordinaire. Alors que, partout ailleurs, les jeunes profitent de leurs loisirs du jeudi, ceux de Vilgénis construisent des maquettes et se réunissent pour perfectionner, au contact des anciens, leurs connaissances. Leur existence s'écoule dans ce qu'ils appellent leur « village » : une dizaine de chalets de bois, avec des toits rouges, groupés autour du drapeau d'Air France, dans un parc sillonné par des allées qui portent les noms glorieux de Jean Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet.
Il y a de nombreux ateliers pleins de moteurs immenses sur lesquels les élèves travaillent d'une manière pratique et étudient chaque pièce l'une après l'autre. Et, le plus extraordinaire, ce fut de découvrir, en plein parc, bien abrités, deux avions, un Goéland et un Dewoitine. Nos jeunes camarades nous expliquèrent comment ils font tourner les moteurs au point fixe ou fonctionner le train d'atterrissage, et quel précieux enseignement ils reçoivent en se familiarisant avec l'envoi et la réception des messages.
Les jeunes construisent des modèles réduits
Après les leçons d'ajustage dans les ateliers, après l'étude des réseaux aériens du monde, de l'histoire et des inventions modernes, les jeunes nous parlèrent de leurs activités personnelles. Elles sont très variées : certains font de la photographie, d'autres ont monté dans le parc de soixante-huit hectares une petite station météo, se livrent aux joies de collections diverses, construisent des modèles d'avions réduit ou vont faire du vol à voile.
L'école de pilotage
Le sport a sa place à Vilgénis : quatre heures de gymnastique par semaine : piscine, volet-bail, terrains de sport nombreux. Le cinéma sert de moyen d'instruction et de distraction. Les cours d'anglais ont lieu sur un écran et cela facilite la bonne prononciation ; tous nous parlèrent de projections auxquelles ils assistent avec intérêt, et concernant les nuages, les hélices, le vol à voile, l'acier, et toutes autres choses sérieuses auxquelles sont parfois mêlés des films de Walt Disney.
Les hôtesses de l'air travaillent en plein air
Dans une salle du château, et en plein air, nous assistâmes, Joël et moi, à une classe faite à de nombreuses demoiselles et qui toutes se destinent au rôle d' « hôtesse de l'air ».
Elles arrivent le matin à Vilgénis et rentrent à Paris le soir.
De tous ces élèves, aucun n'avait encore quitté le sol autrement qu'en vol à voile ; mais ils paraissaient tous joyeux de travailler sur deux vrais appareils à terre et semblaient aussi fiers que de grands aviateurs.
Nous demandâmes à l'un d'eux, dont le prénom était Albert, et qui venait de terminer un modèle réduit, baptisé Gaby, si sa vocation était définitive.
- Depuis l'âge de six ans, avoua-t-il, je ne rêve que de voler et, en fabriquant de mes mains de petites maquettes, je me prépare aux aventures lointaines.
Le soir venait, et l'ami de Mermoz, M. de Martinoff, ému, leur déclara :
- Soyez dignes de celui qui créa la liaison France-Amérique du Sud et, surtout, conservez l'esprit de la ligne, car vous appartenez maintenant à la grande famille de l'air.
La vie que mènent les élèves dans le château et le parc de Vilgenis a beaucoup intéressé les jeunes reporters. Et ceux-ci ont interrogé les futurs spécialistes qui leur ont fait les récits suivants. Récits parfois puérils d'écoliers, mais où perce beaucoup d'enthousiasme.
- Trois semaines se sont écoulées depuis notre arrivée, par un matin froid et brumeux, dans cette magnifique école de Vilgenis qui sera nôtre trois ans durant. Tout fut pour nous sujet à émerveillement : le splendide parc, les chalets qui allaient devenir notre habitat...
» Le travail proprement dit ne commença qu'au bout de huit jours. Nous fîmes alors la connaissance avec nos professeurs et apprîmes à manier la lime. Le premier dimanche fut attendu avec impatience par chacun de nous, car nous brûlions de conter à nos parents les premières journées passées à l'école.
» La semaine suivante fut fertile en événements imprévus. Nous apprenons que nous allons visiter Orly. Grande joie pour nous, hurlements, enfin, bref, un concert de cris. Nous avons visité des hangars et certains appareils D.C.4, puis assisté à l'atterrissage et au décollage d'un avion. Nous rentrâmes, notre après-midi bien remplie, en entonnant des chants de joie. Le soir, séance de cinéma. »
- La leçon sur le filetage commençait lorsque le banc d'essai se mit à ronfler. Notre professeur, surpris, s'arrêta une seconde, puis amplifia sa voix ; mais, brusquement, comme synchronisé, le moteur gronda plus fort et, chose bizarre, chaque fois que notre professeur renforçait sa voix d'un ton, le moteur, littéralement déchaîné, tournait, ronflait de plus en plus fort. Alors notre maître, s'avouant vaincu, s'arrêta, le moteur s'arrêta, tout tomba dans le silence, puis un éclat de rire général salua cette interruption.
- La semaine dernière, un moniteur nous montrait la tenue du marteau et l'usage du burin ; dans sa démonstration, il frappait comme un forgeron, lorsqu'un des tire-fonds céda et le professeur se frappa avec violence, niais ne s'impressionna pas pour si peu, et se mit en devoir de fixer l'étau. Les élèves, eux, faisaient des essais plus timides ; et la plupart, bien que prudents, se frappaient néanmoins sur les doigts. Aussi, à la récréation. nombreux étaient ceux qui regardaient leurs mains meurtries et disaient en plaisantant : « C'est le métier qui rentre » ; l'un d'eux dit même à son camarade : « Si tu ne veux pas te frapper sur les doigts, prends ton marteau à deux mains. »
» A la rentrée, les apprentis, dont le courage ne se trouvait pas amoindri pour cela, prirent de l'assurance et les coups devinrent plus précis et redoublèrent de violence. »
Gilles et Joël AVRONSART.
Photographies Avronsart
Façade du château de Vilgénis
MÀJ : 4 juillet 2024
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