Pourquoi ne l'avouerais-je pas ? J'étais certain avant de visiter Vilgénis que j'allais voir un autre de ces centres de formation professionnelle qui sont tout à la fois l'annexe et l'antichambre de l'usine. Je ne pouvais nourrir d'idée plus fausse.
Aux abords de la vallée de Cheyreuse, près d'Igny, s'étend sur 70 hectares, le domaine de Vilgénis qui connut ses plus beaux jours sous l'Empire.
C'est dans ce cadre inattendu que la compagnie Air France forme ses apprentis. Mais surtout — je devais l'apprendre à l'occasion de cette visite — c'est là qu'elle reprend périodiquement en stage de perfectionnement une part de son personnel à terre et de son personnel navigant.
Cest en 1946 qu'Air France décida de regrouper les quatre écoles d'apprentissage qui, sous la responsabilité des chefs de centre, fonctionnaient tant bien que mal au Bourget, à Marignane, à Toulouse et à Alger et formaient une cinquantaine d'élèves. Encore ceux-ci n'étaient-ils pas spécialisés.
Cependant les besoins d'une entreprise, qui utilise quelque 6000 personnes dans ses ateliers étaient loin d'être satisfaits pour autant et Vilgénis, conçu d'abord comme centre d'apprentissage, fut bientôt chargé de prendre en stage des ouvriers adultes recrutés à l'extérieur et d'assurer leur qualification préalablement à leur embauche définitive.
La pratique de ces stages devait rapidement s'étendre. Pour des périodes variant de quatre à cinquante semaines, Vilgénis fut amené progressivement à accueillir certains agents dont la formation, ancienne, n'était peut-être plus tout à fait suffisante et d'autres qui, ayant déjà une spécialité, souhaitaient en acquérir une seconde. Ces stages furent aussi étendus au personnel de maîtrise.
Cependant l'aviation évoluant rapidement et le parc de la compagnie nationale se trouvant renouvelé par l'apport de matériel nouveau, il fallait que, la qualification technique de la main-d'œuvre évoluât de pair. Il fallait que, sans heurt, le personnel pût passer d'appareils anciens à l'entretien d'un matériel nouveau. Là encore, des stages s'instituèrent pour chaque type de matériel, pour chaque spécialité.
Ce qui était vrai pour le personnel à terre, l'était au même titre pour le personnel navigant. Certains mécaniciens souhaitaient d'ailleurs passer de l'une à l'autre catégorie, et ceux d'entre eux reconnus aptes à le faire, eurent à Vilgénis l'occasion d'acquérir en près d'un an le complément de qualifications indispensable.
De même, pour passer sur un appareil nouveau, mécaniciens en vol, pilotes, commandants de bord reçurent eux aussi à Vilgénis l'instruetion théorique et technique préalable aux vols d'entraînement.
L'ampleur et la diversité des tâches ainsi assumées progressivement par le centre devait amener toute une vie nouvelle à s'installer dans le parc de Vilgénis, toute une activité que les arbres centenaires et les murs largement ébréchés ne parviennent plus à cacher.
Au gré des allées plus ou moins défoncées nous croisons des élèves, les uns en short se rendant au terrain de sport, les autres quittant les salles de cours et ateliers, qui ont été spécialement installés pour eux dans une dizaine de chalets de bois. Ajustage, électricité, dessin industriel, travaux sur métaux en feuille, mécanique moteur, autant de matières qui leur sont ici enseignées au cours des trois années que dure l'apprentissage.
Ces jeunes sont recrutés à raison de 75 environ tous les ans. Outre les connaissances techniques de base, le concours d'admission exige une instruction générale du niveau d'un solide certificat d'études. De plus, certaines épreuves physiques sont éliminatoires.
Le sport en effet (et le sport aérien) tient une place importante dans la vie des jeunes apprentis de Vilgénis.
Le régime de l'école est celui de l'internat. La pension longtemps gratuite est aujourd'hui payante, mais des bourses importantes peuvent être accordées dans certains cas aux fils d'agents et aux pupilles de la nation. A sa sortie de Vilgénis, l'apprenti ayant satisfait aux examens de fin de stage et à l'essai professionnel Air France, sera classé P.1 et sa rémunération mensuelle sera de l'ordre de 38 000 francs.
Tout en cheminant dans ce parc immense, écoutant les explications du guide enthousiaste (et combien patient) que j'ai trouvé en la personne de M. REBEYROL, nous nous sommes insensiblement rapprochés des communs du château. D'anciennes écuries enserrent une cour carrée, sonore, toute dallée de pierres et plus évocatrice, il faut bien en convenir, des équipages de l'Empire que des longs-courriers d'aujourd'hui. Là, pourtant sont installés, pour le bénéfice des stagiaires, divers ateliers, bureaux, magasins. Ici ont été rassemblés tous les types de moteurs utilisés par Air France. Là, ont été reconstitués les circuits hydrauliques complets des DC-3, des DC-4, des Lockheed-Constellation ; dans certains cas des circuits commandent même les éléments complexes d'un train d'atterrissage.
Electricité ? Tout est là encore, expliqué, « décortiqué », sur d'immenses panneaux mobiles. Pour le bénéfice de ceux qui les utilisent sans avoir jamais l'occasion « d'y aller voir », les équipements de bord, vidés de leur contenu, ont été reconstitués. Presque tout cela est l'œuvre du personnel instructeur, car dans ce domaine, tout était à penser, à réaliser. Tout sera encore à refaire demain quand la technique aura fait de nouveaux progrès.
Ce personnel, c'est en tout une cinquantaine d'agents de la compagnie : instructeurs de formation générale, de formation technique ou pratique. C'est peu, si l'on songe à la complexité croissante du matériel aéronautique, aux spécialisations multiples que cela entraîne et à l'interpénétration des techniques.
Avant de « lancer » les stages, une documentation toujours complétée ou renouvelée doit être rassemblée, imprimée ou ronéotypée. Le stagiaire en effet, que la compagnie, à grands frais, distrait de sa tâche régulière, et qui vient pour quelques semaines seulement à Vilgénis, doit y trouver prêts tous les moyens nécessaires au programme qu'il va suivre : non seulement les documents, mais encore les salles, le matériel. C'est ce qui fait dire au directeur de Vilgénis, M. RATTIER, qu'on « lance un stage comme on lance une production dans l'industrie ».
Le domaine mouvant, sans cesse en évolution, où s'exerce l'activité des moniteurs de Vilgénis, leur interdit toute « routine » et exige d'eux qu'ils soient toujours au courant de tout, toujours en contact avec les autres services de la compagnie. Et tout naturellement, ceci les amène eux-mêmes à faire des stages : dans le cadre de l'école, dans les centres de la compagnie, aussi bien chez les constructeurs français qu'étrangers.
Vilgénis, pour créer, doit, ainsi se recréer sans cesse.
Charles LASSAIGNE
Des moteurs savamment truqués pour reproduire à volonté tous les incident imaginables en cours d'exploitation permettent aux moniteurs de mettre à l'épreuve les mécaniciens-stagiaires. (Photo à gauche).
Des avions entiers surgissent. çà et là, aU milieu du parc, comme si leurs pilotes avaient réussi par miracle, à atterrir dans les hautes futaies. (Photo à droite).
MÀJ : 2 décembre 2024
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