Le procès de la Société des Dépôts et Comptes courants — La responsabilitè des notaires — Exception d'incompétence
Tout l'intérêt de la journée judiciaire était hier, chose assez rare, au tribunal de commerce. Ce qui est plus rare encore, c'est que la partie la plus sensationnelle des débats était relative à un ancien notaire de Paris, Me Bazin, qui a cédé, il y a quelques années, son étude à son fils.
La responsabilité des notaires est une de ces questions qui ne sauraient passer indifférentes. Elle a préoccupé le législateur elle occupe trop souvent la juridiction correctionnelle ou criminelle elle tourmente parfois le repos des innombrables clients dont la fortune est remise à la discrétion de ces officiers ministériels.
On a gardé le souvenir des incidents qui amenèrent la chute de la Société des Dépôts et Comptes courants, et on connaît le dénouement que cette affaire reçut devant le tribunal correctionnel de la Seine.
Le tribunal de commerce avait à juger, hier, un procès en responsabilité intenté par M. Bonneau, liquidateur de la Société des Dépôts et Comptes courants contre tous les administrateurs et censeurs.
Il s'agit d'une simple provision de quarante millions que ces administrateurs et senseurs devraient être condamnés solidairement à payer aux actionnaires, si la demande du liquidateur, représenté par Me Max Richard, agréé, était adoptée par le tribunal.
Nous n'avons pas à résumer la plaidoirie de Me Max Richard, dont les argumentes seront repris dans le jugement à intervenir et ont été maintes fois développés dans des affaires similaires.
Ce qui est plus instructif, c'est l'action incidente intentée par une actionnaire, Mme Leroy, contre Me Bazin, l'ancien notaire, habitant aujourd'hui le château de Villegenis, près Massy (Seine-et-Oise), qui fut la résidence du roi Jérôme-Napoléon.
Nous laissons la parole à Me Quérenet, avocat de Mme Leroy.
Voici comment il soutient la cause de sa cliente.
Un arrêt de la cour de Paris, en date du 7 janvier 1892, établit qu'il y a eu « collusion », c'est-à-dire entente frauduleuse, entre la Société des Dépôts et Comptes courants et M. Blanchard, alors directeur du Crédit viager, pour amener la vente de l'hôtel Continental à un prix exagéré. Cette opération aurait causé à la Société des Dépôts un préjudice de six millions.
Or, Mme Leroy prétend établir que le notaire Bazin, qui a reçu cet acte de vente, était le complice de la « collusion » visée par l'arrêt de la cour, et qu'à ce titre il est responsable des six millions perdus par les Dépôts et Comptes courants.
Me Quérenet trace de Me Bazin un portrait vraiment peu flatté :
« Me Bazin est un ancien notaire; il n'est pas cependant un notaire honoraire, car l'honorariat lui a été refusé par ses pairs, Pourquoi ?
Le parquent du procureur général et la chancellerie pourraient peut-être on fournir les raisons.
La cause première se trouve dans un arrêt de la cour d'assises de la Seine do 1882, qui relevait certains faits très graves pour Me Bazin.
Cinq jours après cet arrêt, la chambre des notaires prononçait contre lui la censure.
Plus tard, elle le forçait à renoncer à une participation dans le jeu de Monaco.
Voilà l'ex-notaire Bazin. »
Me Quérenet explique ensuite comment fut mêlé Me Bazin à l'affaire de l'hôtel Continental et il se demande comment, à la date du 23 mai 1881, il put passer un acte de vente de 20 millions au profit d'une société au capital de 5 millions.
Dès 1880, le financier Blanchard avait conçu le projet de mettre la main sur le Crédit viager. Il voulait en faire l'annexe de la Grande Compagnie.
Il s'engagea reconstituer le Crédit viager, qui était près de sombrer. Mais, en retour, cette société s'obligeait à acheter l'hôtel Continental ou les actions de cette Société pour une somme de 18 400 000 francs et à faire un bail d'une durée do soixante ans, moyennant le prix annuel de 950 000 francs.
A la même date, M. Blanchard faisait une convention annexe avec M. Donon, président de la Société des Dépôts.
A la suite de ces conventions, la Société anonyme de l'hôtel Continental voyait son conseil d'administration donner sa démission, le nouveau conseil, tout dévoué à Blanchard, autorisait l'aliénation des actions de l'hôtel et son bail.
Le même jour, la Société fermière de l'hôtel Continental était constituée au capital de 13 millions, représenté par 6500 actions, et la Société anonyme lui donnait l'hôtel à bail pour soixante ans à raison de 950 000 francs par an.
Quatre jours plus tard, le conseil d'administration du Crédit viager démissionnait et était remplacé par d'autres membres dévoués à Blanchard, qui en devenait le président.
Tout ceci se passait entre les 24 et 29 juillet 1880.
Et le 12 août, le Crédit viager achetait l'hôtel Continental pour 18 500 000 francs.
Sept millions furent payés à la Caisse des Dépots le 4 septembre 1880, et le 18 avril 1881 seulement l'assemblée générale des actionnaires ratifiait cet acte de vente.
Malgré toute cette série d'actes qui décelaient la fraude, le notaire Bazin dressa l'acte de vente de l'hôtel Continental au Crédit viager le 28 mai 1881, ce qui lui rapporta 25 000 francs d'honoraires.
S'il avait lu le dossier de l'affaire, comme c'était son devoir, il aurait vu que dans le bilan de 1879 de la Société anonyme de l'hôtel Continental, l'immeuble n'était évalué que 12 millions.
S'il avait lu le bail de l'hôtel Continental consenti par la Société anonyme à la Compagnie fermière, il aurait vu que cet acte contenait de nombreuses clauses relatives au Crédit viager qui, à l'époque, n'avait cependant aucun droit de propriété sur l'immeuble.
Dans ces conditions, conclut Me Quérenet, Me Bazin – tout le prouve – n'a été qu'une machine à écrire. Il a été le complice de la fraude organisée et concertée entre Blanchard et Donon.
Et, en terminant sa plaidoirie, il se demande comment il se fait que Bazin, sous-locataire de Blanchard, ait été choisi pour dresser cet acte singulier, lui qui n'était le notaire ni du Crédit viager, ni des sociétés de l'hôtel Continental, ni des sociélés auxquelles Blanchard s'intéressait.
Il demande, en conséquence, la condamnation de l'ex-notaire Bazin au paiement de six millions, montant de la perte subie de ce chef par la société des Dépôts et Comptes courants.
Me Meiguen, agréé, se présentera aujourd'hui pour Me Bazin et se coutentera de plaider l'incompétence du tribunal de commerce
Hier, à trois heures et demie après midi, a eu lieu, au Père-Lachaise l'inhumation de Mme Bazin, femmedu notaire de Paris qui eut son heure de célébrité, il y trente ans
Le 9 février 1866, au fameux bal des cinq parties du monde, au ministère de la marine, MmeBazin fit son entrée, en reine de Madagascar, montée sur un dromadaire.Elle était fort belle et jolie à ravir, et elle fit sensation.
Elle est morte, il y a deux jours, au château de Villegénis, où est mort en 1860 le roi Jérôme. Elle aviat soixante et un ans, et elle était belle encore.
Le service a eu lieu, hier matin, à l'église de Massy, dont dépend Villegénis, et l'inhumation, comme nous venons de le dire, l'après-midi au Père-Lachaise.
Mme Bazin était la fille du célèbre M. Giroux, dont les magasins étaient si à la mode sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet.
NOTICE
SUR LE CERCLE
DES CHEMINS DE FER
Comme son litre l'indique, le Cercle des Chemins de fer fut fondé, en 1854, sons le patronage et avec le concours des Compagnies de chemins de fer.
Détail à noter, le Cercle n'a jamais changé de local, et il est luxueusement installé dans l'immeuble choisi par ses fondateurs au coin de la rue de la Michodière et du boulevard des Italiens.
Son premier président fut S.E.M, le duc de MORNY, qui eut pour successeur un autre ministre de Napoléon III, S.E.M. DROUYN de LUUYS.
Apres lui, la présidence fut successivement occupée par M. HENRY DAVILLIER, M. GROROKS OSMONT et M. le comte Louis de SÉGUR, président actuel.
Bazin (E.), à Villegenis, par Massy (Seine-et-Oise).
MÀJ : 2 décembre 2024
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