Du latin census, compte
Nota : les sommes mentionnées en francs (fr) sont les équivalents de 1865.
Redevance ou prestation annuelle imposée par un seigneur direct, lors de la première concession qu'il avait faite d'un héritage sujet à cette servitude : Dans les anciennes républiques, le CENS consistait en une redevance que les plébéiens payaient aux nobles pour les terres qu'ils tenaient d'eux. Le CENS était imprescriptible et non rachetable.
Cens abonné, celui qui était stipulé par chaque arpent et pour certains fruits spécifiés.
Cens double, celui qu'on était obligé de payer deux fois, selon les coutumes du Perche, du Berry, de l'Auvergne et de quelques autres provinces.
Cens rogo, celui qui était dû selon la coutume de Melun et qui se payait à quête.
Cens à queste ou requérable, celui que le seigneur était tenu de demander.
Cens portable, celui que l'on devait payer sans qu'il eût été réclamé.
Cens gros, celui qui se payait pour l'ensemble du bien féodal.
Cens menu, celui qui était dû pour l'une des parties du même bien.
Cens truand, celui qui n'apportait au seigneur ni lots, in rente, ni aucune espèce de profit.
Chef-cens, Cens proprement dit, imprescriptible, auquel étaient attachées toutes les prérogatives des droits récognitifs de la directe.
Cher-cens, Celui qui absorbait à peu près tout le revenu de l'héritage.
Sur-cens, Celui qui avait été imposé depuis la première concession.
Dans l'ancien droit féodal, le mot cens avait une signification toute différente ; il exprimait une redevance en argent ou en grains due par les héritiers roturiers au seigneur du fief dont ils relevaient, en reconnaissance et comme un hommage de sa propriété directe. Il différait essentiellement du contrat emphytéotique et du bail à rente, surtout en ce que le censier devait au seigneur dont il relevait, non seulement une prestation en argent, qui était le véritable cens, mais encore foi et hommage comme relevant directement de lui.
Voici en quelle occasion les terres furent données à cens. Après les conquêtes, les rois distribuèrent la plus grande partie des terres, soit à-titre de bénéfices, soit a titre d'alleux. Le possesseur d'un héritage trop considérable pour le faire-valoir en céda une partie à des colons, qui payèrent une redevance annuelle, soit en argent, soit en fruits.
Le droit féodal ayant rendu tous les fiefs héréditaires, les biens censiers qui n'étaient jusqu'alors que de véritables fermages devinrent la propriété complète de celui qui les possédait. Le seigneur en fit une aliénation véritable, ne gardant plus que le cens, qui comprenait un double droit, utile et honorifique, la redevance et l'hommage. Aussi le censier pouvait vendre, transmettre, donner son héritage, peu importait au seigneur, dont le droit restait le même en quelques mains que son fief vint à tomber, et auquel chaque mutation apportait un droit appelé droit de lods et ventes. On le voit, ce n'était qu'une servitude perpétuelle et imprescriptible imposée sur la terre, servitude bien conforme à l'esprit du droit féodal, où tout se reliait et s'enchaînait avec une exactitude inexorable.
Le cens portait différents noms, selon sa nature et la manière dont il était payé.
Croix de cens, parce qu'on le payait avec de petites pièces de monnaie qui, jusqu'à François 1er, portèrent l'empreinte d'une croix.
Le cens double était celui que le seigneur censier exigeait ordinairement à toutes les mutations qui arrivaient de la part du censitaire.
Le cens portable était celui que le censitaire devait porter à jour fixe dans un endroit déterminé, sous peine d'une amende exigible par le fait seul du manquement, sans que le seigneur-censier eût besoin de l'y faire condamner.
Le cens à queste ou requérable devait, au contraire, être recouvré, au domicile du censitaire par les agents du seigneur. D'ailleurs, tout était convention dans cette législation, qui avait, parfois des idées si bizarres, des redevances si singulières, qui exigeait tantôt une grimace, tantôt même une de ces incongruités qu'on ne peut nommer.
Dénombrement quinquennal des citoyens romains, avec déclaration faite par eux aux magistrats de tout ce qui concernait leur fortune et leur état civil.
Chez les Romains, ce mot signifiait dénombrement. Dès les premiers jours de son règne, Servius Tullius institua le cens ou dénombrement, dans le double but de connaître d'un coup d'œil les forces de son royaume et de forcer chacun de ses sujets à subvenir, selon ses moyens, aux besoins de l'État. En conséquence, il ordonna à tous les citoyens de venir, a un jour fixé, faire inscrire leur nom, déclarer leur âge, leur famille et la quantité de biens qu'ils possédaient. Et, afin que ses ordres fussent exécutés ponctuellement, il ordonna que celui qui ne se serait pas conformé à cette prescription serait battu de verges et vendu comme esclave. C'est de ce jour que data chez les Romains l'institution des tribus et des centuries. Après la chute de la royauté, l'opération du cens fut confiée à des magistrats spéciaux nommés censeurs.
Par les mots cens sénatorial et cens équestre, on entendait le minimum de fortune qu'il fallait posséder pour faire partie de ces deux ordres et satisfaire aux charges qu'ils imposaient. Le cens variait beaucoup suivant les époques et suivant la fortune de Rome. Ainsi, au commencement de la république, le cens sénatorial ne fut que d'environ 50,000 fr., tandis que sous l'Empire, les sénateurs les plus pauvres jouissaient de 5 ou 600,000 fr., de revenu. La même différence existe pour le cens équestre qui de 8000 francs, fut porté à 100000 fr.
En politique, ce terme sert à désigner le quantum de propriété ou d'impôt que chaque individu, jouissant de ses droits civils, doit, indépendamment des conditions d'âge, posséder ou payer s'il veut prendre part aux affaires publiques, soit comme électeur, soit comme représentant. En France, depuis 1789 jusqu'à 1848, toutes les constitutions un peu durables ont plus ou moins reconnu la propriété comme base fondamentale des droits de citoyen. La première de ces constitutions, celle de 1791, classe les citoyens en citoyens actifs et en citoyens passifs. Les premiers étaient ceux qui étaient plus ou moins propriétaires, ou qui étaient inscrits aux Rôles de la contribution foncière ; les seconds, ceux qui ne remplissaient aucune de ces deux qualités. Aux premiers était accordé le droit de nommer les représentants chargés de faire les lois et de voter les impôts, droit qui était refusé aux seconds. Le droit d'éligibilité était soumis à un cens plus élevé que le droit d'élection. La constitution de l'an II, dont l'existence ne fut que nominale, abolit toutes les qualifications censitaires. En dehors des conditions d'âge, tout Français, pour élire ou être élu, n'était tenu qu'à justifier de la jouissance de ses droits civils. « Le sang de 300 000 Français, disait à cette occasion Robespierre, a déjà coulé. Le sang de 300 000 autres va peut-être couler encore afin que le simple laboureur ne puisse siéger au Sénat à côté du riche marchand de grains ; afin que l'artisan ne puisse voter dans les assemblées du peuple à côté de l'illustre négociant ou du présomptueux avocat, et que le pauvre intelligent et vertueux ne puisse garder l'attitude d'un homme en présence du riche imbécile et corrompu. » Cette constitution ne devait que paraître et passer, et, après le 9 thermidor, il n'en fut plus question. Singulier retour des choses humaines, la constitution nouvelle, préparée à la suite de ces événements, fit à la propriété une part encore plus considérable que celle que lui assignait la constitution monarchique de 1791 ; et voici quelles raisons Boissy d'Anglas, au nom de la commission chargée de rédiger l'acte constitutionnel, donnait à ce sujet.
« En vain, disait-il, la sagesse s'épuiserait-elle pour, créer une constitution, si le défaut d'intérêt, à l'ordre avait le droit d'être reçu parmi les gardiens et les administrateurs de cet édifice. Nous devons être, gouvernés par les meilleurs ; les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois : or, à bien peu d'exceptions près, vous ne trouvez de pareils hommes que parmi ceux qui possèdent une propriété, tous attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, a la tranquillité qui la conserve, et qui doivent à cette propriété et à l'aisance qu'elle donne l'éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois qui fixent le sort de leur patrie. L'homme sans propriété, au contraire, a besoin d'un effort constant de vertu pour s'intéresser à l'ordre qui ne lui conserve rien et pour s'opposer aux mouvements qui lui donnent quelques espérances. Il lui faut supposer des combinaisons bien fines et bien profondes, pour qu'il préfère le bien réel au bien apparent, l'intérêt de l'avenir à celui du jour. »
« Si vous donnez à des hommes sans propriété les droits politiques sans réserve, et s'ils se trouvent jamais sur les bancs des législateurs, ils exciteront, ou laisseront exciter des agitations sans en craindre l'effet ; ils établiront ou laisseront établir des taxes funestes au commerce et à l'agriculture, parce qu'ils n'en auront jamais senti, ni redouté, ni prévu les résultats. Ils redouteront, également moins les entreprises violentes. Un pays gouverné par les propriétaires est dans l'ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l'état de nature. Les anciens l'ont ainsi consacré dans leurs brillantes allégories, lorsqu'ils ont dit que Cérès, qui était la déesse de l'agriculture et par conséquent des propriétés, avait la première bâti des villes, organisé des sociétés et donné des lois aux peuples. » II fut donc décidé que le cens de l'éligibilité reposerait, sur la possession d'une propriété foncière. « Agir ainsi, disait encore Boissy d'Anglas, ce n'est point gêner la liberté des élections, c'est présenter aux électeurs et au corps social un moyen d'épurer les choix ; c'est en quelque sorte un cautionnement, un gage de responsabilité que la société entière réclame, lorsqu'elle va investir un de ses membres de la fonction de stipuler en son nom. »
« Ordonner que nul citoyen ne pourra en exercer les droits s'il n'est inscrit au rôle des contributions publiques, ce n'est pas gêner l'exercice de ces droits, c'est consacrer le principe que tout membre de la société doit contribuer à ses dépenses, quelque faible que soit sa fortune. » »
Cependant, tout en prenant des mesures pour fermer aux gens privés de propriété territoriale les portes des assemblées législatives, on ne crut pas possible d'enlever à la grande masse des citoyens toute participation à la formation de ces assemblées. L'association, faisait-on observer, était antérieure à l'organisation politique. Tous faisant également partie du corps social, tous devaient, selon les idées du temps, participer à la vie publique tant qu'aucune circonstance ne diminuait ou ne détruisait leur indépendance. Les électeurs n'exerçant du reste qu'un droit de délégation, on comprenait aussi que l'exercice de ce droit devait être soumis à des conditions moins rigoureuses. Voici, du reste, comment Boissy d'Anglas, examinait cette question.
« La garantie que la société demande, lorsqu'elle va déléguer un de ses pouvoirs, est un résultat de son droit collectif, de sa volonté générale ; c'est après s'être organisée qu'elle délibère sur les conditions qu'elle exigera de ses magistrats ; c'est là son intérêt et son principe, et il ne peut y en avoir d'autre ; mais lorsqu'elle se rassemble pour exercer cette première fonction, elle est composée de membres tous égaux ; elle ne peut en expulser aucun de son sein. »
À la sortie d'un mouvement de rénovation politique qui, pendant plusieurs années, avait fait vivre, pour ainsi dire, tout un grand peuple sur la place publique, il eût été dangereux en effet de lui refuser toute participation à la vie publique. Ce danger, le rapport de Boissy d'Anglas le faisait ressortir quand il ajoutait : « D'ailleurs, serait-il politique, serait-il utile à la tranquillité publique de séparer un peuple, en deux portions ? Dont l'une serait évidemment sujette, tandis que l'autre serait souveraine ? Cette usurpation serait-elle autre chose qu'armer la portion opprimée contre celle qui l'opprimerait, et ne serait-ce pas établir dans l'État un germe éternel de division qui finirait par renverser votre gouvernement et vos lois ? En retranchant du corps, social une portion aussi nombreuse d'hommes, ne les condamneriez-vous pas à se considérer comme sans patrie ? Et n'en feriez-vous pas les satellites du premier brigand qui saurait se montrer à eux comme digne de venger leur outrage ? »
En vertu de ces principes, la constitution de l'an III établit les conditions de cens suivantes : l'inscription sur le registre civique, donnant droit à prendre part aux opérations des assemblées primaires, fut soumise à la justification du payement d'une contribution directe foncière ou personnelle ; et les membres des assemblées électorales chargées de nommer les législateurs, les magistrats assis de l'ordre judiciaire et les administrateurs de département durent justifier de la propriété ou de l'usufruit d'un bien évalué, selon les cas, à 100, 150 ou 200 journées de travail.
Les Constitutions de l'Empire, plus larges en un sens que la constitution de l'an III, admirent dans les assemblées cantonales tous les citoyens jouissant de leurs droits civils. Le payement d'une contribution foncière n'était pas obligatoire. Ces assemblées étaient chargées de composer les collèges électoraux d'arrondissement et de département. Pour ces collèges, le cens était conservé. Les assemblées cantonales devaient choisir les membres des premiers sur la liste des cent plus imposés de leur canton, et les membres des seconds, sur la liste des six cents plus imposés du département. Les uns et les autres étaient à vie. Ces choix, faits par des électeurs qui n'y avaient aucun intérêt bien direct, furent souvent très peu sérieux. Voici le témoignage qu'en porta la commission chargée du rapport de la loi électorale du 5 février 1817 : « Personne n'ignore les abus qui ont déconsidéré les assemblées cantonales qui, réduites à voter isolément aux domiciles de leurs présidents, vice-présidents et autres dépositaires de boîtes, leur appartinrent exclusivement. En telle sorte que, quoique personne n'eût voté, les boîtes se trouvaient remplies de bulletins frauduleusement introduits. C'est ainsi, et particulièrement pour les cantons ruraux, que les deux tiers des électeurs furent nommés à vie. Cet ordre de choses, portant en lui-même sa destruction, pouvait très bien convenir à un gouvernement, qui par l'intrigue et par la corruption, tendait au pouvoir absolu. En effet, le moyen le plus sûr d'y arriver était d'avilir dans leur source les collèges électoraux.
La Charte de 1814, en établissant le cens électoral à 300 fr. d'impôt direct, et le cens d'éligibilité à 1000 fr. d'impôt foncier, avait bien plus en vue de constituer un corps électoral indépendant, que d'assurer l'influence de la grande propriété. Les grands propriétaires le sentaient si bien, qu'ils firent, dans les sessions de 1815, de 1816 et de 1820, tous leurs efforts pour substituer au système de l'élection directe un système d'élection à deux degrés. Ils déclaraient, hautement qu'avec des assemblées primaires composées de citoyens jouissant de leurs droits civils et payant seulement 5 fr. de contributions, ils auraient plus de chances d'arriver à composer la grande majorité de la Chambre des députés qu'avec un système conférant l'électorat à tout contribuable payant 300 fr. Ce dernier système, disaient-ils, enlèverait à la grande propriété son influence et donnerait à la classe payant de 300 à 700 fr. d'impôts le droit de tout faire et de tout diriger en politique. Le gouvernement, alors dirigé par M. Decazes, accepta résolument la bataille sur le terrain choisi par des avocats de la grande propriété. Il déclara nettement que c'était, en s'appuyant principalement sur les intérêts de la moyenne propriété qu'il entendait diriger les affaires. Il n'y avait pas de meilleur moyen, d'après lui, d'avoir une politique ordonnée et stable à l'intérieur, et modérée dans ses aspirations à l'extérieur. La Chambre des pairs, qui eût assurément accueilli avec satisfaction un système de cens électoral conforme à celui qui avait été proposé par la minorité royaliste de la Chambre des députés, se borna à enregistrer le projet que le ministère Decazes avait fait voter avec le concours de la minorité libérale. Elle écouta les conseils que lui donna, en cette circonstance, l'un de ses membres les plus modérés, le comte de Lally-Tollendal, qui démontra que les grands propriétaires, en s'isolant et en refusant de mêler leurs intérêts avec ceux des moyens et des petits propriétaires, couraient risque de faire fausse route. Trois ans plus tard, sous la double influence de l'élection de l'évêque Grégoire et de l'assassinat du duc de Berry, le cens électoral était modifié de façon à assurer une représentation spéciale de membres à la grande propriété. Les électeurs payant plus de 300 fr. d'impôts, après avoir voté au chef-lieu d'arrondissement, avaient le droit de voter seuls au chef-lieu de département.
La loi du 18 avril 1831 abaissa le cens à 200 fr. ; ce cens fut même réduit à 100 fr. pour les membres effectifs et les membres correspondants de d'Institut, ainsi que pour les officiers de terre et de mer jouissant d'une pension de retraite de 1200fr. Précédemment, le principal des impôts avait seul été compté dans le cens. La loi nouvelle établit qu'il serait tenu compte des suppléments d'impôts, connus sous le nom de centimes additionnels. Cette mesure fit plus que doubler le nombre des électeurs. Plusieurs tentatives furent faites à diverses reprises pour, en diminuant le cens, élargir les cadres électoraux, mais, pendant toute la durée du gouvernement de Juillet, ces efforts échouèrent contre les résistances de la dynastie et de la majorité parlementaire.
Sous ce régime, le cens fut également la base de la représentation locale des communes, des arrondissements et du département.
La révolution de 1848 emporta le cens avec la monarchie. L'article 25 de la constitution du 4 novembre 1848 stipula formellement que tous les Français, âgés de vingt et un ans et jouissants, de leurs droits civils et politiques, devaient être électeurs sans condition de cens. La loi du 31 mai 1850 rétablit le cens dans une certaine mesure, en exigeant, parmi les justifications du domicile électoral, l'inscription au rôle de la taxe personnelle ou l'inscription personnelle au rôle de la prestation en nature des chemins vicinaux. Pour faire preuve du domicile, cette inscription devait remonter à trois ans. Tous les amendements tendant à enlever à la loi tout caractère censitaire, même ceux que présentèrent des membres de la majorité, furent systématiquement écartés. Le régime qui a succédé à la république a adapté sa première loi électorale et abolie le cens.
MÀJ : 2 décembre 2024
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