À 70 ans, Claude Mesplède a beaucoup de « copains ». Il faut dire que l'initiateur du premier salon des littératures noires et policières, Toulouse, polars du Sud, a essaimé son sens de la camaraderie aux quatre coins du monde. De salons littéraires en festivals de cinéma, ce Toulousain jovial et rondouillard s'est fait plus qu'une réputation, il s'est fait un nom. Son Dictionnaire des littératures policières, véritable Bible du polar en deux volumes, est en effet nommé par les amateurs du genre : le « Mesplède ».
James Ellroy a même poussé l'hommage jusqu'à donner son nom à l'un de ses personnages. « Je suis l'assassin de JFK dans American Deathtrip ! », plaisante l'intéressé.
Drôle de destin que celui de cet homme qui, durant quarante ans, fut technicien de maintenance chez Air France. Né d'un père prof de lettres et d'une mère institutrice, ce boulimique de lecture a toujours eu un net penchant pour les livres de « mauvais genre », type polars et romans de science-fiction. « J'ai souvent entendu : " Tu perds ton temps à lire ça. " J'ai horreur de cette réflexion ! C'est de la censure et la plupart de ceux qui disent ça ne connaissent pas cette littérature. »
Entré à 15 ans à l'école d'apprentissage d'Air France, il effectue la première moitié de sa carrière à Orly. Syndicaliste CGT, il profite de son rôle au sein du comité d'entreprise pour organiser des rencontres avec des auteurs à la cantine de l'aéroport, puis, plus tard, un concert de l'Orchestre du Capitole. « Mon coup le plus fameux : 1 200 mecs ont découvert la grande musique. Musiciens et ouvriers ont ensuite bu un pot ensemble ! »
La culture, Claude Mesplède ne la conçoit que festive. « Quand un film m'emmerde, je l'arrête. Mon ami Pennac dit la même chose : "Si un livre vous ennuie, jetez le !" » Cet autodidacte est doté d'une curiosité humaine sans bornes. « Il est insatiable, et fidèle », confie Pascal Dessaint, l'un des nombreux auteurs qu'il a contribué à faire connaître.
En vingt ans, ce critique littéraire est devenu la mémoire vivante d'un genre longtemps méprisé.
« Sur 1 200 émissions, Bernard Pivot en a consacré deux au polar qui représente pourtant 1 livre vendu sur 5 ! » s'indigne Claude Mesplède, pour qui le roman noir a le mérite de ne jamais être formaté. Et si les maîtres du genre restent américains, c'est à ses voisins ibères qu'il a voulu consacrer ce premier salon toulousain du polar. Parmi les cinquante auteurs invités, douze sont espagnols.
Outre ses compétences aéronautiques, Claude Mesplède avait acquis une grande notoriété dans le monde artistique et de l'édition du roman noir et du polar.
Comme pour moi je pense que la disparition de Claude Mesplède vous fait beaucoup de peine.
J'avais eu l'occasion d'assister à certaines de ses conférences littéraires et j'avais été "bluffé" par sa notoriété auprès d'écrivains, d'acteurs et même de metteurs en scène dans le domaine qui était devenu le sien le "polar".
À l'occasion du dernier déjeuner qui nous a réuni pour certains d'entre nous (23 oct 2018 au Restaurant Le Zeyer à Paris), j'avais reçu de Claude cette invitation adressée à tous : je vous la cite en pièce jointe.
Vous pouvez également consulter la page à son nom sur Google qui fait déja largement état de son décès et de sa notoriété de "pape du polar"
Adieu l'ami..Jean-Claude Le Berre
Cher Jean-claude
Merci pour ton message réconfortant. C'est vrai que je suis doté d'un moral solide et que j'ai la possibilité d'être actif dans un domaine que j'ai choisi bien avant de partir en retraite. Je plains ceux qui ne savent pas quoi faire à la retraite. Avec Ida, mon épouse, nous organisons chaque année ce qu'on appelle un festival polar durant tout un week-end avec une quarantaine d'écrivains qui signent leurs livres et participent à des débats et discussions avec le public ; Ca se déroule fin septembre dans un village du Tarn de 4000 habitants sur une place moyenâgeuse avec les vignerons qui vendent leur production au milieu des livres ; en 2019 j'aurai 80a ns et le conseil d'administration du festival a décidé de marquer cet anniversaire car je ne suis pas pour rien le pape du polar (rires) ; j'ai donc le privilège d'inviter quelques personnes (écrivains ou pas) à ce week-end de septembre prochain. Si certains d'entre vous étaient intéressés de passer tout ou partie du week-end, dites le moi et je vous inviterai pour vous faire découvrir le monde littéraire de l'intérieur. En principe je vous ferais héberger mais nous ferons le point au moment opportun. Toutefois tu peux évoquer cet éventuel rendez-vous et si vous souhaitez en savoir plus allez sur facebook voir la page a mon nom ! celle de notre association POLAR SUR GARONNE et celle du festival
AmicalementClaude
Le Monde - 2 janvier 2019
Critique littéraire et historien du roman policier, Claude Mesplède est mort le 27 décembre à Toulouse, à l'âge de 79 ans. Avec lui s'éteint l'un des meilleurs connaisseurs mondiaux du polar, un infatigable passeur, présent, jusqu'à la fin malgré la maladie de Parkinson qui l'accablait, dans tous les festivals spécialisés.
Né le 11 janvier 1939 à Saint-Laurent-de-Ia-Prée (Charente-Maritime), Claude Mesplède obtint en 1957 un CAP d'électricien en aéronautique et effectua toute sa carrière à Air France. Adhérent à la CGT, dont il dirigea une section au sein de son entreprise, et affilié au PCF jusqu'au début des années 1980, il a dirigé en Mai 68 l'occupation du site d'Orly-Nord.
En marge de son métier, ce fils d'un professeur de lettres, qui aurait, selon la légende familiale, appris à lire à 3 ans, s'est peu à peu imposé comme le défricheur sans égal d'une tradition littéraire jusque-là peu étudiée. Car Mesplède a tissé des liens de parenté entre thrillers, romans d'espionnage, romans noir et polars de diverses époques. Il ne cessait de répéter que les récits criminels sont vieux comme le monde — le meurtre d'Abel par Caïn, le parricide perpétré par Œdipe... Il partageait l'avis de l'écrivain Jean-Patrick Manchette (1942-1995), pour qui le roman noir est de la critique sociale prenant pour anecdote des histoires de crime. Un genre éminemment politique, précisait-il.
Pas de nostalgie
En 1982, il fit paraître chez Futuro-polis, avec Jean-Jacques Schleret, SN. Voyage au bout de la Noire, une monographie sur la « Série noire », la mythique collection de Gallimard créée en 1945. Ce travail de collecte et d'exégèse colossal, qui inventorie la bibliographie de 732 auteurs, lui valut d'être invité sur le plateau d'« Apostrophes ».
Puis il dirigea un volumineux Dictionnaire des littératures policières (Joseph K, 2003), qui totalise près de 2000 pages. Président, entre 1995 et 1998, de l'association 813, laquelle édite une revue de grande qualité sur les littératures policières, Claude Mesplède a aussi cosigné, avec Michel Lebrun, l'anthologie La Crème du crime (L'Atalante, 1995). Dans la préface de celle-ci, il observe qu'au terme de son épopée sournoise le polar a doucement phagocyté la littérature. Et le métissage donne, on le sait, des enfants plus beaux et plus vivaces que les autres ».
La bibliothèque de sa maison de Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne) abritait 15000 titres. Lui-même n'a commis que deux polars : un pour la jeunesse, Pas de peau pour Miss Amaryllis (Syros, « Souris noire» , 1988), et Le Cantique des cantines (La Baleine, « Le Poulpe », 1997) mais ses innombrables chroniques, critiques, avant-propos, postfaces... ont été réunis en recueil : Trente ans d'écrits sur le polar. 1982-2012 (Krakoen, 2013).
Quoiqu'il rendit cycliquement hommage aux grands noms du polar, notamment à Dashiell Hammett (1894-1961), dont il confiait que la lecture de la Moisson rouge (1929) avait changé sa vie, Claude Mesplède n'était pas le garant d'une nostalgie qui aurait condamné les contemporains. Preuve en est la collection qu'il avait créée au printemps 2018, « Double noir », éditée par l'association Nèfle noire, qui associe, dans un volume de 32 pages et pour 2 euros, une nouvelle d'un auteur classique avec un texte inédit d'un romancier vivant.
II était bienveillant avec tous les nouveaux venus dans la famille du polar, qu'il s'agisse de Caryl Ferey ou de Franck Thilliez à leurs débuts. « Tu m'as guidé, rassuré, tu m'as fait rire, s'est souvenu celui-ci sur son compte Twitter, à l'annonce de son décès. Tu as aimé le Noir, mais ta lumière rayonnera encore longtemps. »
En signe d'amitié ou de remerciement, une, trentaine d'auteurs se sont amusés à donner son nom à des personnages de leurs livres, à l'image des Américains James Ellroy dans American Death Trip (Rivages, « Thriller », 2001), Dennis Lehane dans Un pays à l'aube (Rivages, « Thriller », 2009) ou des Français Dominique Manotti et DOA qui font d'un brigadier son homonyme dans L'Honorable Société (Gallimard, « Série noire» , 2011). Claude Mesplède avait reçu en 2015 le prix Hammett de la Semana Negra de Gijon (Espagne), pour avoir contribué à donner ses lettres de noblesse au polar, genre longtemps considéré comme mineur parce que populaire.MACHA SÉRY
MÀJ : 2 décembre 2024
Effectuée par freefind.com
© Dominique Ottello
2004 - 2024