Illustre manufacturier, naturalisé Français, né à Weissembach (Bavière) en 1738, mort à Jouy-en-Josas, près de Versailles, en 1815.
On lui doit l'introduction en France de l'impression des tissus et la fondation de la première manufacture de coton. Son père, simple teinturier d'une haute intelligence, avait imaginé divers perfectionnements pour la fabrication des toiles peintes et entrepris quelques essais d'impression sur étoffes ; mais il s'efforça vainement de faire comprendre l'importance de sa découverte et parcourut toute l'Allemagne, exposant son système, qui ne fut accueilli nulle part.
Il alla s'établir à Aarau (Suisse), où florissait depuis longtemps l'industrie des indiennes, et attira l'attention du gouvernement, qui lui offrit le droit de bourgeoisie afin d'utiliser au profit de la Suisse un ouvrier si habile. Ce fut là que Philippe Oberkampf étudia et s'assimila les divers procédés de son père ; il résolut de les introduire en France. Il n'existait alors chez nous aucune manufacture de toiles peintes ; celles qui s'y vendaient, à des prix très élevés, provenaient d'Angleterre, de Suisse, d'Allemagne et étaient frappées, à leur entrée, de droits exorbitants, de sorte qu'elles ne pénétraient guère que par contrebande ; on croyait que leur fabrication ou leur introduction libre en France ruinerait infailliblement les cultures de chanvre et de lin et porterait atteinte au commerce des soies.
Venu à Paris à dix-neuf ans, Philippe Oberkampf put se rendre compte de l'importance d'un marché tel que la France pour la grande industrie qu'il voulait créer ; il fit quelques démarches et obtint enfin, par édit royal, le droit d'établir un atelier de fabrication (1759). Il ne possédait qu'un modeste capital de 600 francs et ne s'en mit pas moins à l'œuvre ; il loua, dans la vallée de la Bièvre, à Jouy, une masure abandonnée, et c'est là que, tout seul d'abord, il jeta les bases de l'industrie qui devait exonérer la France d'un lourd tribut à l'étranger. Oberkampf n'avait pour modèles que des étoffes perses ou des indiennes dont le trait était imprimé, les sujets étant coloriés au pinceau, opération dispendieuse et longue. Il construisit lui-même ses métiers, perfectionna les procédés inventés par son père pour l'impression à la planche et l'impression mécanique au rouleau, se fit à la fois constructeur, dessinateur, imprimeur, teinturier, graveur, et put, au bout de peu de temps, mettre en vente ses premiers produits. Il appela alors autour de lui quelques ouvriers qu'il initia à ses procédés et qui ne tardèrent pas, sous un si bon maître, à, devenir habiles ; son industrie prit des développements, mais il lui fallut lutter contre la routine et plus encore contre l'hostilité des fabricants d'étoffes de fil et de lin ; ils invoquaient les règlements qui prohibaient l'entrée des indiennes en France, et ils intriguèrent pour qu'on les étendît à leur fabrication.
La persévérance et l'intelligente activité d'Oberkampf triomphèrent de tous les obstacles ; il augmenta ses ateliers et, pour loger ses ouvriers autour de lui, il dessécha les marécages qui entouraient son établissement. Bientôt la contrée fut assainie et un village d'une population de 1500 âmes s'éleva dans un pays inhabité jusque-là comme insalubre. La manufacture de Jouy occupait environ un millier d'ouvriers. Le temps des tracasseries et des luttes était passé. Comprenant l'importance de l'œuvre nouvelle, les économistes se firent les défenseurs de la liberté de l'industrie ; l'abbé Morellet surtout prit particulièrement en main la cause d'Oberkampf. La mode s'en mit ; les dames de la cour se paraient des produits les plus élégants de la manufacture de Jouy. Ses indiennes furent recherchées à Paris comme à Versailles ; elles sortirent même de France, et on les préférait, à Londres, aux produits des fabriques anglaises. Encouragé par le succès, jouissant d'un crédit énorme et déjà à la tête d'une grande fortune, Oberkampf perfectionna encore ses procédés, fit étudier en Angleterre, en Allemagne, jusqu'en Perse et dans l'Inde, les meilleurs procédés de fabrication et surtout ceux de teinture, restés dans l'Orient à. l'état de secrets, et ses produits n'eurent plus de rivaux.
En 1787, un édit de Louis XVI érigea les ateliers d'Oberkampf en manufacture royale, et le souverain offrit à l'éminent industriel des lettres de noblesse, qu'il refusa modestement. Lyon, Rouen et quelques autres villes, ouvrant enfin les yeux sur cette source de richesses qu'on avait dédaignée jusqu'alors, créèrent des établissements analogues à celui de Jouy, et en quelques années trois cents manufactures d'indiennes, fondées ou dirigées en grande partie par des contremaîtres sortis des ateliers d'Oberkampf, couvrirent toute la France. L'importation des cotonnades n'existait plus chez nous ; c'était nous, au contraire, qui en exportions une grande quantité.
À la Révolution, qui causa un temps d'arrêt dans cette industrie comme dans toutes les autres, le nombre d'ouvriers employés aux fabriques d'indiennes était d'environ 20,000. En 1790, le conseil général de la Seine décida qu'une statue serait élevée à l'homme dont l'initiative avait eu pour le pays de si fructueux résultats ; Oberkampf refusa, comme il avait refusé les titres de noblesse. La tourmente passée, les travaux reprirent avec une activité croissante, et quand Bonaparte commença à réaliser son rêve du blocus continental, les indiennes et cotonnades de France inondèrent tous les marchés de l'Europe, au grand détriment de l'Angleterre. Bonaparte vint visiter la manufacture de Jouy et décora Oberkampf en lui disant ces paroles si connues : « Vous et moi, nous faisons une bonne guerre aux Anglais, mais je crois que la vôtre est encore la meilleure. » Le jury de l'Exposition de 1806 lui décerna, en outre, une médaille d'or.
Pour achever son œuvre et pousser jusqu'au bout la concurrence à l'Angleterre, Oberkampf fonda à cette époque la filature de coton d'Essonne, la première qui ait fonctionné en France : le coton, reçu en balles, était tissé à Essonne, et, transporté à Jouy, en sortait à l'état d'indienne ou de toile de perse. La chute de l'Empire amena la ruine de cette manufacture si florissante ; les ateliers de Jouy furent détruits par l'invasion de la population d'ouvriers qui y vivait, réduite momentanément au chômage et à la misère, mendiant son pain. Oberkampf, déjà vieux (il avait soixante-dix-sept ans) et frappé de stupeur par ce coup imprévu, en mourut de chagrin. L'industrie qu'il avait importée en France avait pris, après sa mort, une importance encore plus considérable ;; on évaluait à près de trois cent mille le chiffre des ouvriers employés dans les fabriques de cotonnades et d'indiennes ; ils traitent une quantité de coton d'une valeur d'environ 60 millions de francs, portée à celle de 350 millions par la main-d'œuvre. - Le nom d'Oberkampf a été donné à l'une des grandes rues de Paris.
Grand Dictionnaire Ubiversel du XIXe Siècle de Pierre Larousse
MÀJ : 2 décembre 2024
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