LA MESURE DES DISTANCES DES TRÈS LOINTAINES GALAXIES

Dans le dernier article, il a été question de l'effet Doppler-Fizeau et de quelques-unes de ses applications dans le domaine de la vie courante. Pour appliquer l'effet Doppler-Fizeau à la mesure des distances des galaxies, il faudrait en toute rigueur, compte tenu des vitesses mises en jeu de quelques dizaines de milliers de km/seconde et jusqu'aux approches de la vitesse de la lumière à 300 000 km/s, et que l'espace et le temps varient avec la vitesse, il conviendrait de faire intervenir les équations de la relativité. Mais sans que cela nuise à sa santé, et je peux en témoigner, l'honnête homme du XXIe siècle peut très bien se contenter de l'approche qualitative décrite pour le son avec la locomotive. Il lui suffit de savoir que c'est un peu faux pour les ondes électromagnétiques avec les grandes vitesses rencontrées dans l'Univers et la gravité qui courbe l'espace et que ce qui est en cause ce n'est pas la vitesse des galaxies par rapport au milieu qui les entoure, mais que c'est la dilation de ce milieu lui-même, c'est-à-dire la dilation de l'espace.

Là il faut faire un effort d'abstraction certain pour « sentir » la différence entre les deux notions. Bref, ne vous faites pas mal à la tête, j'en serais désolé. De grosses têtes se sont penchées sur le problème à grand renfort de relativité restreinte et généralisée. Retenez simplement que pour les très grandes distances, plus les objets du ciel sont éloignés, plus ils s'éloignent vite les uns des autres quel que soit le point d'où on observe. Ce fut la découverte de l'astronome Hubble (et de quelques autres aussi) en 1929. Il n'y a donc pas un point privilégié à partir duquel se produirait cette expansion, l'image généralement proposée est celle du ballon de baudruche sur lequel on aurait dessiné des points au crayon-feutre. Si on gonfle le ballon, tous les points s'éloignent les uns des autres bien que chaque point soit immobile par rapport à son environnement immédiat. Ainsi est née la constante de Hubble qui dit que les galaxies s'éloignent les unes des autres à une vitesse croissante avec la distance les séparant à raison de 75km/s/Mpc.

Rappel : le pc (parsec) est la distance à laquelle le rayon de l'orbite de la Terre serait vu sous un angle de une seconde d'arc et vaut 3,26 années-lumière. Le Mpc (mégaparsec) vaut donc un million de parsecs soit 3,26 millions d'années-lumière.

La constante de Hubble n'est pas si constante que ça, car elle a été remaniée plusieurs fois depuis sa première évaluation, de plus elle est variable avec la distance. Bref, à l'heure actuelle on ne peut garantir sa valeur qu'à 10 % près.

Mais comment a-t-on fait pour évaluer cette constante ?

Nous avons vu que dans le spectre de la lumière des étoiles, les corps chimiques se trahissaient par la présence de raies dont le nombre et la position sont caractéristiques de chaque corps.

Spectre des raies des corps

Voici quelques exemples de ces codes-barres obtenus en laboratoire en faisant brûler les différents corps dans une flamme

Ces spectres étalons sont d'une netteté remarquable, mais les choses se compliquent quand il s'agit de spectre réel renfermant une multitude de corps distincts (imaginez un spectre contenant seulement du fer et de l'argent). C'est là le travail de fourmi des astronomes.

Mais lorsque la source lumineuse s'éloigne à grande vitesse, comme pour le son avec la locomotive, la lumière reçue devient plus « grave », elle se décale vers le rouge (les couleurs du spectre visible allant du violet au rouge traduisent des ondes électromagnétiques de fréquences respectivement de plus en plus basses). Ainsi pour l'hydrogène (le plus simple) sa raie dans le rouge va se trouver décalée dans l'infrarouge et sa raie dans le violet va se retrouver dans le bleu ou le vert si la vitesse est assez grande. De la mesure du décalage en couleur on déduit le décalage en fréquence ce qui en application de l'effet Doppler-Fizeau (quelque peu amélioré) donne la vitesse d'éloignement. De cette vitesse d'éloignement, en appliquant la constante de Hubble on trouve la distance. Pour une source s'éloignant à une vitesse donnée, tous les codes-barres se décalent de la même quantité vers le rouge. C'est ce que l'on nomme le « red shift » en anglais.

Céphéides

C'est la dernière méthode actuellement connue pour mesurer l'Univers. Nous avons successivement vu la méthode de la parallaxe pour les objets proches, puis celle des céphéides dont l'étalonnage se fait sur des objets déjà mesurés par la parallaxe, puis celle des supernovae dont l'étalonnage est fait grâce aux céphéides et enfin celle du décalage spectral dont l'étalonnage est fait grâce aux supernovae. Ainsi de proche en proche, toutes ces méthodes reposent en fait sur la méthode de la parallaxe c'est-à-dire finalement sur le théorème de Pythagore ! Et avec lui on arrive aujourd'hui vers 12 milliards d'années-lumière !


LE "HUBBLE ULTRA DEEP FIELD"

Hubble Ultra Deep Field

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Maintenant voici une image qui donne le vertige. Cette photo a été prise par le télescope spatial Hubble, lors d'une pose de dix « jours ». Elle est prise par un véritable trou de serrure minuscule dans le ciel de seulement 3mn x 3mn d'arc où par extraordinaire il n'y a aucune étoile gênante (on n'y distingue que quatre étoiles, ce sont les points présentant quatre aigrettes générées par les branches qui supportent le miroir secondaire du télescope). On y voit environ 10 000 galaxies dont les plus lointaines doivent se situer à moins de 800 millions d'années seulement après le big-bang.


Si on estime que la répartition des galaxies est homogène dans tout l'Univers et il n'y a aucune raison de penser qu'il n'en est pas ainsi, on arrive à un nombre de l'ordre de cinq millions de milliards de galaxies sans compter celles encore plus lointaines que sur cette photo. Sachant que le nombre d'étoiles dans une galaxie moyenne est de l'ordre de 100 milliards et qu'autour de chaque étoile il y a vraisemblablement plusieurs planètes, ce serait bien extraordinaire qu'il n'y en ait pas quelques-unes habitant la vie ou l'ayant habitée. Il faut être vraiment prétentieux pour persister croire que nous sommes seuls dans l'Univers et ainsi se croire encore une fois le centre du monde.

Cette image peut faire penser que les galaxies ne sont pas très éloignées les unes des autres par rapport à leur taille propre, mais l'image est sur un plan et les 10 000 petits points que sont les galaxies doivent être considérés en profondeur.

On pourrait dire là aussi : « Que d'eau, que d'eau ». Et, pourtant, l'Univers n'est que vide. L'atome est constitué d'un minuscule noyau renfermant 99,95 % de sa masse autour duquel gravite pro balistiquement à une distance de 100 000 à un million de fois son diamètre un nuage d'électrons. La matière est constituée d'atomes séparés par des distances colossales par rapport à leur "diamètre". Le soleil qui représente 99,86 % de la masse totale de notre système solaire a un diamètre de un million 392 mille km alors que la moyenne de la distance des planètes au soleil est de l'ordre du milliard de km. La distance entre les étoiles se mesure en centaines d'années-lumière. La distance entre les galaxies constituées d'étoiles déjà extraordinairement dispersées se mesure en centaines de millions d'années-lumière alors que la taille d'une galaxie moyenne est de l'ordre de 100 000 années-lumière. Tout cela montre l'extraordinaire dilution de la matière dans l'Univers. Dans les années 1960 on estimait, en comptant toute la matière (les grands nuages d'hydrogène ou de poussière les galaxies et leurs planètes...) que l'on aurait réduites en poudre pour la répartir uniformément dans tout l'Univers, qu'un cube de 1000 km d'arêtes pèserait seulement deux ou trois grammes. À comparer à la masse de ce même cube d'air qui est de un million de milliards de Tonnes ! Et, pourtant, on ne peut pas dire que l'air soit une matière particulièrement dense.

D'un autre côté, on trouve des corps dont la densité est extrême. C'est le cas des étoiles à neutrons qui résultent de l'effondrement d'une étoile comme nous l'avons vu avec les novae et les supernovae. Sous l'effet de la gravité qui n'est plus compensée par les réactions nucléaires de l'étoile en panne de carburant, la matière est comprimée à l'extrême, les noyaux se touchent et un centimètre cube d'une telle étoile atteint un milliard de tonnes. Il existe aussi des bulles où la matière est encore plus dense, tellement dense qu'aucune lumière ne peut s'en échapper, d'où l'appellation de trou noir. Par définition ils sont donc invisibles, mais comme ils attirent tout ce qui s'approche trop près d'eux, la matière qui les environne s'y précipite à des vitesses telles que la compression qui en résulte élève si fortement la température qu'elle émet des rayons X qui sont détectés sur Terre.

Ainsi l'Univers s'il était répandu uniformément est vide d'un vide des millions de fois plus vide que celui que nous pouvons faire dans les laboratoires et localement il présente des concentrations de matière inimaginables totalement hors de portée de nos laboratoires.

Cependant les moyens technologiques de plus en plus performants montrent que les étoiles périphériques des galaxies tournent trop vite autour de leur centre galactique et que compte tenu de la masse visible de leur galaxie elles devraient s'échapper par la force centrifuge. Or, il n'en est rien et elles restent sagement à leur place. Il faut donc en conclure qu'il existe une masse cachée que l'on appelle matière noire et de nature totalement inconnue. Et ce n'est pas un détail de l'histoire, car on estime que l'ensemble de la matière visible (vastes nuages d'hydrogène ou de poussière, galaxies, planètes...) ne représente que 0,5 % de la masse totale de l'Univers, et que la matière noire représente 27 % de la masse de ce même Univers. Quant aux 72,5 % restants, on en trouve l'explication dans l'observation suivante : on constate que loin de ralentir comme ce devrait être le cas, l'expansion de l'Univers s'accélère. Or, en vertu de l'équation fondamentale de la mécanique F=mg qui veut qu'une masse m qui subit une accélération g est forcément soumise à une force, il reste à trouver cette force. Et qui dit force implique obligatoirement une énergie capable de l'alimenter. Et cette énergie suivant la célèbre formule E=m.c² qui montre l'équivalence entre masse et énergie, serait justement ces 72,5 % manquants. Reste à trouver la source de cette énergie. Ainsi vide de matière ne veut pas dire qu'il n'y a rien. Tout cela n'est pour l'instant qu'hypothèse et il y a beaucoup de pain sur la planche pour les futures générations.

Quant à moi, je vois qu'il fait beau et je vais en profiter pour semer mes petits pois.

La boucle est ainsi bouclée et la Terre à bientôt bouclée son orbite en se retrouvant à l'endroit où il y a presqu'un an, il m'était venu l'idée de vous parler du temps sidéral et du temps solaire, en binant mes petits pois.

J'ai pris plaisir à vous raconter cette histoire et j'espère que je ne vous ai pas trop ennuyé. Je souhaite avoir soulevé des questions et c'est avec grand plaisir que j'essayerai d'y répondre... si je peux.


Voici quelques images des splendeurs du ciel

Dans l'ordre : NGC 1300 ; Nébuleuse crabe ; la voie lactée avec les deux nuages de Magellan et la comète Mac Naught de l'hémisphère sud ; les galaxies NGC2207 et IC2163.

NGC 1300

NGC 1300

Nébuleuse du Crabe

Nébuleuse du Crabe

Voie Lactée et Cométe

Voie Lactée et Comète

NGC 2207 et IC 2163

NGC 2207 et IC 2163


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Ces images sont extraites du livre « LUMIÈRES D'ÉTOILES » d'André Brahic-Isabelle Grenier chez Odile Jacob, qui comporte un nombre impressionnant d'images toutes aussi fabuleuses les unes que les autres.

Télescope Type Newton - Diamètre du miroir principal 300 mm- Focale 1560 mm

Télescope de René Paris

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Et enfin mon télescope de construction entièrement personnelle, de l'optique à l'électronique d'asservissement à la rotation terrestre en passant par la mécanique. Il m'a permis de prendre les photos que je vous ai présentées au début de cette histoire et que vous pouvez retrouver à partir de la page du site aviatechno.net, en cliquant successivement sur Vilgénis puis sur Documents puis sur Violons D'Ingres et passions puis enfin sur l'image de la Tête de Cheval.

Ces images font partie des trop rares objets que la pollution lumineuse anarchique et délirante me laisse encore accessibles et nous prive de la multitude des autres splendeurs du ciel qui restent noyées dans la lumière diffuse d'un éclairage des zones urbaines, outrancier et mal utilisé.


René Paris, promo 1950-1953 + R.