Voici donc la lune à son premier quartier, photographiée le 02/04/09 à 19h49 TU avec un télescope de 300mm de diamètre et un appareil-photo numérique CANON 350D. Image brute sans traitement.
Quand un profane met l'œil à l'oculaire d'un télescope pour la première fois, c'est généralement pour voir la lune. Les premiers instants de surprise passés, la question qui vient immanquablement est : « C'est grossi combien de fois ? ».
Tout d'abord, de quoi est constitué un télescope ?
Il y a en premier lieu l'objectif qui est la lentille tournée vers le ciel pour les lunettes, ou un miroir placé au fond d'un tube pour les télescopes. (À noter que cette distinction entre lunette et télescope est une spécificité française ; pour tout le reste du monde ce sont tous des télescopes). Cet objectif capte les rayons lumineux et les concentre sur une petite surface appelée plan focal ou foyer. C'est là que se reconstitue une image réduite de l'objet visé. La distance entre l'objectif et le foyer s'appelle longueur ou distance focale et dépend de la courbure de l'objectif.
En second lieu il y a l'oculaire où l'on place l'œil, tout près du foyer. C'est tout simplement une loupe de courte longueur focale (plus ou moins complexe suivant sa qualité) qui grossit l'image reconstituée au foyer.
Le grossissement donné par l'ensemble de l'instrument est tout simplement donné par la formule G = L/l avec L = longueur focale de l'objectif et l = longueur focale de l'oculaire. Le tout bien sûr avec la même unité, en général le mm.
Alors direz-vous, c'est simple, prenons un objectif de longueur focale de 2 m et un oculaire de 1 mm et nous voilà avec un grossissement de 2000. Le calcul est juste et effectivement l'objet visé paraîtra 2000 fois plus gros (à supposer qu'il sera visible en entier dans l'oculaire). Mais verra-t-on des détails 2000 fois plus petits que ceux que l'on pouvait discerner à l'œil nu ? Hélas, non, et l'on va voir que l'on est très loin du compte. Ceci nous conduit à préciser une notion fondamentale qui est le Pouvoir Séparateur (on l'appellera PS dans ce qui suit).
La largeur d'un objet placé à distance de l'œil est vu sous un certain angle que l'on appelle « angle apparent ».
Le PS est caractérisé par l'angle apparent du plus petit détail discernable. Il s'exprime en minutes ou secondes d'arc. Le PS de l'œil humain est de l'ordre de 1 min d'arc soit environ 1 mm vu à 3,60 m.
La lune vue de la Terre a un angle apparent de 30 mn d'arc. Un objectif qui a un PS de 1 s d'arc est capable de discerner (séparer) 2 traits distants de 1 mm éloignés 60 fois plus loin qu'à l'œil nu soit 216 m environ. Ou encore 2 traits espacés de 1 dixième de mm éloignés de 21,6 m. Ce n'est déjà pas si mal !
On comprend facilement que plus un objectif est capable de séparer de plus fins détails, meilleur il est. Alors que faut-il pour avoir le meilleur PS ? Eh bien le PS d'un objectif est proportionnel à son diamètre (ceci est dû au caractère ondulatoire de la lumière, en effet la lumière ou les ondes radio sont toutes les deux des ondes électromagnétiques de même nature, la longueur d'onde des ondes lumineuses est seulement beaucoup plus courte que celle des ondes radio). Bien sûr, la proportionnalité avec le diamètre n'est vraie qu'à qualité de fabrication égale - précision de la courbure et finesse du polissage. Sachez que la courbure d'un miroir d'astronomie ne doit pas s'écarter de plus de quelques centièmes de micromètres de la courbe théorique qui est une parabole. Vous avez bien lu, quelques centièmes de micron, soit quelques centièmes de millièmes de mm ou encore 10 puissance moins 8 m pour ceux à qui cette langue dit quelque chose. Si vous manipulez une pièce d'optique d'astronomie, pensez à cette fabuleuse précision, prenez en soin.
Sans nous étendre sur la façon de l'établir, le PS répond à la formule PS = 120/D avec D diamètre de l'objectif en mm et PS en seconde d'arc. Ainsi un objectif de 120 mm de diamètre a un PS de 1 s d'arc.
Alors c'est simple, fabriquons un miroir de 10 m de diamètre (ça existe et même en plusieurs exemplaires) et nous aurons un PS de 1 centième de seconde soit 1 mm à 21600 m ou environ 17 m sur la lune dont la distance moyenne à la Terre est 380 000 km. Et nous voilà capable de voir un camion sur la lune avec son nuage de poussière de plusieurs centaines de mètres derrière lui...
Eh bien non encore une fois, ce n'est pas si simple ! L'empêcheur de tourner en rond est cette fois l'atmosphère qui entoure la Terre. Cette couche d'air se comporte comme une lentille additionnelle placée devant le télescope ; Le malheur est que cette lentille est constamment variable d'une façon aléatoire plusieurs centaines de fois par seconde. La conséquence est que le plan focal d'un télescope est constamment variable en distance et en direction et que l'image est floue, c'est la turbulence atmosphérique. En pratique, la turbulence limite le PS à 0,5 seconde d'arc dans les meilleurs cas que l'on rencontre 2 ou 3 fois par ans pour un site donné. Il vaut mieux tabler sur un PS de 1 seconde. Il est donc inutile d'avoir un télescope de plus de 250 ou 300 mm de diamètre ce qui conduit à un grossissement utile de l'ordre de 300 fois, sauf à s'affranchir de la turbulence atmosphérique en se plaçant sur une haute montagne ou mieux sur un satellite et c'est Hubble mais c'est une autre histoire !
Alors si vous voyez une pub qui vous annonce des grossissements « jusqu'à 1000 et plus » pour une petite lunette de 50 ou 60 mm de diamètre, fuyez ! C'est au minimum un abus de confiance si ce n'est une escroquerie. Le pire est que c'est inattaquable au plan législatif car le grossissement peut avoir mathématiquement cette valeur mais ne correspond à rien de ce que vous escomptez voir. L'acheteur non averti comprend, lui, qu'il peut voir des détails 1000 fois plus petits qu'à l'œil nu. Mais alors, pourquoi fabriquer des télescopes de 10 m et plus (on parle pour bientôt de télescopes de 3 0m de diamètre) ? Ce n'est pas pour avoir un meilleur PS sauf à les satelliser, c'est pour capter davantage de lumière (la quantité de lumière reçue est proportionnelle à la surface collectrice) et ainsi pouvoir photographier des galaxies et des nébuleuses très éloignées. Et qui dit éloigné dans l'espace dit aussi éloigné en arrière dans le temps car du fait de la vitesse finie de propagation de la lumière à 300 000 km/s, un objet lointain est vu tel qu'il était lorsque les rayons lumineux qui frappent notre œil l'ont quitté et cela il y a des millions ou milliards d'années. Dans bien des cas l'objet n'existe plus depuis bien longtemps. Voir loin est donc voir dans le passé et plus on voit loin plus on se rapproche du Big Bang dont nos connaissances actuelles nous indiquent être l'origine de tout l'Univers remontant à 13,7 milliards d'années. Actuellement nous pouvons voir à un peu plus de 10 milliards d'années.
J'espère ne pas vous avoir trop ennuyé avec tous ces chiffres (à ce sujet, un écho sur le forum est bien venu pour savoir s'il y a un intérêt à poursuivre dans ce domaine).
Restons émerveillés, nous, simple poussière infinitésimale, d'avoir conscience de l'immensité de l'Univers. Il y a là une sacrée énigme... ou une énigme sacrée ?
René Paris, alias Diabolus.