Depuis quelques jours je ruminais dans ma tête l'idée de vous parler du temps, pas de celui qu'il fait mais de celui dont tout le monde se sert et qui est tellement naturel que personne ne se pose de question à son sujet. Naturel ?... Voire !
Je répétais dans ma tête ce que j'avais lu et relu et entendu sur le sujet en commençant par définir le temps commun que toutes les horloges du monde comptent seconde après seconde. Le concept me parut difficile à faire passer sans l'aide d'un tableau noir où l'on puisse faire quelques figures, pourtant tous les manuels commencent par là. Qu'est-ce que ça serait quand partant de ce temps-là il faudrait remonter au temps sidéral !
Ne riez pas, mais je vous garantis que c'est vrai, j'étais en train de biner mes petits pois et une idée me vint. Un nommé Archimède, lui, c'est en prenant son bain. À chacun son truc.
Je me suis dit : essayons de commencer à l'envers de tout le monde et la chose m'est apparue beaucoup plus aisée car partant du plus simple elle s'appuyait sur des données progressivement acquises.
Fixez fermement au sol une lunette et visez vers le sud une étoile à environ 45 degrés de hauteur. Quand l'étoile, entraînée par le mouvement diurne, coupe le réticule de l'oculaire, déclenchez un chronomètre et ne touchez plus à rien. Allez vous coucher si vous voulez. Revenez le lendemain un peu avant la même heure à vue de nez. Quand l'étoile coupe à nouveau le réticule, arrêtez le chronomètre. Si votre chrono et vos réflexes sont bons vous lisez 23h 56mn 04s. La Terre a fait exactement un tour sur son axe. C'est le jour sidéral ! Y a-t-il quelque chose de plus simple ?
Maintenant faites la même expérience, mais cette fois en visant le soleil autour de 14h en horaire d'été ou 13h en horaire d'hiver. Mais là danger absolu pour les yeux ! Il faut munir la lunette d'un filtre de bonne qualité (en visible + UV + Infra-rouge) qui ne laisse passer qu'un dix-millième de lumière. J'insiste là-dessus, car sans cette précaution vous ne pourrez faire l'expérience que deux fois dans votre vie ; Une fois avec l'œil droit et une fois avec l'œil gauche. Déclenchez le chrono quand le bord droit par exemple du soleil vient tangenter le réticule. Ne touchez plus à rien. Revenez le lendemain un peu avant la même heure, regardez le soleil défiler dans le champ de la lunette et arrêtez le chrono quand le même bord du soleil coupe le réticule.
Vous devez lire quelque chose autour de 24h avec plus ou moins une poignée de secondes (entre 23h 59mn 39s et 24h 0mn 30s). D'où vient cet écart avec l'expérience précédente qui se monte tout de même à 4 mn ? Un vrai scandale en astronomie !
Imaginons un observateur qui se situerait à quelques milliers de km au-dessus du pôle nord de la Terre et qui aurait le soleil face à lui. Il verrait la terre tourner sur elle-même dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et se déplacer lentement sur sa droite sur son orbite que, pour simplifier, nous supposerons circulaire avec le soleil au centre.
Ainsi, pendant que la terre fait exactement un tour sur elle-même (ce que nous pouvons déterminer en relevant à sa surface un détail dans l'axe du soleil et grâce à l'expérience précédente des 23h 56mn 04s), elle s'est déplacée vers la droite de presque un degré puisqu'elle accomplit son orbite en 365 jours et des broquilles soit, en gros, un degré par jour. Il faut donc que la terre continue à tourner sur son axe d'un degré pour que le détail que nous avions relevé se retrouve à nouveau dans l'axe du soleil. Mais nous savons que la terre fait un tour sur elle-même en environ 24h soit 15 degrés à l'heure ou un degré en 4mn. Et les voilà ces fameuses 4mn d'écart !
Vu, me direz-vous, si la Terre avait parcouru son orbite dans l'autre sens, le jour solaire aurait été au contraire plus court de 4mn que le jour sidéral. Mais, direz-vous, l'orbite de la Terre est toujours là même avec l'expérience de l'étoile. Certes, elle est toujours là, mais pendant que la Terre se déplace d'un degré par rapport au soleil, cela ne représente qu'une fraction infime de seconde d'arc par rapport à une étoile qui est à des milliards de fois plus éloignée que le soleil.
Voilà, j'ai essayé de faire passer non pas la rigueur nécessaire à la détermination précise du temps mais plutôt de faire toucher du doigt la philosophie de son approche. Ce que tout honnête homme - au sens du XVIIe siècle - se doit de connaître.
À cet instant, Toto qui ne dormait que d'un œil au fond de la classe, se lève et dit : « Vous nous la baillez bonne, monsieur l'instituteur, avec votre chronomètre et votre façon d'écrire l'histoire en remontant le temps à partir de la solution maintenant connue du problème. Mais au départ il n'y avait pas de chronomètre ! Et vous déterminez la durée de rotation de la terre avec un instrument que vous avez justement étalonné sur la durée de cette rotation. En quelque sorte vous nous refaites le coup de l'œuf et de la poule ».
Silence pesant sur l'estrade au tableau noir...
Toto, vous me copierez pour demain 50 fois la phrase : « Je ne dois pas être impertinent avec mon professeur ».
L'orbite terrestre elliptique est représentée avec une excentricité fortement exagérée. La Terre est notée T et le Soleil S. Le temps mis par la Terre pour aller de T1 à T2 est le même que celui mis pour aller de T'1 à T'2, car les aires colorées ST1T2 et ST'1T'2 sont égales. Cela se traduit par une vitesse plus faible à l'aphélie (T'1) qu'au périhélie (T1).
Ils auront remarqué que j'ai parlé du jour solaire avec une mesure comprise entre 23h 59mn 39s et 24h 0mn 30s. D'où vient cette dispersion ? Il y a de multiples raisons. En premier, il y a le fait que l'orbite de la terre n'est pas un cercle mais une ellipse dont le soleil occupe un des foyers. La terre ralentit ou accélère suivant sa position sur cette orbite. Une autre cause est que ce n'est pas la Terre qui se déplace sur une orbite mais le centre de gravité du couple Terre-Lune. Or, ce centre de gravité est à l'intérieur de la Terre à 4660 km de son centre. Un point à la surface de la terre décrit donc une sorte de feston autour de l'ellipse orbitale. Une autre cause est la variation produite par l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre par rapport au plan de son orbite. Cet axe est fixe (à peu près) par rapport à l'espace comme celui d'un gyroscope et il est donc variable par rapport au soleil suivant la position de la terre sur son orbite.
Il y a les marées, il y a l'action de l'énorme masse de Jupiter, il y a... il y a... il y a un bonne douzaine de causes ; un vrai casse-tête !
On a donc définit un jour solaire moyen de 86400 secondes soit 24H 0mn 0s à partir de l'année qui intègre toutes ces variations plus ou moins rapides et de ce fait se trouve un peu plus constante.
Mais voici que des horloges très précises sont arrivées, d'abord à quartz, puis dites atomiques. On s'est aperçu que la Terre ne tournait pas rond. (Pour ça, me direz-vous, on n'a pas besoin des astronomes pour se rendre compte que ça tourne pas rond sur notre Terre... Mais revenons au sujet.) Ainsi la seconde n'est plus rattachée a la durée de rotation de la Terre mais à 9 192 631 770 fois la durée de la période de la radiation correspondant à la transition entre deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133. Ouf c'est passé ! Cette période est extrêmement stable, elle cumule moins de 1s d'écart en 300 millions d'années. Ainsi par rapport à cet étalon qui maintenant synchronise nos horloges, la Terre actuellement ralentit et pour que le passage au midi solaire ne s'écarte pas trop progressivement du midi de nos horloges, on est amené à retarder de temps en temps ces dernières de 1s. Le dernier ajustement a eu lieu le 1er janvier 2009 à 0h 59mn 59s (heure légale). En fait, on a ralenti les dernières secondes de 2008 pour laisser à la Terre le temps de rattraper son retard. Il se peut que l'on ait besoin un jour de faire l'inverse, cela ne s'est encore jamais produit et depuis 1972 date du premier recalage on a donné 23s à la Terre pour rattraper son retard. La prochaine remise à l'heure est prévue en 2012-2013.
Mais direz-vous, à quoi sert de payer des chercheurs (fort peu rassurez-vous en comparaison de joueurs de football) pour titiller l'epsilon autour de la nanoseconde et même beaucoup moins ? Eh bien je ne donnerai qu'un exemple parmi la bonne demi-douzaine que je pourrais citer. Personne n'est surpris d'entendre la voix de son GPS lui annoncer, quand il retrouve son domicile après un voyage de plusieurs centaines de km : « Vous êtes arrivé » et cela devant la porte de son garage au mètre près ! La mesure du temps qui est à la base du fonctionnement du GPS a besoin de la précision des horloges atomiques et doit même tenir compte de la contraction du temps avec la vitesse (Relativité générale d'A. Einstein).
Ne croyez-vous pas que les astronomes, et beaucoup d'autres chercheurs avec, devraient avoir au moins la même considération que celle que l'on accorde entre autres aux joueurs de football ? J'aime bien le football moi aussi, mais je pense qu'il conviendrait là aussi de mettre de temps en temps les pendules à l'heure.
Mais voilà que Toto lève la main en faisant claquer ses doigts. « M'sieur, M'sieur...le mètre étant lui aussi défini par le multiple d'une longueur d'onde (une radiation de l'isotope 86 du krypton), la seconde est donc rattachée au mètre ! » Et il n'y a plus de problème avec l'œuf et la poule.
Bravo Toto et je lève votre punition.
Ainsi toutes les unités sont liées au mètre, y compris l'Ampère. Les savants de la révolution française ont fait preuve d'une sacrée clairvoyance en établissant le système métrique !
René Paris - Promotion 50-53 + Radio