LACAILLE (Nicolas-Louis, l'abbé DE)

LACAILLE (Nicolas-Louis, l'abbé DE), l'un des plus grands astronomes dont s'honore la France, né à Rumigny, près de Rosoy, en Thiérache, le 15 mars 1713, mort à Paris le 1er mars 1762. Son père, capitaine des chasses de la duchesse de Vendôme, l'avait placé au collège de Lisieux à Paris ; mais il mourut peu de temps après. Le duc de Bourbon se chargea généreusement du soin de faire poursuivre ses études au jeune orphelin. Lacaille voulait se vouer à l'état ecclésiastique ; il commença son cours de théologie et fut même ordonné diacre ; de petites tracasseries le firent renoncer à son premier projet. Son goût pour les sciences s'était, du reste, déjà développé ; il s'était initié de lui-même à l'astronomie.

Fouchy dit qu'en 1736 « il l'avait trouvé tellement avancé, qu'il avait peine à comprendre comment, seul et sans secours, un jeune homme de vingt-trois ans pouvait avoir été si loin. » II le présenta à Jean Dominique Cassini, qui lui donna un logement à l'Observatoire. Maraldi le prit aussitôt en amitié et se l'associa pour le tracé géographique des côtes de France depuis Nantes jusqu'à Bayonne. Presque immédiatement après (1739), Lacaille fut adjoint à la commission chargée de la vérification de la méridienne, et fit presque seul tout le travail, qui dura deux ans. Il fut nommé, vers la même époque, à la chaire de mathématiques du collège Mazarin. On lui fit construire, en 1743, dans ce même collège, un petit observatoire, près du dôme ; il en jouit jusqu'à sa mort.

Il était membre de l'Académie des sciences depuis 1741, et la gloire qu'il s'était déjà acquise lui avait rendu possible, en 1750, la tâche de déterminer le gouvernement français à pensionner une expédition scientifique au Cap de Bonne-Espérance. Au moment de partir, Lacaille adressa à tous les astronomes de l'Europe l'avis suivant : « Depuis peu, j'ai eu l'honneur d'être reçu parmi les astronomes de l'Académie royale des sciences ; j'ai entrepris et suivi un long travail sur les étoiles visibles sur l'horizon de Paris. L'Académie, ayant souhaité que cet ouvrage fût complété en observant de la même manière les étoiles australes, et que les observations en fussent faites dans un lieu où l'on pût on même temps déterminer la parallaxe de la lune, et à l'occasion de l'opposition de Mars périgée, et de la conjonction inférieure de Vénus, faire de nouvelles tentatives pour établir la parallaxe du soleil, j'ai reçu des ordres du roi pour aller passer une année au Gap de Bonne-Espérance, avec l'agrément des états généraux de Hollande. Mais parce qu'on ne peut parvenir à la détermination exacte des parallaxes que par des observations concertées et faites en même temps aux deux extrémités d'un arc du méridien, j'invite tous les astronomes, fournis des instruments convenables, à prendre part à ces recherches si intéressantes pour les progrès de l'astronomie et de la navigation. Je les prie d'observer les hauteurs méridiennes des astres suivants, aux jours qui seront marqués ci-dessous, ou, du moins, de déterminer, avec un micromètre appliqué à une lunette de 6 à 7 pieds, les différences de déclinaison entre ces astres, vers le temps de leur passage par le méridien, eu marquant exactement le temps vrai de chaque observation. Halley pensait que, par le passage de Vénus en 1761, on pourrait connaître la parallaxe du soleil à 1/500 près ; mais, quelque déférence, que j'aie pour les sentiments de ce grand homme, cette précision me paraît absolument impossible. » II conclut en excitant les astronomes à profiter en tout cas de l'occasion qu'offrait le passage de 1751.

Lacaille ne se contenta pas de remplir la mission dont il avait été chargé au Cap ; il fit encore aux îles de France et de Bourbon des observations utiles sur l'inclinaison et la déclinaison de l'aiguille aimantée, la longueur du pendule, les réfractions, etc. Il ne rentra en France qu'en 1754. Il se rendait à son observatoire dès le coucher du soleil et n'en sortait qu'après son lever. L'excès de travail est sans doute pour beaucoup dans sa mort prématurée.

« Personne plus que Lacaille n'a mérité, dit Delambre, l'éloge que Ptolémée faisait d'Hipparque en lui donnant les surnoms d'ami du travail et de la vérité ». Réservé, modeste et désintéressé, il était tout entier à ses devoirs, et à ses occupations. Lalande dit qu'il a fait à lui seul plus d'observations et de calculs que tous les astronomes ses contemporains. Personne, en effet, n'a été si bon ménager de son temps. On en cite des exemples étonnants. Ainsi, après avoir mesuré une base de 7000 toises durant un jour d'été, il était, quelques heures après, à 8 lieues de là, à prendre des distances d'étoiles au zénith. Du reste, à une extrême célérité dans les observations et les calculs, il joignait une grande adresse et beaucoup de sûreté.

« Ses manuscrits, comparés à ses ouvrages imprimés, attestent partout, ajoute Delambre, cette véracité qui devrait être toujours la première qualité de l'observateur. Appelé, par un concours singulier de circonstances, à refaire ou à vérifier de nouveau une partie de ses ouvrages, nous dirons qu'après avoir revu avec le plus grand soin toutes ses étoiles, du moins celles qui sont visibles à Paris, qu'après avoir fait de longues recherches sur les réfractions, construit de nouvelles tables du soleil, mesuré la méridienne de France et tenu entre les mains, pendant plusieurs années, ses manuscrits, jamais nous n'avons fait un pas sur ses traces sans éprouver un redoublement d'estime et d'admiration pour un savant qui sera à jamais l'honneur de l'astronomie française. »

Lacaille n'avait de revenu que son traitement de professeur, une petite pension de livres que lui faisait l'Académie et le peu que pouvait lui rapporter son titre de diacre a office à la chapelle du collège Mazarin. Cependant il fit imprimer à ses frais ses traités élémentaires pour pouvoir les donner à un prix moins élevé à ses élèves du collège Mazarin. Il calcula pour un libraire dix années d'éphémérides, pour payer les frais d'impression de ses Fundamenta astronomiæ, de ses Tables solaires et de son Catalogue des étoiles australes, qui, tirés à un petit nombre d'exemplaires, furent distribués aux grandes bibliothèques et aux astronomes. Il avait reçu du ministère 10 000 livres pour son expédition au Cap ; n'en ayant dépensé que 9145, il rapporta le reste au Trésor. Les employés, qui n'avaient pas de colonnes préparées pour les restitutions, ne voulaient pas recevoir l'excédant.

Lacaille a inséré un grand nombre de mémoires dans le recueil de l'Académie des sciences, et publié à part des ouvrages séparés très nombreux et très étendus. Nous commencerons pur les mémoires, en suivant l'ordre des dates.

Le premier est de 1741 ; c'est une étude sur un mémoire de Cotes relatif à la trigonométrie sphérique. Lacaille y prélude à ses longs et beaux travaux en donnant des formes plus commodes aux formules usuelles.

En 1742 et 1743, il donne des observations nombreuses et suivies de deux comètes. Il se prépare à résoudre enfin complètement le problème jusqu'alors si difficile de la marche de ces astres.

Le volume de 1744 contient encore de lui un grand mémoire sur les projections en général et l'application de sa méthode à la détermination des circonstances d'une éclipse.

On trouve, dans le volume de 1746, un premier mémoire sur les observations et la théorie des comètes qui ont paru depuis le commencement de ce siècle, « en examinant, dit Lacaille, ce qui a été écrit sur cette matière depuis l'édition des Principes de Newton, on voit que Halley a été presque le seul qui ait mis ses méthodes en pratique. Depuis 1705, il a paru, entre autres, sept belles comètes, et nous n'avons eu la théorie que de deux d'entre elles, due à Bradley. La comète de 1742 engagea les astronomes et les géomètres à tâcher de dissiper les prétendues difficultés de calcul de la théorie de ces astres, et un grand nombre y ont travaillé avec succès. La comète qui a paru en 1743 fit faire de nouveaux efforts, et plusieurs astronomes, après avoir réussi à en trouver la théorie, ont pensé à calculer celle des autres comètes qui ont paru depuis le commencement du siècle. Animé par tant d'exemples, et pour remplir utilement les heures de loisir que le mauvais temps ne donne que trop souvent aux observateurs, je me suis proposé le même objet, persuadé qu'il ne peut être trop manié et que rien ne donne plus de confiance aux éléments d'une théorie que lorsqu'on remarque que les astronomes de différents pays s'accordent dans les résultats de leurs calculs. »

Nous avons cité ce préambule pour montrer quelle est la modestie de Lacaille, car c'est à lui qu'on doit la première méthode à la fois expéditive et sûre pour le calcul des orbites des comètes. Par cette méthode qui, dit-il, « se présente si naturellement, qu'il ne croit pas pouvoir se faire un mérite de l'avoir suivie le premier, » il réduisait à deux heures (trois ou quatre pour un calculateur moins habile que lui) le temps nécessaire pour calculer complètement une orbite. Il faut bien, dit Delambre, se résoudre à y trouver quelque mérite, puisqu'elle ne s'était présentée à aucun de ceux qui avaient calculé des orbites de comètes avant lui. Ce mémoire est sans contredit la seule chose intelligible qu'on eût encore présentée aux calculateurs sur la théorie des comètes. Après sa publication, on peut bien parler des prétendues difficultés du problème ; elles n'étaient que trop réelles auparavant.

Le volume de 1749 contient un mémoire sur les observations de Walthérus et de Régio-montau. C'est dans la comparaison des faits à la fin du XVe siècle et à son époque que Lacaille découvre, le premier, le mouvement de la ligne des abscisses. Il le fait de 6h 8s par an, trop fort de 2s. Il donne aussi pour l'année la valeur 365 j 5 h 48 mn 46 s, résultat d'une très grande précision.

Il donne, en 1750, sur la théorie du soleil, deux mémoires contenant rectification de la plupart des éléments. Un troisième, sur le même sujet, publié à son retour du Cap, se trouve dans le volume de 1755.

Le même volume de 1755 contient un grand et important travail sur les réfractions astronomiques et la hauteur du pôle à Paris. « Nous avons, sur les réfractions, un grand nombre de recherches géométriques et physiques ; mais on n'a publié jusqu'ici aucune observation propre à les déterminer directement. Ne doit-on pas avoir une espèce de dépit de s'être donné beaucoup de peine pour éviter 2 ou 3 secondes d'erreur dans une hauteur de 30° et de voir qu'il se trouve plus de 30 secondes d'incertitude dans la correction qu'on doit faire pour la réfraction ? » Sa méthode consiste à comparer, pour 160 étoiles, les distances au zénith, observées à Paris et au Cap. La table qu'il établit, corrigée d'une petite erreur due à l'imperfection du sextant dont il s'était servi, diffère excessivement peu de celle qu'on adopte aujourd'hui. En 1757, Lacaille, en possession de sa table des vérifications, révisa sa théorie du soleil, et commença à tenir compte des actions exercées sur la terre par la lune, Jupiter et Vénus, actions que les principaux géomètres du temps venaient de soumettre au calcul. Lemonnier et d'Alembert lui suscitèrent quelques querelles à propos des valeurs qu'il attribuait à ces causes perturbatrices ; il se défendit très modérément et la suite a prouvé qu'il avait raison.

Le volume de 1759 contient, sur l'observation des longitudes en mer par le moyen de la lune, un mémoire dont les conclusions ont été adoptées en Angleterre d'abord, ensuite par tous les astronomes. On trouve, aux années de leur apparition, les théories des comètes de 1759 (celle de Halley) et de 1760, que l'on confondait avec celle de 1664. Le volume de 1760 contient encore les résultats des observations faites au Cap relativement aux parallaxes du soleil, de Mars et de Vénus. Enfin, le volume de 1761 contient un important mémoire sur la parallaxe de la lune, et une observation du passage de Vénus de l'année même.

Le plus important des ouvrages publiés séparément par Lacaille est intitulé : Astronomiæ fundamenta novissimis solis et stellarum observationibus stabilita (1757). Ce volume, dit Delambre, n'a jamais été dans le commerce ; on n'a pu l'acquérir qu'aux ventes successives de ceux auxquels l'auteur en avait fait présent ; il est donc rare, et ceux qui le possèdent doivent le conserver précieusement.

Le suivant, Cœlum australe slelliferum, n'a été imprimé qu'après la mort de l'auteur, en par les soins de Maraldi, son ami et son exécuteur testamentaire. Les autres ouvrages sont des leçons élémentaires de mathématiques, de mécanique, d'optique, d'astronomie géométrique et physique.

Grand Dictionnaire Universel du XIXe Siècle - Pierre Athanase Larousse