Le dernier des quadrimoteurs classiques est aussi le plus rapide
sur les plus longues étapes : 530 km/h. sur 10.000 kilomètres.
Les 10 Super Starliner L.1649A, dont le premier a été livré à Air France le 8 Juillet 1957, sont destinés, au fur et à mesure de leur arrivée, à prendre la relève des Super Constellation Lockheed L.1049 actuellement en service sur les lignes transatlantiques et les autres grandes liaisons internationales. Grâce à eux, la traversée de l'Atlantique Nord, pour ne citer qu'un exemple, pourra alors s'effectuer sans escale dans un sens comme dans l'autre. Dans le sens Paris - New York, le gain de temps résultant à la fois de la suppression de l'escale à Gander et de la vitesse accrue de l'avion, sera compris entre 2h 30 et 3 heures.
La structure du « L.1649 » se distingue essentiellement de celle des appareils de la série L.1049 par l'aile, qui est d'une conception entièrement différente allongement accru, épaisseur réduite, d'où une plus grande finesse aérodynamique. L'envergure passe de 37,50 m à 45,75 m, la surface alaire de 153 à 172 m², l'épaisseur diminue de 15 %. L'utilisation de panneaux entièrement rigides de 12,20 m, de long pour les revêtements d'extrados et d'intrados réduit de 80 % le nombre des rivets employés, facilitant ainsi le problème de l'étanchéité des réservoirs.
Le fuselage, tout en conservant l'aspect général de celui du L.1049, et ses dimensions principales, a cependant une longueur augmentée de 80 cm. Par suite de la présence dans le nez, du radar de mauvais temps.
La structure est sensiblement différente : l'aile de 46 mètres est assemblée d'un seul tenant et traverse le fuselage par une fente aménagée à la partie inférieure de celui-ci.
En raison de la nouvelle voilure, de nombreux équipements hydrauliques qui se trouvaient dans la voilure du L.1049 ont dû être logés dans le fuselage, ce qui a entraîné une modification des volumes de soutes.
Le train d'atterrissage principal étant extérieur à la voilure, il n'existe que 2 éléments de volets par demi-voilure au lieu de cinq, d'où une meilleure efficacité des volets et par conséquent, une amélioration des performances à l'atterrissage par rapport au L.1049.
D'autres innovations sont également à signaler :
- Réduction de 7 à 5 des issues de secours (4 sur la voilure et une porte à l'arrière du fuselage), mais mieux réparties et plus grandes.
- Réchauffement du réservoir d'eau des toilettes par de l'air pris sur le conditionnement d'air.
L'emplacement des moteurs se trouve éloigné du fuselage : les moteurs intérieurs ont été déplacés de 1,50 m, ce qui met leur axe à 4,10 m de la paroi extérieure du fuselage, tandis que les moteurs extérieurs, déplacés de 2,15 m s'en trouvent distants de 9,60 m. Il a donc été possible d'augmenter le diamètre des hélices (tripales « Curtiss » en acier étiré) qui se trouve porté à 5,15 m, (contre 4,62 m pour les L.1049). Ces hélices ont été conçues pour tourner à un régime relativement bas et pour conserver ainsi des vitesses modérées en bout de pales, condition d'une efficacité maximum.
Les moteurs sont des Wright « Turbo-Compound » du dernier type TC-18EA2. Ils représentent le stade ultime des moteurs à piston dans le domaine des fortes puissances, l'avenir étant promis aux turbines (turbopropulseurs et turboréacteurs). Composés de 18 cylindres en double étoile, ils présentent une cylindrée de 55 litres et développent 3400 CV au décollage, soit au total 13 600 CV représentants une augmentation de puissance de 600 CV par rapport au L.1049. L'énergie des gaz d'échappement à la sortie des cylindres est récupérée par trois turbines et transmise à l'arbre d'hélice, intervenant ainsi dans la puissance totale du moteur pour environ 500 CV.
Dans l'ensemble, les améliorations apportées aux groupes motopropulseurs doivent se traduire par un nouveau progrès en fait de tranquillité et de confort.
Le train d'atterrissage principal est nouveau. Il est utilisable en vol comme frein aérodynamique et peut descendre sans pression hydraulique. Les roues permettent l'utilisation de pneus sans chambres.
Deux circuits hydrauliques principaux indépendants alimentent en double les commandes de vol, les volets, les freins et le train avant et se partagent les autres servitudes (rentrée des trains principaux, direction roue avant, transfert d'huile, ventilation radiateur). Un circuit de secours, alimenté par électro-pompe peut commander le train et les freins. Un réservoir supplémentaire, avec pompe à main, permet une alimentation complète des circuits normaux et de secours.
Les servo-commandes, qui permettent le pilotage de la machine en diminuant la dépense musculaire du pilote, sont nouvelles : elles sont à système double et étudiées de telle façon que la panne d'un des circuits indépendants d'alimentation n'entraîne aucune réaction sur les commandes, ce qui constitue une amélioration de la sécurité de fonctionnement.
Les moyens de communication ont été améliorés :
- Émission-réception en bande continue sur l'un des émetteurs-récepteurs HF.
- VHF à émetteur et récepteur séparés offrants 50 kilocycles d'espacement entre canaux (360 canaux disponibles) avec une puissance d'émission de 25 watts (contre 10 watts pour le L.1049).
Les moyens de navigation et de pilotage comportent un certain nombre d'innovations :
1°- un nouveau pilote automatique, le Bendix PB 20 dont les avantages principaux sont les suivants :
- Il permet des réactions beaucoup plus immédiates que le PB 10, pilote automatique du L.1049, par suite de l'attaque directe des servo-commandes (sans l'intermédiaire de servomoteurs).
- Une bien meilleure tenue d'altitude, ce qui annule pratiquement l'intervention de l'équipage pour la tenue de l'altitude sélectée de croisière.
- Il permet au pilote de pré-sélecter un cap, c'est-à-dire que le PB 20 fera tout seul un virage jusqu'au cap affiché par le pilote, avantage surtout apprécié pendant les attentes.
- Il inclut l'approche automatique, c'est-à-dire l'intégration directe des signaux de balises ILS. Cette particularité du PB 20 présente l'avantage d'une plus grande précision dans la descente et celui d'éviter, dans de nombreux cas, les remises de gaz. Toutefois, l'utilisation de l'approche automatique n'est possible que sur les terrains dont l'infrastructure répond à certaines conditions.
2°- un radar de mauvais temps - Il s'agit d'un RCA « AVQ 10 » fonctionnant sur la longueur d'onde de 5,5 cm. La fonction essentielle de ce radar est de détecter les zones orageuses et les obstacles fixes (rencontre d'une montagne, d'une côte).
Le pinceau du radar balaie 15 fois par minute un angle de 270° sur l'horizon et un angle de 10° vers le haut et de 15° vers le bas en exploration verticale. Sa portée utile, fonction de la densité des messes orageuses, est de l'ordre de 60 à 80 kilomètres.
Le logement de l'antenne de ce radar a nécessité l'allongement du fuselage de 0,80 m. Cette antenne est située dans un « radome » en nid d'abeilles réalisé en bois vitrifié et entouré d'une bande de caoutchouc noir pour permettre le dégivrage, ce qui explique la couleur du nez du fuselage.
L'écran se trouve dans le poste de pilotage devant le pylône. Il est télescopique, car l'utilisation du radar n'est pas continue et est laissée à l'initiative du pilote : de jour, lorsqu'il apercevra une zone orageuse, de nuit lorsque la météo lui aura signalé la présence d'une telle zone sur sa route.
Les avantages que l'on peut retirer de l'emploi du radar de mauvais temps, sont un meilleur confort du passager et une fatigue moins grande de la structure de l'appareil.
Musée Air France
Trappe d'accès à l'indicateur radar téléscopique
Vue indicateur rangé dans sa trappe
3°- un gyrocompas à correction automatique de précession « polar path ».
Son principe est identique au compas gyromagnétique en service actuellement (gyro recalé par un compas magnétique) mais son avantage est de permettre une navigation plus précise, en particulier dans les régions polaires (les routes de temps minimum Paris New-York passent très souvent au sud du Groënland). Cette précision a été obtenue grâce aux particularités de construction du gyro (métal Invar, bain d'hélium) dont la précession se trouve ramenée à un taux extrêmement faible : de l'ordre de 1° par heure.
4°- le choix de nouveaux radiocompas et la présentation intégrée des paramètres de pilotage (IIS « Instrument Integrated System ») qui ne constitue pas, à proprement parler, un nouvel équipement, mais le regroupement de certains instruments de bord sur un même cadran.
Détail « quantitatif » : l'ensemble des installations électriques et radioélectriques comporte 12 200 fils conducteurs différents dont la longueur totale serait de 45 kilomètres.
Le poids maximum au décollage du L.1649A est de 70.800 kg. (156.000 lbs) le poids maximum à l'atterrissage de 55 800 kg (123 000 lbs), le poids maximum sans essence (Zero Fuel Weight) de 52 600 kg. (116 000 lbs).
La nouvelle formule de l'aile, en améliorant la finesse de l'avion (c'est-à-dire, en fin de compte, le nombre de kilomètres parcourus par unité de carburant consommé) et en augmentant la capacité d'essence embarquée, a fait du Lockheed L.1649A l'appareil commercial au plus long rayon d'action qui soit. En faisant le plein de tous les réservoirs (37 100 litres - 9800 US Gallons) la charge marchande disponible est encore de 3,5 tonnes. On peut alors, par vent nul, avec une réserve de carburant de 1000 US Gallons (3800 l) assurer des étapes de 9000 km. Poussant à la limite, en consommant la réserve, on arriverait à un rayon d'action de 10 000 km, d'où le slogan de Lockheed « le tour du monde en 4 étapes ».
En exploitation commerciale, une charge marchande de 8,5 tonnes doit pouvoir être transportée en 13 heures :
- sur 6500 km. par vent nul
- sur 6100 km. avec vent debout de 20 noeuds (37 km/h)
La charge marchande maximum permise par les limitations de structure atteint 10 tonnes. Elle pourrait être transportée, par vent nul, sur des étapes allant jusqu'à 5000 km.
La plus grande finesse de l'aile et l'augmentation de la puissance au décollage des moteurs (150 CV de plus par moteur) par rapport au Super Constellation L.1049G, facilitent le décollage et évitent la diminution de la charge marchande disponible au départ d'aérodromes situés en altitude et en atmosphère chaude (Mexico, Bogota, etc.)
Avec un poids maximum au décollage supérieur de 10 % à celui du DC.7C (équipé des mêmes moteurs) et à puissance égale, le L.1649A vole, en croisière, à une vitesse pratiquement égale à celle de l'autre appareil, son principal avantage étant un rayon d'action supérieur. Celui-ci est particulièrement appréciable par vent défavorable sur une traversée transatlantique car le L.1649A, avec chargement complet, peut faire la traversée à un régime normal grâce à la plus grande capacité de ses réservoirs. Il gagne alors un temps appréciable sur les appareils contraints de voler au régime économique. Cette performance présentera un intérêt tout particulier au cours de certaines périodes telles que la fin de l'été, caractérisée à la fois par des vents défavorables et une très forte demande de trafic sur les lignes de l' Atlantique Nord, dans le sens Est-Ouest.
L'altitude normale d'utilisation est de 22.000 pieds (6.700 m), supérieure de 2.000 pieds à celle du L.1049G. En volant plus haut, le L.1649 sera plus à même de profiter des vents forts dont la vitesse croit avec l'altitude.
Le programme d'utilisation des L.1649A devant être sensiblement le même que celui des L.1049, toutes les machines pourront être mises en ligne dans des versions : luxe (32 places sur le « Parisien Spécial ») première classe (48 places) mixte (60, 64, 68 places) touriste (81 places) et même, éventuellement, 3ème classe (99 places). Toutefois, il n'est pas envisagé, pour le moment, d'équipement « touriste » exclusivement ou de service « 3ème classe ».
Signalons la possibilité de disposer dans la cabine arrière de 4 lits (2 simples et 2 doubles) ce qui porte à 8 le nombre de lits à offrir sur le L.1649A (pour loger 12 personnes).
La décoration intérieure de la cabine a été l'objet de soins particuliers, Air France ayant eu le souci de présenter aux passagers une cabine entièrement nouvelle. Avec la collaboration de M. Baudart, décorateur, on s'est attaché à rechercher des harmonies de couleurs compatibles avec la teinte légèrement verte des hublots : gris-vert pour les soubassements, gris pour les parois.
Cet ensemble est complété par des rideaux multicolores et par la couleur des housses des fauteuils : corail pour la partie avant du dossier, le siège et les accoudoirs ; gris-vert pour la partie arrière du dossier, rompant ainsi l'effet de monotonie que peuvent engendrer de longues files de fauteuils
Pour la recherche de ces harmonies de couleurs, Air France a demandé à la Manufacture des Gobelins la fabrication de plusieurs échantillons avec divers rapports de gris et de vert et a procédé à deux vols en altitude pour arrêter définitivement son choix, l'éclairement de la cabine pouvant varier dans la proportion de 1 à 20 (150 à 200 lux au sol - 3000 à 4000 lux à l'altitude de croisière).
Le confort du passager de la classe « touriste » se trouvera sensiblement amélioré par la présence de fauteuils entièrement nouveaux. Les services techniques d'Air France ont créé un fauteuil inclinable dont l'articulation se trouve située de telle sorte que les coussins soutiennent intégralement le corps du passager dans toutes les positions du dossier. Ceci revient en quelque sorte, à développer le fauteuil autour du passager. Ce fauteuil (exclusivité Air France) est d'une forme beaucoup plus élégante que les précédents Il est destiné à équiper, après le L.1649A, les avions à réaction « Caravelle » et « Boeing 707 ».
Les livraisons des 10 Super Starliner L.1649A à la Compagnie Nationale Air France seront échelonnées entre Juillet 1957 et la fin de l'année 1957.
Avec le Lockheed L.1649A, la grande famille des « Constellation » et des « Super Constellation » trouve son achèvement. Le dernier modèle possède un poids qui est plus de deux fois supérieur à celui du premier « Constellation » construit il y a 17 ans. Le nouvel avion vole à peu près deux fois plus loin, emporte une charge marchande trois fois plus forte et sa vitesse de croisière est supérieure d'environ 200 km/h. Plus de 425 appareils de transport du type « Constellation » ont été construits : ils sont aujourd'hui utilisés par 28 compagnies à travers le monde ainsi que par les transports aériens militaires des USA. En comptant les appareils militaires spécialisés dans l'observation radar, on dénombre aujourd'hui 735 « Constellation » construits ou en commande.
Lockheed estimait qu'à la fin de l'été 1956 plus de 70 000 traversées commerciales de l'Atlantique avaient été effectuées par les « Constellation » et les « Super Constellation ».