Notre propos est d'attirer l'attention sur un aspect peu connu de la mise au point des nouveaux propulseurs (réacteurs, turbopropulseurs) pour l'aviation commerciale et de la participation d'Air France à la solution d'un des problèmes posés par cette mise au point.
Comme chacun le sait, les appareils modernes atteignent des altitudes de vol élevées (de l'ordre de 10.000 mètres) correspondant à des températures extérieures très basses (de l'ordre de -55°).
Des systèmes de lutte contre le givrage tant de la cellule de l'avion (voilure, empennages) que des groupes motopropulseurs (hélices, entrée d'air des réacteurs, etc.) sont donc installés sur les appareils commerciaux. Mais il est évidemment nécessaire de vérifier leur bon fonctionnement dans les mêmes conditions que celles de leur utilisation future avant d'homologuer les nouveaux matériels.
En France, c'est la Compagnie Générale des Turbomachines (CGTM) qui est chargée par les services officiels français d'effectuer les essais de givrage artificiel des nouveaux moteurs, plus spécialement sur les turbines de moyenne puissance qui font la renommée mondiale de la Société Française Turboméca. Basée essentiellement à Istres, elle dispose d'une flotte aérienne de bancs d'essais volants, qui vient de s'augmenter récemment d'un Constellation acheté à Air France, et de personnel hautement qualifié tels que pilotes et ingénieurs d'essais.
La définition technique de la transformation en banc d'essai volant a été établie par la CGTM en accord avec les services officiels français. La transformation a été étudiée par le service « Structure et Recherches » du Département « Études Avions en Service » de la Direction du Matériel (en collaboration avec la Société Hurel-Dubois) et réalisée par les ateliers d'Air France, à Toulouse-Montaudran.
Le Constellation - F-BAZR à Air France - remplacera à la CGTM un quadrimoteur MB.161 « Languedoc » qui était utilisé depuis 1957 comme banc d'essai. La vétusté de cet appareil, les difficultés de maintenance d'un appareil qui n'est plus en service ni dans les compagnies civiles, ni dans l'Armée de l'Air ont conduit au remplacement par un avion plus moderne et dont l'entretien est garanti pendant une dizaine d'années, grâce à l'appui technique d'Air France.
La rampe de pulvérisation telle qu'elle apparaît à travers le bulbe d'observation du Constellation
Une des conditions exigées pour l'utilisation de ce banc d'essai étant de pouvoir essayer indifféremment un turbopropulseur ou un réacteur pur, il a été nécessaire de prévoir l'installation sur le dos du fuselage. On retrouve une technique analogue à celle qui avait permis les essais en vol des avions Leduc, il y a quelques années. Ceux-ci étaient montés sur le dos d'un « Languedoc » et largués en vol dès qu'une altitude et une vitesse suffisantes avaient été atteintes; le statoréacteur qui équipait le Leduc ne développe pas de poussée lorsque la vitesse est nulle, d'où nécessité de trouver une source de puissance auxiliaire (réacteur d'appoint, avion porteur, etc.).
Pour en revenir à la CGTM, l'installation réalisée comporte un bâti moteur amovible fixé sur le dos du fuselage, (voir schéma) points A et B, pouvant supporter des turbopropulseurs développant jusqu'à 3.000 CV et des réacteurs ayant une poussée allant jusqu'à 10.000 kg. Le diamètre maximum de l'hélice peut aller jusqu'à 4,50 mètres.
Un mât de givrage (point C) permet de pulvériser de fines gouttelettes d'eau distillée à l'aide d'un jet d'air comprimé dont le débit est fonction de l'altitude, de la vitesse et du diamètre des gouttes à obtenir ; on peut créer des gouttes ayant un diamètre moyen entre 10 et 50 microns (1 micron = 1/1.000 mm). Le débit d'eau fonction de la concentration recherchée permet de simuler toutes les catégories de nuages rencontrés dans l'atmosphère.
Les ateliers d'Air-France-Montaudran ont consacré environ 35.000 h. de main-d'œuvre au renforcement et à la transformation de l'avion. Pour tenir compte des efforts importants introduits par l'installation de givrage, il a été nécessaire de construire 2 cloisons verticales au droit des ferrures d'attache A et B et une 3e cloison verticale au droit du mât de givrage au point C.
Le renforcement du fuselage a nécessité le remplacement d'environ 100 m2 de tôles de revêtement.
Deux bulbes d'observation munis d'une glace plane ont été installés en D : ils permettent de contrôler en vol le fonctionnement de l'installation et de photographier les phénomènes étudiés.
Les deux groupes « Guyenne » qui produisent l'air comprimé utilisé pour la pulvérisation et pour produire l'électricité nécessaire aux dispositifs de dégivrage. Le groupe du 1er plan est décapoté.
Deux groupes auxiliaires de servitude (Turboméca « Guyenne ») ont été installés dans des caissons étanches dans le fuselage ; ils servent à fournir l'air comprimé nécessaire à la pulvérisation des gouttelettes ainsi que l'énergie électrique, hydraulique ou pneumatique nécessaire à l'installation d'essai. A noter que ces groupes auxiliaires sont en fait des turbines à gaz dont le compresseur a été surdimensionné pour permettre le prélèvement d'air comprimé.
Un pupitre permettant la conduite du moteur en essai a été installé entre les cloisons A et B. De plus, les réservoirs d'essence d'extrémité de voilure ont été équipés d'une pompe à grand débit et leur protection intérieure traitée pour résister au carburant réacteur du type JP4 (carburant utilisé essentiellement par l'Armée de l'Air).
La transformation de l'appareil a été effectuée du 20 janvier au 31 mars 1963.
Après sa réception en vol en configuration lisse (c'est-à-dire non équipé de son mât de givrage et de son bâti moteur), le F-BAZR (devenu le F-ZVMV puisqu'il appartient maintenant à l'Etat) a rejoint sa base d'Istres.
Vue du pupitre de commande des expérimentations. Au fond, les groupes « Guyenne ».
Dès l'arrivée du Constellation à Istres, les ateliers de la CGTM ont entrepris l'équipement général de la partie laboratoire qui comporte en particulier un système de télévision avec caméra miniature disponible à un endroit quelconque de l'avion ainsi que de nombreux enregistreurs photographiques prévus à côté du pupitre d'essais.
Le givrage artificiel nécessite en outre un ensemble de dispositifs répartis convenablement dans l'avion. On dispose d'une réserve d'eau distillée de 1.500 litres qu'une pompe refoule dans la grille de pulvérisation. Le débit d'eau est ajusté à la valeur désirée par des robinets à réglage micrométrique. L'air comprimé délivré par des groupes « Bigorre » est amené à la température désirée à l'aide d'un échangeur. La pression au droit des pulvérisateurs est réglée à la demande par des vannes appropriées.
La CGTM dispose d'un laboratoire volant moderne capable d'effectuer des essais de dégivrage sur toute sorte de matériel aérien. Nous avons appris que le premier vol en banc d'essai complet a eu lieu le 26 décembre 1963 et a donné toute satisfaction. Souhaitons bonne chance à la vie nouvelle qui attend maintenant ce brave BAZR, ex-long-courrier des lignes d'Air France.
C.L. - France Aviation N° Mars 1964 - Musée Air France - BNF
Notre article sur le « Constellation » transformé par AIR FRANCE et la Compagnie Générale des Turbo Machines en banc d'essai volant pour expérimenter les effets du givrage sur les turbines de turbopropulseur ou de réacteur, a beaucoup intéressé nos lecteurs (F.A. N° 112). Aussi, tenons-nous à préciser que cet article a pu être écrit par M. Gérard Richer, ingénieur principal aux « Etudes de structures avion » de la Direction du matériel d'AIR FRANCE, grâce à la documentation technique et aux photographies fournies par M. R. Aubin chef d'exploitation de la C.G.T.M.