Jusque-là, le miroir malgré sa forme de calotte sphérique obtenue avec une grande précision et pas mal de sueur, n'est qu'un vulgaire bloc de verre dépoli qui ne permet même pas de voir au travers. Le polissage, tel le papillon sortant de sa chrysalide, va lui faire subir une métamorphose radicale qui de bloc de verre va le transformer en miroir d'astronomie.
Le polissage n'est pas une action abrasive qui serait pratiquée avec des abrasifs d'une extrême finesse. Certes il y a bien une usure de surface mais celle-ci s'apparente plus à une sorte de fluage du verre qui tout en rabotant les aspérités microscopiques, comblerait également les creux. Tout cela à l'échelle quasi moléculaire.
Après bien des essais, allant des polissoirs en papier aux polissoirs fabriqués à partir des gâteaux en cire alvéolée des abeilles, des générations d'opticiens sont arrivés à l'utilisation de polissoirs en poix, ce qui est maintenant la méthode unanimement adoptée en optique de précision.
La poix dite optique a des qualités uniques. C'est une matière qui par pressage ou usure de longue durée épouse parfaitement la forme du miroir. Par contre elle est considérée totalement indéformable pendant la courte durée d'une course dite normale telle que celles qui sont employées lors du doucissage. On peut adapter sa dureté à la température du local soit par un chauffage prolongé si la température est trop élevée (inférieure cependant à 25-30°C) soit par ajout d'essence de térébenthine si la température est basse (supérieure cependant à 16°C).
Le polissoir est constitué par des carrés de poix collés sur l'outil en verre sur lequel on aura tracé au crayon un quadrillage marquant l'emplacement de chaque carré de poix. Mieux qu'un long discours, les images tirées du livre de Jean Texereau décrivent parfaitement le déroulement des opérations conduisant à l'élaboration du polissoir.
Livre de Jean Texereau
Préparation de la poix
Avec la poix moderne de grande pureté, il est inutile de filtrer avec un bas de "soie" comme indiqué sur l'étape N°3. Utilisez une casserole avec un bec verseur bien marqué pour éviter que la poix s'écoule le long de la casserole. La poix qui est fragile et cassante à la température ambiante devient liquide comme de l'eau lorsqu'elle est chaude. Surtout ne la faites jamais bouillir car elle perdrait de ses précieuses qualités par évaporation de beaucoup de ses composés volatils. Un conseil, enrobez les baguettes en bois avec du papier kraft pour emballage, la face lisse du papier à l'extérieur, car sans cela le démoulage des bandes de poix ne sera pas aussi facile que montré sur l'image. Lors du pressage, les carrés de poix vont s'affaisser progressivement jusqu'à ce que l'ensemble du polissoir épouse bien la forme du miroir. Il faut alors retailler les carrés en utilisant une règle et le tranchant bien vif d'un ciseau à bois ou d'une lame de rabot.
Livre de Jean Texereau
LE RETAILLAGE DES CARRÉS DE POIX
L'opération de retaillage des carrés sera à refaire plusieurs fois au cours du polissage. Surtout ne pas attendre que des carrés se touchent car alors l'opération devient très difficile et laisse un polissoir avec des carrés biscornus.
Mettre la valeur d'une cuillère à café d'oxyde de zirconium dans un petit pot en verre (les pots de yaourt en verre sont parfaits). Ajoutez un peu d'eau de façon à obtenir la consistance d'une pâte à crêpes, c'est ce que l'on appelle le blanc à polir. Étalez-en une bonne couche avec un pinceau sur le miroir et sur le polissoir posé sur le poste de travail avec interposition d'une couche épaisse de molleton. Personnellement je place une rondelle découpée dans de la moquette à poil ras. Posez délicatement le miroir dessus, chargé par un poids de cinq à dix kg en interposant un morceau de contreplaqué ou de moquette.
Au bout de quelques minutes de pressage quand le miroir porte bien sur tous les carrés, remettez un peu de blanc à polir sur toute la surface du miroir et commencez le polissage avec des courses comme celles qui sont employées lors du doucissage et avec la même technique de rotation du miroir entre les mains et autour du poste de travail. Ne vous arrêtez pas pendant au moins une heure. Lorsque vous sentez qu'augmente l'effort pour déplacer le miroir, ajoutez un peu de blanc avec le pinceau en mettant le miroir en position excentrée sans le séparer du polissoir, puis reprenez le polissage sans attendre. Cette façon de procéder permet que le miroir et le polissoir atteignent un équilibre thermique. Si au bout d'une heure, vous êtes fatigué, ne laissez pas le miroir posé sur le polissoir. Lavez le polissoir sous un robinet ainsi que le miroir et laissez les sécher séparément. Ne laissez pas non plus sécher le blanc dans le pot. Si cela se produit, ne rajoutez pas d'eau, ce serait le meilleur moyen pour rayer le miroir par de nombreuses filandres invisibles mais capables de diminuer les contrastes déjà très faibles sur les visions de planètes. Lavez le pot et refaites une nouvelle dose de blanc lorsque vous reprendrez le travail. La reprise du travail se fait après un court pressage du miroir sur le polissoir préalablement chargé en blanc à polir.
Après trois ou quatre heures de polissage, lavez le miroir, essuyez le avec du papier absorbant et examinez sa surface sous un éclairage assez intense. L'action de polissage est nettement visible, on dit que le miroir s'éclaircit. Si le centre du miroir est plus clair que son pourtour, il faudra poursuivre le travail miroir dessous, si au contraire le pourtour est plus clair que le centre, le travail sera poursuivi miroir dessus. Dans la position miroir dessous il faut le tourner d'environ un quart de tour tous les quarts d'heure, toujours dans le même sens pour éviter un astigmatisme toujours possible. Veillez plus que jamais à ce que le miroir ne soit jamais bridé.
Quand l'éclaircissement sera homogène sur toute la surface du miroir, alternez miroir dessus et miroir dessous. Toutes les deux ou trois heures suivant la dureté de la poix, il sera nécessaire de retailler les carrés. Refaire un court pressage avec recharge de blanc avant de reprendre le polissage. Le polissage complet d'un miroir de 150 mm nécessite de 10 à 15 heures, soit deux à trois jours d'un travail intensif compte tenu des arrêts. Intensif ne veut pas dire frénétique. Un aller-retour ou au maximum deux par seconde suffit. Le mouvement doit être souple sans marquer de temps d'arrêt en extrémité de course.
Surtout n'essayez pas d'innover, si vous avez bien suivi les recommandations, vous avez maintenant dans les mains un miroir dont la surface est parfaitement polie et dont la courbure est très proche d'une calotte sphérique parfaite. Il est temps de le contrôler.